La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/02/2016 | FRANCE | N°397202

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 25 février 2016, 397202


Vu la procédure suivante :

M. D...C...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 11 décembre 2015, par lequel le ministre de l'intérieur l'a astreint à résider dans le treizième arrondissement de Paris, avec l'obligation de se présenter trois fois par jour à des horaires déterminés au commissariat de police du treizième arrondissement de Paris, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés

et de demeurer, tous les jours de 21 heures 30 à 7 heures 30, dans les loc...

Vu la procédure suivante :

M. D...C...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 11 décembre 2015, par lequel le ministre de l'intérieur l'a astreint à résider dans le treizième arrondissement de Paris, avec l'obligation de se présenter trois fois par jour à des horaires déterminés au commissariat de police du treizième arrondissement de Paris, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés et de demeurer, tous les jours de 21 heures 30 à 7 heures 30, dans les locaux où il réside, et d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de fournir les éléments de fait justifiant l'arrêté du 11 décembre 2015. Par une ordonnance n° 1602400/9 du 19 février 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 et 25 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance.

Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie ;
- l'arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir, dès lors qu'il n'existe aucune raison sérieuse de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ;
- il porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de sa vie privée.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 février 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête et à la suppression des passages injurieux qu'elle comporte. Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi du 29 juillet 1881 ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. C..., d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du jeudi 25 février 2016 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me de La Burgade avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M.C... ;

- M.C... ;

- le représentant de M.C... ;
- le représentant du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'ordonnance attaquée et à la suspension de l'arrêté assignant à résidence M.C... :

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale " ;

2. Considérant qu'en application de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence a été déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain et prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015, par l'article 1er de la loi du 20 novembre 2015 ; qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 : " Le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. (...) / La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures. / L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération. (...) / L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille. / Le ministre de l'intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence : / 1° L'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés (...) " ; qu'il résulte de l'article 1er du décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015, modifié par le décret n° 2015-1478 du même jour, que les mesures d'assignation à résidence sont applicables à l'ensemble du territoire métropolitain à compter du 15 novembre à minuit ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par un arrêté du 11 décembre 2015, abrogeant et remplaçant un précédent arrêté en date du 15 novembre 2015, le ministre de l'intérieur a astreint M. C...à résider dans le treizième arrondissement de Paris, lui a fait obligation de se présenter trois fois par jour, à 8 heures, 13 heures et 19 heures, au commissariat de police du treizième arrondissement de Paris, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés, et lui a imposé de demeurer tous les jours, de 21 heures 30 à 7 heures 30, dans les locaux où il réside à Paris ; que cet arrêté prévoit que M. C...ne peut se déplacer en dehors de son lieu d'assignation à résidence sans avoir obtenu préalablement une autorisation écrite établie par le préfet de police ; que, par une ordonnance du 19 février 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté la demande de M. C...tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 11 décembre 2015 ; que M. C...relève appel de cette ordonnance ;

En ce qui concerne la condition d'urgence :

4. Considérant qu'eu égard à son objet et à ses effets, notamment aux restrictions apportées à la liberté d'aller et venir, une décision prononçant l'assignation à résidence d'une personne, prise par l'autorité administrative en application de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, porte, en principe et par elle-même, sauf à ce que l'administration fasse valoir des circonstances particulières, une atteinte grave et immédiate à la situation de cette personne, de nature à créer une situation d'urgence justifiant que le juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, puisse prononcer dans de très brefs délais, si les autres conditions posées par cet article sont remplies, une mesure provisoire et conservatoire de sauvegarde ; que le ministre de l'intérieur ne fait valoir aucune circonstance particulière conduisant à remettre en cause, au cas d'espèce, l'existence d'une situation d'urgence caractérisée de nature à justifier l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

En ce qui concerne la condition tenant à l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

5. Considérant qu'il appartient au juge des référés de s'assurer, en l'état de l'instruction devant lui, que l'autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public, n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que ce soit dans son appréciation de la menace que constitue le comportement de l'intéressé, compte tenu de la situation ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence, ou dans la détermination des modalités de l'assignation à résidence ; que le juge des référés, s'il estime que les conditions définies à l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont réunies, peut prendre toute mesure qu'il juge appropriée pour assurer la sauvegarde de la liberté fondamentale à laquelle il a été porté atteinte ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le ministre de l'intérieur s'est fondé, pour prendre la décision d'assignation à résidence contestée, sur les éléments mentionnés dans une " note blanche " des services de renseignement, versée au débat contradictoire ; qu'il ressort notamment de ces éléments, repris dans les motifs de l'arrêté du 11 décembre 2015, que M. C...est co-administrateur, aux côtés de son demi-frère X... , avec lequel il réside, d'une structure intitulée DeenDesign, qui se déclare ouvertement favorable au " jihad " et soutient " l'Etat islamique " ; que cette structure est spécialisée dans la production de montages photographiques et de vidéos de propagande destinés à inciter son public à désobéir aux lois françaises, à manipuler des armes et à rejoindre la zone irako-syrienne ; qu'elle a, en particulier, réalisé une vidéo de propagande au profit d'une association soupçonnée d'avoir financé la cause " jihadiste ", ainsi qu'une autre vidéo pour le compte du site internet de propagande radicale mettant en scène M. A...B..., condamné en 2012 pour association de malfaiteurs à visée terroriste, qui a gagné depuis la zone irako-syrienne en février 2015 ;

7. Considérant que le ministre de l'intérieur a produit, dans le cadre de la procédure contentieuse engagée par M.C..., deux autres notes blanches qui précisent notamment que celui-ci est le titulaire de l'un des numéros de téléphone que les internautes souhaitant recourir aux services de DeenDesign étaient invités à composer ; que ces notes, ainsi que les écritures du ministre, sont assorties de captures d'écran sur les réseaux sociaux attestant du lien entre M. C...et DeenDesign, ainsi que de l'implication de cette structure dans la propagande en faveur de " Daesh " ;

8. Considérant que M. C...ne conteste pas les informations du ministre de l'intérieur relatives aux activités de DeenDesign ; qu'en revanche, après avoir admis, dans l'état antérieur de ses écritures, qu'il avait été en charge de la partie commerciale et de la relation avec la clientèle de cette structure, il soutient, en dernier lieu, qu'il n'y a pris aucune part, et même qu'il en ignorait l'existence, et qu'il était impliqué dans une structure distincte, également créée avec son demi-frère, intitulée " Lab Design ", tout en reconnaissant que celle-ci n'avait, en pratique, pas eu d'activité ; qu'il soutient également que son téléphone a été utilisé par son demi-frère dans le cadre de DeenDesign, tout en admettant avoir pu répondre épisodiquement à des appels, et que la copie d'écran l'associant à DeenDesign serait issue d'un montage ayant pour origine un site à caractère parodique ;

9. Considérant que les allégations peu circonstanciées et parfois contradictoires de M. C...ne mettent pas utilement en cause les éléments précis et concordants relatifs aux liens existant entre celui-ci et DeenDesign ; qu'ainsi, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, qu'en prononçant l'assignation à résidence de M.C..., et en la maintenant jusqu'à ce jour, au motif qu'il existe de sérieuses raisons de penser que le comportement de l'intéressé constitue une menace grave pour la sécurité et l'ordre publics, le ministre de l'intérieur ait porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir ;

10. Considérant, enfin, que si M. C...soutient que l'assignation à résidence dont il est l'objet l'aurait empêché, au mois de janvier 2016, de poursuivre jusqu'à leur terme deux contrats à durée déterminée d'une semaine chacun, en raison des contraintes qu'implique l'obligation de se rendre trois fois par jour au commissariat, il n'apparaît pas qu'il ait alors sollicité de l'autorité préfectorale un aménagement de cette obligation ni qu'il dispose à ce jour d'un projet précis susceptible de justifier un tel aménagement ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté porterait une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de sa vie privée ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

Sur les conclusions du ministre de l'intérieur tendant à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :

11. Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, les termes de la requête de M.C..., malgré leur virulence, n'excèdent pas les limites de la controverse entre parties dans le cadre d'une procédure contentieuse ; que, dès lors, il n'y a pas lieu d'en prononcer la suppression par application des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, qui permettent aux tribunaux, dans les causes dont ils sont saisis, de prononcer la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires ;

O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du ministre de l'intérieur tendant à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. D...C...et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 397202
Date de la décision : 25/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 25 fév. 2016, n° 397202
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP TIFFREAU, MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:397202.20160225
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award