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23/02/2016 | FRANCE | N°396872

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 23 février 2016, 396872


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 9 décembre 2015 par lequel le ministre de l'intérieur l'a astreint à résider sur le territoire de la commune de Bordeaux, avec obligation de présentation trois fois par jour à des horaires déterminés au commissariat de police de Bordeaux tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés et de demeurer, tous les jours de 20 h

eures à 6 heures, dans les locaux où il réside.

Par une ordonnance n°16...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 9 décembre 2015 par lequel le ministre de l'intérieur l'a astreint à résider sur le territoire de la commune de Bordeaux, avec obligation de présentation trois fois par jour à des horaires déterminés au commissariat de police de Bordeaux tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés et de demeurer, tous les jours de 20 heures à 6 heures, dans les locaux où il réside.

Par une ordonnance n°1600305 du 28 janvier 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 9 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance.

3°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

Il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie ;

- les restrictions apportées à sa liberté d'aller et venir par l'arrêté contesté méconnaissent les stipulations de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'arrêté porte atteinte de manière grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir, en l'absence de toute raison sérieuse de penser qu'il constitue une menace pour l'ordre et la sécurité publics.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 février 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A..., d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 15 février 2016 à 10 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me de La Burgade, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M.A... ;

- M.A... ;

- le représentant du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction ;

Vu la mesure d'instruction supplémentaire par laquelle le juge des référés a demandé à l'issue de l'audience, au ministre de l'intérieur, de produire des éléments supplémentaires concernant les mosquées de Bordeaux ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 février 2016, présenté par le ministre de l'intérieur qui produit deux notes blanches sur les mosquées de Bordeaux ;

Vu le mémoire, enregistré le 17 février 2016, présenté par M. A...qui produit des documents complémentaires ;

Après avoir convoqué à une nouvelle audience publique, d'une part, M. A..., d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 19 février 2016 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me de La Burgade, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M.A... ;

- M.A... ;

- la représentante du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction ;

Vu le mémoire, enregistré le 21 février 2016, présenté par le ministre de l'intérieur qui persiste dans ses écritures ;

Vu le mémoire, enregistré le 22 février 2016, présenté par M. A...qui produit des pièces complémentaires ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 ;

- le code de justice administrative ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale " ;

2. Considérant qu'en application de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence a été déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain et prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015, par l'article 1er de la loi du 20 novembre 2015 ; qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 : " Le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. (...) / La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures. / L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération. (...) / L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille. / Le ministre de l'intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence : / 1° L'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés (...) " ; qu'il résulte de l'article 1er du décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015, modifié par le décret n° 2015-1478 du même jour, que les mesures d'assignation à résidence sont applicables à l'ensemble du territoire métropolitain à compter du 15 novembre à minuit ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par un arrêté du 9 décembre 2015, lequel abroge et remplace un arrêté du 15 novembre 2015, le ministre de l'intérieur a astreint M. A...à résider dans la commune de Bordeaux, lui a fait obligation de se présenter trois fois par jour, à 9 heures, 14 heures et 19 heures, au commissariat de police de Bordeaux, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés, et l'a obligé de demeurer tous les jours, de 20 heures à 6 heures, dans les locaux où il réside ; que cet arrêté prévoit que M. A...ne peut se déplacer en dehors de son lieu d'assignation à résidence sans avoir obtenu préalablement une autorisation écrite établie par le préfet de la Gironde ; que, par une ordonnance du 28 janvier 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté la demande de M. A...tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 9 décembre 2015 ; que M. A...relève appel de cette ordonnance ;

En ce qui concerne la condition d'urgence :

4. Considérant qu'eu égard à son objet et à ses effets, notamment aux restrictions apportées à la liberté d'aller et venir, une décision prononçant l'assignation à résidence d'une personne, prise par l'autorité administrative en application de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, porte, en principe et par elle-même, sauf à ce que l'administration fasse valoir des circonstances particulières, une atteinte grave et immédiate à la situation de cette personne, de nature à créer une situation d'urgence justifiant que le juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, puisse prononcer dans de très brefs délais, si les autres conditions posées par cet article sont remplies, une mesure provisoire et conservatoire de sauvegarde ; que le ministre de l'intérieur ne fait valoir aucune circonstance particulière conduisant à remettre en cause, au cas d'espèce, l'existence d'une situation d'urgence caractérisée de nature à justifier l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

En ce qui concerne la condition tenant à l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

5. Considérant qu'il appartient au juge des référés de s'assurer, en l'état de l'instruction devant lui, que l'autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public, n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que ce soit dans son appréciation de la menace que constitue le comportement de l'intéressé, compte tenu de la situation ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence, ou dans la détermination des modalités de l'assignation à résidence ; que le juge des référés, s'il estime que les conditions définies à l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont réunies, peut prendre toute mesure qu'il juge appropriée pour assurer la sauvegarde de la liberté fondamentale à laquelle il a été porté atteinte ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le ministre de l'intérieur s'est fondé, pour prendre la décision d'assignation à résidence contestée, sur les éléments mentionnés dans une " note blanche " des services de renseignement, soumise au débat contradictoire ; qu'il ressort de ces éléments repris dans les motifs de l'arrêté du 9 décembre 2015 que M.A..., connu des services de police pour plusieurs faits délictueux, est converti à l'islam radical et appartient à la mouvance salafiste bordelaise depuis 2012 ; qu'il héberge fréquemment à son domicile des membres de cette sphère musulmane rigoriste, dont des jihadistes ayant quitté par la suite le territoire ; qu'il est suspecté de se livrer à un prosélytisme important afin de mener des actions violentes à caractère terroriste sur le territoire national et de recruter des candidats au jihad en Syrie ; qu'il a fait part de sa volonté de partir en Syrie pour rejoindre Daech ou l'organisation terroriste Jahbat Al Nosra ;

7. Considérant cependant que les éléments mis en avant par le ministre de l'intérieur ne sont, après les suppléments d'instruction diligentés et les deux audiences publiques auxquelles il a été procédé, pas corroborés par les éléments du dossier ; que M.A..., qui a été condamné pour des délits de droit commun restés isolés et qui ne conteste pas appartenir à la mouvance salafiste bordelaise depuis 2012, fréquente à Bordeaux la mosquée Nour Al-Mohammadi, dont le supplément d'instruction a montré qu'il s'agit d'une mosquée affiliée à la Grande mosquée de Paris, qui prône un islam respectant les valeurs de la République française; que si M. A...reconnaît fréquenter essentiellement des personnes appartenant à cette mouvance et admet avoir connu un homme qui a quitté le territoire français en 2012, a été interpellé en Afghanistan, mis en examen depuis 2014 pour des faits en lien avec le terrorisme et condamné à une peine de prison ferme pour avoir tenté de s'évader de l'hôpital-prison de Seclin dans lequel il était incarcéré, il n'a plus aucun contact avec cet homme depuis son départ en Afghanistan ; que les éléments produits par le ministre n'étayent pas le fait qu'il entretienne des relations avec des personnes suspectées de radicalisme ; que s'il confirme avoir fondé en 2008 une association ayant pour objet l'initiation de la jeunesse et des autres générations au muay thaï (boxe thaïlandaise) et avoir eu un projet professionnel d'exercer en tant qu'instructeur fédéral en boxe thaï dans le cadre d'un contrat d'engagement réciproque avec le Centre communal d'action sociale de Bordeaux, cette association n'a jamais eu une activité effective et aucun élément n'établit que M. A...se serait livré à une activité d'entraînement de jeunes aux arts martiaux ; que l'existence d'une menace présentée par l'intéressé du fait de l'entraînement de jeunes convertis dans la pratique des arts martiaux n'est de ce fait nullement avérée ; que M. A... reconnaît avoir émis le souhait de quitter la France, mais pour rejoindre l'Arabie Saoudite et non pour partir en Syrie ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que compte tenu de l'ensemble des éléments recueillis au cours des échanges écrits et oraux, il apparaît, en l'état de l'instruction, que si, à la date à laquelle l'arrêté du 9 décembre 2015 a été pris, il pouvait exister des raisons sérieuses de penser que le comportement de M. A...était, eu égard notamment à l'adhésion sans réserve au courant salafiste que revendique M. A...et à la vulnérabilité de son profil psychologique, de nature à justifier une mesure d'assignation à résidence, cet arrêté porte, à la date de la présente ordonnance, en l'absence de tout élément avéré sur les contacts et sur le prosélytisme de l'intéressé, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir de M.A... ; qu'il y a lieu, par suite, d'en suspendre l'exécution ; qu'il suit de là que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a refusé de faire droit à sa demande ;

9. Considérant qu'il n'y a pas lieu d'admettre M. A...au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux du 28 janvier 2016 est annulée.

Article 2 : L'exécution de l'arrêté du ministre de l'intérieur en date du 9 décembre 2015 est suspendue.

Article 3 : M. A...n'est pas admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 396872
Date de la décision : 23/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 23 fév. 2016, n° 396872
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP TIFFREAU, MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:396872.20160223
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