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10/12/2015 | FRANCE | N°374318

France | France, Conseil d'État, 5ème / 4ème ssr, 10 décembre 2015, 374318


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Basse-Terre de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre / Les Abymes à l'indemniser des préjudices imputés à une erreur de diagnostic lors de sa prise en charge à la suite d'un accident du travail. Par un jugement n° 1000745 du 6 octobre 2011, le tribunal administratif a condamné le CHU à verser à M. A... une somme de 13 000 euros ainsi qu'une indemnité destinée à réparer une perte de rente accident du travail pour la période allant du 31 mai 1996 au 1er février 20

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Par un arrêt n° 11BX03233 et 12BX00020 du 18 juin 2013, la cour ad...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Basse-Terre de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre / Les Abymes à l'indemniser des préjudices imputés à une erreur de diagnostic lors de sa prise en charge à la suite d'un accident du travail. Par un jugement n° 1000745 du 6 octobre 2011, le tribunal administratif a condamné le CHU à verser à M. A... une somme de 13 000 euros ainsi qu'une indemnité destinée à réparer une perte de rente accident du travail pour la période allant du 31 mai 1996 au 1er février 2008.

Par un arrêt n° 11BX03233 et 12BX00020 du 18 juin 2013, la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel de M. A...et du CHU de Pointe-à-Pitre / Les Abymes a, d'une part, annulé ce jugement en tant qu'il omettait de statuer sur les conclusions de M. A...tendant à l'indemnisation du préjudice résultant du défaut de communication par le CHU de son dossier médical et rejeté cette demande, d'autre part, ramené à 10 400 euros la somme mise à la charge de l'établissement et, enfin, réduit de 20 % l'indemnité destinée à réparer la perte de rente accident du travail.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 décembre 2013 et 28 mars 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il ne fait pas intégralement droit à son appel et réduit le montant des indemnités accordées par le tribunal administratif ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel et de rejeter l'appel du CHU de Pointe-à-Pitre / Les Abymes ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Pointe-à-Pitre / Les Abymes la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Collet, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lévis, avocat de M. B...A...et à Me Le Prado, avocat du CHU de Pointe-à-Pitre / Les Abymes ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 12 septembre 1995, M. B... A...a été blessé au bras droit à la suite d'un accident du travail et admis au centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre / Les Abymes ; qu'en raison d'une lésion du plexus brachial droit qui n'avait pas été diagnostiquée, des douleurs chroniques se sont installées ainsi qu'une limitation de la mobilité du membre supérieur droit ; que l'intéressé a recherché la responsabilité de l'établissement devant le tribunal administratif de Basse-Terre qui, par un jugement du 6 octobre 2011, a estimé qu'une erreur fautive de diagnostic et une prise en charge inadaptée avaient contribué à aggraver et rendre chroniques les souffrances endurées mais que les séquelles fonctionnelles étaient exclusivement dues à l'accident du travail et n'avaient pas été aggravées par les fautes commises ; que le tribunal administratif a condamné le CHU à verser à M. A...une indemnité de 13 000 euros en réparation des souffrances physiques, du préjudice moral et des troubles subis du fait de l'absence de prise en compte de ses doléances ; que, constatant que l'intéressé n'avait perçu une rente d'accident du travail, au taux de 70 %, qu'à compter du 1er février 2008, alors qu'en l'absence d'erreur de diagnostic il aurait pu la percevoir dès le 31 mai 1996, le tribunal a mis en outre à la charge de l'établissement une indemnité destinée à compenser la perte subie entre ces deux dates ; que, par un arrêt du 18 juin 2013, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'une part, sur appel de M.A..., annulé le jugement en tant qu'il omettait de statuer sur ses conclusions relatives à la réparation des conséquences du défaut de communication de son dossier médical à l'expert puis évoqué et rejeté ces conclusions et, d'autre part, sur appel du CHU, estimé que les fautes commises avaient seulement fait perdre à l'intéressé une chance d'éviter les douleurs et la perte de rente d'accident du travail, fixé à 80 % la part de ces préjudices mis à la charge de l'établissement et réduit en conséquence les indemnités accordées par les premiers juges ; que M. A...demande l'annulation de cet arrêt en tant qu'il lui est défavorable ; que le CHU de Pointe-à-Pitre, par la voie d'un pourvoi incident, conteste l'arrêt en tant qu'il le condamne à verser une indemnité au titre d'une perte de rente accident du travail ;

Sur les conséquences du défaut de communication du dossier médical à l'expert :

2. Considérant que, pour rejeter les conclusions de M. A...tendant à la condamnation du CHU pour défaut de communication de son dossier médical à l'expert, la cour a relevé que ce dernier avait disposé des documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission ; que si M. A...fait valoir que ce défaut de communication avait retardé les opérations d'expertise devant le tribunal administratif, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la durée de ces opérations n'avait pas excédé six mois ; que, dans ces conditions, la cour a pu, sans erreur de droit et par une appréciation souveraine des pièces du dossier, exempte de dénaturation, juger que l'absence de communication du dossier n'avait causé à l'intéressé aucun préjudice lui ouvrant droit à réparation ;

Sur les conséquences des fautes commises dans le diagnostic et la prise en charge médicale :

3. Considérant, en premier lieu, que la cour administrative d'appel a estimé que si les fautes commises par le centre hospitalier avaient fait perdre à M. A...une chance de bénéficier d'une prise en charge plus précoce de ses douleurs, elles n'avaient eu aucune incidence sur ses séquelles fonctionnelles ; qu'en excluant ainsi toute indemnisation des conséquences des séquelles fonctionnelles, en particulier du préjudice d'agrément, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation et de contradiction de motifs ; qu'en évaluant à 80 % la perte de chance de prise en charge de la douleur, au vu d'un rapport d'expertise qui indiquait qu'en 1995 les techniques destinées à juguler les douleurs liées à la lésion du plexus brachial n'étaient pas complètement au point, la cour s'est également livrée à une appréciation souveraine des pièces du dossier, exempte de dénaturation et n'a pas commis d'erreur de droit ni entaché son arrêt de contradiction de motifs ; qu'en appliquant ce taux de perte de chance à l'évaluation du préjudice causé par l'aggravation et la chronicité des souffrances endurées, la cour n'a pas davantage commis d'erreur de droit ni entaché son arrêt de dénaturation ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que la cour, après avoir relevé que lors de son accident M. A...était employé dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée, s'est fondée sur l'absence de justificatifs concernant des pertes de gains professionnels futurs en lien avec la faute commise par le centre hospitalier pour rejeter les conclusions de l'intéressé tendant à l'indemnisation de ce chef de préjudice ; qu'en statuant ainsi, par un arrêt suffisamment motivé et qui n'est pas entaché de contradiction de motifs, elle n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'en jugeant qu'en l'absence de pièces produites le requérant n'établissait pas avoir engagé des frais médicaux qui seraient restés à sa charge, la cour n'a pas dénaturé les faits de l'espèce ;

5. Considérant, en troisième lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation souveraine et sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis que la cour a évalué les troubles dans les conditions d'existence et les souffrances endurées, respectivement, à 10 000 et 3 000 euros, et a en conséquence accordé à M.A..., compte tenu du coefficient de perte de chance retenu, qui n'est pas contesté, une indemnité globale de 10 400 euros au titre de ces deux chefs de préjudice ;

6. Considérant, en dernier lieu, qu'ainsi qu'il a été dit, les premiers juges, estimant que la faute commise en ne décelant pas la lésion du plexus brachial droit avait eu pour conséquence que la rente d'accident du travail, qui aurait pu être versée dès le 31 mai 1996, ne l'avait été qu'à compter du 1er février 2008, avaient mis à la charge de l'établissement la réparation de la perte subie entre ces deux dates ; que l'arrêt attaqué maintient le principe de cette indemnisation mais juge " qu'eu égard à la circonstance que le centre hospitalier n'est responsable que d'une perte de chance évaluée à 80 %, la somme qui sera versée par le centre hospitalier ne pourra représenter que 80 % (de la perte subie) " ;

7. Considérant que, contrairement à ce que soutient le CHU de Pointe-à-Pitre / Les Abymes, alors même qu'elle jugeait que le défaut de diagnostic de la lésion du plexus brachial lors de la prise en charge de M. A...après l'accident du 12 septembre 1995 n'avait pas eu d'incidence sur les séquelles fonctionnelles conservées par l'intéressé, la cour a pu, dans le cadre de son pouvoir souverain d'appréciation des faits de l'espèce, qu'elle n'a pas dénaturés, estimer comme les premiers juges que l'absence de constatation médicale de cette lésion l'avait empêché de bénéficier d'une rente d'accident du travail à une date antérieure à celle du 1er février 2008 à compter de laquelle elle lui a été effectivement versée ;

8. Considérant, en revanche, que, comme le soutient M.A..., rien ne justifiait d'appliquer le taux de 80 %, qu'elle avait, par ailleurs, retenu au titre d'une perte d'une chance de bénéficier d'une prise en charge plus précoce de la douleur, au préjudice résultant de l'impossibilité, en l'absence de diagnostic de la lésion du plexus brachial, d'obtenir une rente d'accident du travail, alors qu'il lui appartenait de rechercher l'existence d'un lien direct entre ce chef de préjudice et la faute commise par le centre hospitalier ; que l'arrêt est entaché sur ce point d'une erreur de droit ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que M A...n'est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué que dans la mesure où la cour a appliqué le taux de perte de chance de 80 % pour déterminer l'indemnité due au titre du préjudice résultant pour lui de l'impossibilité d'obtenir une rente d'accident du travail dès 1996 et, d'autre part, que le pourvoi incident du CHU de Pointe-à-Pitre / Les Abymes doit être rejeté ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre / Les Abymes, le versement d'une somme de 3 000 euros à M A...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 18 juin 2013 est annulé en tant qu'il applique le taux de perte de chance de 80% pour déterminer l'indemnité correspondant à la perte de revenus subie par M. A...du fait du retard de versement de la rente accident du travail.

Article 2 : Le pourvoi incident du centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre / Les Abymes est rejeté.

Article 3 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 4 : Le centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre / Les Abymes versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A...est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. B... A...et au centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre / Les Abymes.

Copie en sera adressée à la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe.


Synthèse
Formation : 5ème / 4ème ssr
Numéro d'arrêt : 374318
Date de la décision : 10/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-04-03 RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. RÉPARATION. ÉVALUATION DU PRÉJUDICE. - EVALUATION D'UN PRÉJUDICE DE PERTE DE CHANCE - EVALUATION DE LA PERTE DE CHANCE DE BÉNÉFICIER D'UNE PRISE EN CHARGE PLUS PRÉCOCE DISTINCTE DE L'ÉVALUATION DU PRÉJUDICE RÉSULTANT DE L'IMPOSSIBILITÉ D'OBTENIR UNE RENTE D'ACCIDENT DU TRAVAIL.

60-04-03 Une cour administrative d'appel qui, après avoir retenu un taux de 80% pour évaluer une perte d'une chance de bénéficier d'une prise en charge plus précoce de la douleur en raison d'une erreur fautive de diagnostic et d'une prise en charge inadaptée, commet une erreur de droit en appliquant ce même taux au préjudice résultant de l'impossibilité, en raison de cette erreur de diagnostic, d'obtenir une rente d'accident du travail, alors qu'il lui appartenait de rechercher l'existence d'un lien direct entre ce chef de préjudice et la faute commise par le centre hospitalier.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 déc. 2015, n° 374318
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Lionel Collet
Rapporteur public ?: Mme Laurence Marion
Avocat(s) : SCP LEVIS ; LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:374318.20151210
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