La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/11/2015 | FRANCE | N°373128

France | France, Conseil d'État, 3ème / 8ème ssr, 25 novembre 2015, 373128


Vu la procédure suivante :

La société Kermadec a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise la restitution de la somme de 599 379,66 euros correspondant aux retenues à la source prélevées sur les dividendes qui lui ont été distribués de 2004 à 2007 par la société française Total. Par un jugement n° 0805602 du 12 mai 2011, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 11VE02540 du 2 juillet 2013, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Kermadec contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés l...

Vu la procédure suivante :

La société Kermadec a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise la restitution de la somme de 599 379,66 euros correspondant aux retenues à la source prélevées sur les dividendes qui lui ont été distribués de 2004 à 2007 par la société française Total. Par un jugement n° 0805602 du 12 mai 2011, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 11VE02540 du 2 juillet 2013, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Kermadec contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 5 novembre 2013, 4 février 2014 et 29 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Kermadec demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention du 1er avril 1958 entre la France et le Luxembourg en matière d'impôts sur le revenu et la fortune ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Egerszegi, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Ortscheidt, avocat de la société Kermadec ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SA Kermadec, dont le siège social est situé au Grand-Duché de Luxembourg, a perçu au cours des années 2004 à 2007 des dividendes que lui a versés la société Total, établie en France, dans le capital de laquelle elle détenait une participation inférieure à 5% ; que ces dividendes ont fait l'objet d'une retenue à la source en application du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts ; que la société Kermadec demande l'annulation de l'arrêt du 2 juillet 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'elle a interjeté du jugement du 12 mai 2011 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant sa demande tendant à la restitution de la retenue à la source ainsi prélevée ;

Sur la retenue à la source acquittée sur les dividendes distribués au titre de l'année 2004 :

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R.196-1 du livre des procédures fiscales : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas :/ a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement (...) / Toutefois, dans les cas suivants, les réclamations doivent être présentées au plus tard le 31 décembre de l'année suivant celle, selon le cas :/ (...) b) Au cours de laquelle les retenues à la source et les prélèvements ont été opérés s'il s'agit de contestations relatives à l'application de ces retenues (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'absence de mention sur un avis d'imposition adressé par l'administration au contribuable du caractère obligatoire de la réclamation préalable, ainsi que des délais dans lesquels le contribuable doit exercer cette réclamation, fait obstacle à ce que les délais de réclamation lui soient opposables ; qu'en revanche, ces dispositions ne sont pas applicables lorsque le contribuable demande la restitution d'impositions versées par lui ou acquittées par un tiers sans qu'un titre d'imposition ait été émis ;

3. Considérant, d'une part, qu'en jugeant que, faute d'un titre d'imposition, la société n'était pas fondée à soutenir qu'en l'absence de la mention des voies et délais de recours sur un tel titre, aucun délai de forclusion n'était opposable à sa demande tendant à la restitution de la retenue à la source acquittée spontanément, pour son compte, par la société française distributrice, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;

4. Considérant, d'autre part, que la cour a suffisamment motivé son arrêt et n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les sociétés résidant en France soumises à l'impôt sur les sociétés et les sociétés non-résidentes soumises à la retenue à la source à raison de la perception de dividendes de source française n'étaient pas placées dans une situation identique au regard des modalités de recouvrement de l'impôt sur les dividendes et que cette diversité de techniques d'imposition était, d'une part, liée et proportionnée à la différence de situation entre ces deux catégories de sociétés et, d'autre part, justifiée par la nécessité de garantir l'efficacité du recouvrement de l'impôt ;

5. Considérant, en outre, que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la société n'était pas fondée à invoquer une prétendue discrimination entre les sociétés non-résidentes et les sociétés résidentes au regard de l'obligation de mention des voies et délais de recours prévue par l'article R. 421-5 du code de justice administrative dès lors que l'impôt sur les dividendes est acquitté spontanément par ces deux catégories de sociétés, sans émission préalable d'un titre d'imposition, qu'il s'agisse de l'impôt sur les sociétés pour les sociétés résidentes ou de la retenue à la source pour les sociétés non-résidentes ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 211-1 du livre des procédures fiscales : " L'administration des impôts peut prononcer d'office le dégrèvement ou la restitution d'impositions qui n'étaient pas dues jusqu'au 31 décembre de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle le délai de réclamation a pris fin (...) " ; que la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni insuffisamment motivé sa décision en jugeant qu'aucun principe du droit communautaire n'imposait à l'administration fiscale d'instruire au fond la demande présentée par la société et de faire usage du pouvoir gracieux qui lui est conféré par l'article R. 211-1 du code général des impôts ;

7. Considérant, en troisième lieu, que la société ne peut utilement faire valoir, pour la première fois en cassation, que les sociétés non-résidentes soumises à la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts seraient, au regard du délai de réclamation prévu à l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, discriminées par rapport aux sociétés résidentes soumises à l'impôt sur les sociétés ;

Sur la retenue à la source acquittée au titre des années 2005 à 2007 :

9. Considérant qu'aux termes du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'imposition en litige : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par le 1 de l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. (...) " ; qu'aux termes du 1 de l'article 187 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Le taux de la retenue à la source prévue à l'article 119 bis est fixé à : (...) 25 % pour tous les autres revenus (...) " ; que la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 fixe ce taux à 15 % pour les dividendes ;

10. Considérant qu'aucune disposition du droit interne français ne prévoit l'exonération des dividendes reçus par une société résidente qui ne relève pas du régime fiscal des sociétés mères lorsque ses résultats sont déficitaires ; qu'en effet, ces dividendes sont effectivement compris dans le résultat de cette société et viennent en diminution du déficit reportable ; que, lorsque le résultat de cette société redevient bénéficiaire, la diminution de ce déficit reportable implique que ces dividendes seront effectivement imposés à l'impôt sur les sociétés au titre d'une année ultérieure au taux de droit commun alors applicable ; que, s'il en résulte un décalage dans le temps entre la perception de la retenue à la source afférente aux dividendes payés à la société non résidente et l'impôt établi à l'encontre de la société établie en France au titre de l'exercice où ses résultats redeviennent bénéficiaires, ce décalage procède d'une technique différente d'imposition des dividendes perçus par la société selon qu'elle est non résidente ou résidente ; que le seul désavantage de trésorerie que comporte la retenue à la source pour la société non résidente ne peut ainsi être regardé comme constituant une différence de traitement caractérisant une restriction à la liberté de circulation des capitaux ; qu'en statuant ainsi, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;

11. Considérant, enfin, que, d'une part, la société ne peut utilement soutenir, pour la première fois en cassation, que les dividendes versés à des sociétés non-résidentes seraient soumis à la retenue à la source sur leur montant brut sans possibilité de déduire ultérieurement les frais directement liés à la perception de ces revenus, alors que les dividendes distribués aux sociétés résidentes ne seraient soumis à l'impôt sur les sociétés que pour un montant net, caractérisant par là même une autre restriction à la liberté de circulation des capitaux ; que, d'autre part, la société requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à se prévaloir de l'arrêt en date du 17 septembre 2015, C-10/14, C-14/14 et C-17/14 par lequel la Cour de justice de l'Union européenne a notamment dit pour droit que les articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'opposent à ce qu'un Etat membre impose une retenue à la source sur les dividendes distribués par une société résidente tant aux contribuables résidents qu'aux contribuables non-résidents en prévoyant un mécanisme de déduction ou de remboursement de cette retenue uniquement pour les contribuables résidents, pour critiquer l'arrêt attaqué qui statue sur une situation différente, dans laquelle la société non-résidente est soumise à une retenue à la source dont le taux d'imposition est plafonné à 15% en vertu de la convention fiscale franco-luxembourgeoise alors que les contribuables résidents sont soumis à l'impôt sur les sociétés dont le taux est plus élevé ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Kermadec n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : : Le pourvoi de la société Kermadec est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Kermadec et au ministre des finances et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 3ème / 8ème ssr
Numéro d'arrêt : 373128
Date de la décision : 25/11/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - RÉCLAMATIONS AU DIRECTEUR - DÉLAI - IMPOSITIONS VERSÉES SANS ÉMISSION D'UN TITRE D'IMPOSITION - CIRCONSTANCE QUE LE CONTRIBUABLE NE SOIT PAS INFORMÉ DES VOIES ET DÉLAIS DE RECOURS - ABSENCE D'INCIDENCE [RJ1].

19-02-02-02 Il résulte des articles R. 196-1 du livre des procédures fiscales (LPF) et R. 421-5 du code de justice administrative (CJA) que l'absence de mention sur un avis d'imposition adressé par l'administration au contribuable du caractère obligatoire de la réclamation préalable, ainsi que des délais dans lesquels le contribuable doit exercer cette réclamation, fait obstacle à ce que les délais de réclamation lui soient opposables. En revanche, ces dispositions ne sont pas applicables lorsque le contribuable demande la restitution d'impositions versées par lui ou acquittées par un tiers sans qu'un titre d'imposition ait été émis. En l'espèce, la forclusion est opposable à la demande d'un contribuable résident à l'étranger tendant à la restitution des retenues à la source acquittées pour son compte par une société française qui lui avait versé des dividendes.

PROCÉDURE - INTRODUCTION DE L'INSTANCE - DÉLAIS - IMPOSITIONS VERSÉES SANS ÉMISSION D'UN TITRE D'IMPOSITION - CIRCONSTANCE QUE LE CONTRIBUABLE NE SOIT PAS INFORMÉ DES VOIES ET DÉLAIS DE RECOURS - ABSENCE D'INCIDENCE SUR L'OPPOSABILITÉ DES DÉLAIS [RJ1].

54-01-07 Il résulte des articles R. 196-1 du livre des procédures fiscales (LPF) et R. 421-5 du code de justice administrative (CJA) que l'absence de mention sur un avis d'imposition adressé par l'administration au contribuable du caractère obligatoire de la réclamation préalable, ainsi que des délais dans lesquels le contribuable doit exercer cette réclamation, fait obstacle à ce que les délais de réclamation lui soient opposables. En revanche, ces dispositions ne sont pas applicables lorsque le contribuable demande la restitution d'impositions versées par lui ou acquittées par un tiers sans qu'un titre d'imposition ait été émis. En l'espèce, la forclusion est opposable à la demande d'un contribuable résident à l'étranger tendant à la restitution des retenues à la source acquittées pour son compte par une société française qui lui avait versé des dividendes.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, Section, 22 juillet 2015, Société Praxair, n° 388853, à publier au Recueil.


Publications
Proposition de citation : CE, 25 nov. 2015, n° 373128
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Anne Egerszegi
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP ORTSCHEIDT

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:373128.20151125
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award