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12/11/2015 | FRANCE | N°392772

France | France, Conseil d'État, 8ème / 3ème ssr, 12 novembre 2015, 392772


Vu la procédure suivante :

M. et Mme A...B..., à l'appui de leur demande tendant à la décharge de la totalité des contributions exceptionnelles sur les hauts revenus acquittées au titre des années 2012 et 2013 pour un montant total de 82 612 euros, ont produit un mémoire, enregistré le 28 avril 2015 au greffe du tribunal administratif de Paris, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1504552, 1505483 du 23 juillet 2015, enregistrée

le 19 août 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le prés...

Vu la procédure suivante :

M. et Mme A...B..., à l'appui de leur demande tendant à la décharge de la totalité des contributions exceptionnelles sur les hauts revenus acquittées au titre des années 2012 et 2013 pour un montant total de 82 612 euros, ont produit un mémoire, enregistré le 28 avril 2015 au greffe du tribunal administratif de Paris, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1504552, 1505483 du 23 juillet 2015, enregistrée le 19 août 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 2ème section du tribunal administratif de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande de M. et Mme B..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du I de l'article 2 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, notamment son article 2 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emmanuelle Petitdemange, auditeur,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 novembre 2015, présentée par M. et Mme B...;

1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant que le I de l'article 2 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, codifié à l'article 223 sexies du code général des impôts, a institué à la charge des contribuables passibles de l'impôt sur le revenu une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, déclarée, contrôlée et recouvrée selon les mêmes règles et sous les mêmes garanties et sanctions qu'en matière d'impôt sur le revenu, et calculée en appliquant un taux de 3 % à la fraction de revenu fiscal de référence du foyer fiscal comprise entre 250 000 euros et 500 000 euros pour les contribuables célibataires, veufs, séparés ou divorcés et entre 500 000 euros et 1 000 000 euros pour les contribuables soumis à imposition commune, puis un taux de 4 % à la fraction de revenu fiscal de référence du foyer fiscal supérieure à 500 000 euros pour les contribuables célibataires, veufs, séparés ou divorcés et supérieure à 1 000 000 euros pour les contribuables soumis à imposition commune ;

Sur l'atteinte au principe d'égalité devant la loi :

3. Considérant que le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789 ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;

4. Considérant que M. et Mme B...soutiennent que les dispositions contestées sont contraires au principe d'égalité devant la loi, en premier lieu, au motif qu'elles aboutissent à traiter différemment, au sein des foyers comprenant plusieurs personnes dont une seulement perçoit des revenus, d'une part les foyers où toutes les autres personnes sont à la charge du titulaire des revenus, qui sont assujettis à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus dès lors que ces revenus excèdent 250 000 euros, d'autre part les foyers où le titulaire des revenus est soumis à imposition commune avec son conjoint, qui ne sont assujettis à cette contribution que si ces revenus excèdent 500 000 euros ; que, toutefois, au regard de l'objet de cette contribution, consistant à demander un effort exceptionnel aux contribuables les plus aisés, la situation d'un foyer comprenant deux personnes soumises à imposition commune, dont aucune n'est à la charge de l'autre, est différente de celle d'un foyer comprenant deux personnes dont l'une est à la charge de l'autre ; que, par suite, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi, régler ces situations de façon différente ;

5. Considérant que si M. et Mme B...font valoir, en second lieu, que les seuils et l'assiette de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ne prennent en compte que les revenus d'origine française des non-résidents et non, comme c'est le cas pour les résidents, la totalité de leurs revenus, les contribuables résidents et non résidents sont, eu égard au caractère territorial de l'impôt en cause, dans une situation différente ; que, par suite, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d'égalité devant la loi, régler ces situations de façon différente ;

Sur l'atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques :

6. Considérant que M. et Mme B...soutiennent que les dispositions contestées sont contraires au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration de 1789 aux motifs que, d'une part, le législateur a omis de prendre en compte les charges de famille du contribuable et que, d'autre part, la contribution litigieuse est assise sur le revenu fiscal de référence, alors que ce dernier comprend des revenus exclus de l'assiette de l'impôt sur le revenu et qu'il a été créé afin de diminuer le montant de la taxe d'habitation et de la taxe foncière et non pour servir d'assiette à une imposition sur les revenus ;

7. Considérant qu'il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;

8. Considérant que le législateur a entendu instituer une contribution exceptionnelle sur les plus hauts revenus ; que cette contribution ne s'applique qu'à une fraction du revenu fiscal de référence excédant des seuils élevés ; que son montant est déterminé selon un barème progressif à deux tranches aux taux, respectivement de 3 % et 4 % ; que le nombre de personnes soumises à imposition commune au sein du foyer est pris en compte pour déterminer l'assujettissement à la contribution ; qu'enfin, un mécanisme de lissage permet d'atténuer les conséquences de la perception de revenus exceptionnels ; qu'eu égard à la volonté du législateur de mettre à contribution, par le biais de cette imposition, les titulaires des revenus les plus élevés, ces critères sont objectifs et rationnels, et n'entraînent pas, eu égard aux revenus en cause, dès lors qu'ils s'appliquent au foyer fiscal et alors même qu'ils ne tiennent pas compte des charges de famille du contribuable, de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; qu'à cet égard, la circonstance que l'assiette de cette contribution inclut des revenus exclus de l'assiette de l'impôt sur le revenu n'affecte pas sa pertinence au regard de l'appréciation des facultés contributives ;

Sur la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence :

9. Considérant que M. et Mme B...soutiennent que les dispositions contestées sont contraires aux dispositions de l'article 34 de la Constitution faute de préciser le fait générateur de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, et qu'elles portent ainsi atteinte, d'une part, à l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 et, d'autre part, au principe d'égalité devant les charges publiques ;

10. Considérant, d'une part, que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité, sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; que l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi n'est pas, en lui-même, un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;

11. Considérant, d'autre part, qu'il résulte des dispositions contestées que la contribution en cause est assise sur le revenu fiscal de référence du foyer fiscal tel que défini au 1° du IV de l'article 1417 du code générale des impôts, lequel le définit comme correspondant au " montant net après application éventuelle des règles de quotient définies à l'article 163-0 A des revenus et plus-values retenus pour l'établissement de l'impôt sur le revenu au titre de l'année précédente. (...) " ; qu'en vertu de l'article 12 du même code : " L'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année. " ; que l'article 223 sexies de ce code dispose par ailleurs que la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus est déclarée, contrôlée et recouvrée selon les mêmes règles et sous les mêmes garanties et sanctions qu'en matière d'impôt sur le revenu ; qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a fixé le fait générateur de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus par référence à celui de l'impôt sur le revenu et à la date du 31 décembre de l'année précédant l'année d'imposition ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le législateur aurait méconnu sa compétence et porté de ce fait atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques ne peut qu'être écarté ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les questions soulevées, qui ne sont pas nouvelles, ne présentent pas un caractère sérieux ; qu'il n'y a pas lieu, par suite, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Paris.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A...B...et au ministre des finances et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, ainsi qu'au tribunal administratif de Paris.


Synthèse
Formation : 8ème / 3ème ssr
Numéro d'arrêt : 392772
Date de la décision : 12/11/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 12 nov. 2015, n° 392772
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Emmanuelle Petitdemange
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:392772.20151112
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