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23/10/2015 | FRANCE | N°375733

France | France, Conseil d'État, 8ème ssjs, 23 octobre 2015, 375733


Vu la procédure suivante :

Le grand port maritime de Bordeaux a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de le décharger des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties dues au titre de l'année 2011. Par les articles 1er et 2 du jugement n° 1202505 du 31 décembre 2013, le tribunal administratif a fait droit à cette demande et mis à la charge de l'Etat la somme de 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un pourvoi enregistré le 24 février 2014, le ministre délégué, chargé du budget demande au Conseil d'Etat

d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement.

Vu les autres pièces du dos...

Vu la procédure suivante :

Le grand port maritime de Bordeaux a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de le décharger des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties dues au titre de l'année 2011. Par les articles 1er et 2 du jugement n° 1202505 du 31 décembre 2013, le tribunal administratif a fait droit à cette demande et mis à la charge de l'Etat la somme de 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un pourvoi enregistré le 24 février 2014, le ministre délégué, chargé du budget demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code des ports maritimes ;

- le code des transports ;

- la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 ;

- le décret n° 2008-1034 du 9 octobre 2008 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Anton, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, avocat du grand port maritime de Bordeaux ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le port autonome de Bordeaux a été transformé en un grand port maritime par décret du 9 octobre 2008 et a pris le nom de grand port maritime de Bordeaux ; qu'à raison d'installations de stockage d'hydrocarbures situées sur le territoire de la commune de Bassens, édifiées sur un terrain appartenant à l'Etat et exploitées par plusieurs sociétés dans le cadre d'un contrat de gérance avec le port autonome de Bordeaux, le grand port maritime a reçu deux avis d'imposition au titre de l'année 2011 portant sur la taxe foncière sur les propriétés bâties ; que, par le premier avis, l'administration fiscale désignait l'Etat comme redevable d'une somme de 301 445 euros et, par le second, elle désignait le port autonome de Bordeaux comme redevable d'une somme de 87 062 euros ; que le grand port maritime de Bordeaux a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de le décharger de la première imposition et de prononcer le dégrèvement partiel de la seconde imposition à concurrence de 74 786 euros ; que le ministre demande l'annulation des articles 1er et 2 du jugement du 31 décembre 2013 par lequel ce tribunal, qui a regardé le grand port maritime de Bordeaux comme ayant été assujetti à ces impositions, l'a déchargé de ces cotisations et a mis à la charge de l'Etat la somme de 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2. Considérant qu'une décision ministérielle du 11 août 1942, publiée au bulletin officiel des contributions directes de la même année, indique qu'un arrêté du 31 janvier 1942 a prévu que les ports autonomes seraient passibles à compter du 1er janvier 1942 de tous les impôts et taxes dus par les entreprises privées similaires mais reporte " à titre exceptionnel, au 1e janvier de l'année suivant celle de la cessation des hostilités l'application de l'arrêté du 31 janvier 1942 en tant qu'il est susceptible de modifier le régime des impôts directs applicables aux chambres de commerce maritimes et aux ports autonomes " ; que la réponse du ministre du budget à M. A..., député, publiée au journal officiel de l'Assemblée nationale du 23 février 1981, rappelle que, si " les terrains affectés à l'exploitation portuaire, de même que les constructions et installations appartenant aux ports autonomes sont, en principe, imposables à la taxe foncière sur les propriétés bâties (...) des décisions ministérielles prises après 1945, et maintenant une solution arrêtée pendant la seconde guerre mondiale, ont suspendu l'application de ces règles aux installations portuaires " ; qu'enfin, selon la documentation administrative de base référencée 6 C-121 du 15 décembre 1988, relative aux exonérations de taxe foncière sur les propriétés publiques, applicable aux impositions en litige : " en vertu de décisions ministérielles des 11 août 1942 et 27 avril 1943, le régime d'exonération des propriétés publiques antérieur au régime actuel qui résulte de l'article 4 de la loi du 28 juin 1941, continue de s'appliquer aux immeubles et installations dépendant des ports gérés par des ports autonomes ou des chambres de commerce " ; qu'il résulte de ce qui précède que l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties prévue par la décision ministérielle du 11 août 1942, reprise par la réponse ministérielle à M. A... et par la documentation administrative, bénéficie aux immeubles des ports autonomes ;

3. Considérant que la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire a ajouté aux catégories des ports maritimes et de pêche, notamment à celle des ports autonomes, la catégorie des grands ports maritimes ; que les dispositions de cette loi interdisent aux grands ports maritimes d'exploiter les outillages utilisés pour les opérations de chargement, de déchargement, de manutention et de stockage liées aux navires à l'issue d'un délai qui ne peut excéder deux ans à compter de l'adoption de leur projet stratégique et prévoient la cession à des opérateurs de terminaux de la propriété de ces outillages ou, le cas échéant, des droits réels qui leur sont attachés ; que la loi prévoit également la conclusion, avec l'Etat et, le cas échéant, les collectivités territoriales intéressées ou leurs groupements, de contrats pluriannuels aux fins de préciser les modalités de mise en oeuvre du projet stratégique des grands ports maritimes, ainsi que leur politique de versement de dividendes à l'Etat ; qu'ainsi, eu égard aux différences substantielles entre les grands ports maritimes créés par la loi et les ports autonomes, l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties prévue pour les seconds par la décision ministérielle du 11 août 1942, reprise par la réponse ministérielle à M. A... et par la documentation administrative mentionnées au point 2, ne saurait être regardée comme applicable aux premiers ;

4. Considérant que le tribunal administratif a jugé qu'il résultait de cette interprétation formelle de la loi fiscale que le ministre avait entendu exonérer les grands ports maritimes du paiement de la taxe foncière sur les propriétés bâties et a regardé comme sans influence sur la solution du litige la circonstance que l'établissement requérant, devenu un grand port maritime, n'était plus un port autonome ; qu'il résulte de ce qui précède qu'il a ainsi commis une erreur de droit ; qu'ainsi et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement qu'il attaque ;

5. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article 1400 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions des articles 1403 et 1404, toute propriété, bâtie ou non bâtie, doit être imposée au nom du propriétaire actuel " ; qu'aux termes de l'article 1403 du même code : " Tant que la mutation cadastrale n'a pas été faite, l'ancien propriétaire continue d'être imposé au rôle (...) " ; qu'aux termes de l'article 1415 du même code: " La taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe d'habitation sont établies pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition " ; qu'aux termes de l'article 1404 du même code : " Lorsque au titre d'une année une cotisation de taxe foncière a été établie au nom d'une personne autre que le redevable légal, le dégrèvement de cette cotisation est prononcé à condition que les obligations prévues à l'article 1402 aient été respectées. L'imposition du redevable légal au titre de la même année est établie au profit de l'Etat dans la limite de ce dégrèvement " ; qu'il résulte de ces dispositions que le juge de l'impôt est tenu, même en l'absence de toute demande des parties, de désigner le redevable légal de l'imposition au vu des éléments portés à sa connaissance et après avoir mis en cause ce redevable ;

7. Considérant qu'il résulte des termes de la loi du 4 juillet 2008 et de ses décrets d'application que les biens appartenant à l'Etat mais déjà remis en gestion au port autonome sont transférés en pleine propriété à la nouvelle structure du grand port maritime et qu'il doit être réalisé un inventaire contradictoire de ces biens entre les services de l'Etat et le grand port maritime ; qu'en tout état de cause, le transfert de propriété doit être formalisé par la publication d'un acte translatif de propriété à la conservation des hypothèques ;

8. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'avis d'imposition portant sur la somme de 301 445 euros que cette cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties n'a pas été mise à la charge du grand port maritime de Bordeaux mais à celle de l'Etat ; que le ministre soutient, sans être contredit, qu'à la date de l'imposition contestée, il n'avait été procédé ni à l'inventaire ni au transfert des biens qui appartenaient à l'Etat, dont faisaient partie les immeubles en cause, et qu'aucune publication du transfert de propriété n'avait ainsi été effectuée ; que, par suite, le grand port maritime de Bordeaux ne pouvait être redevable de l'imposition contestée ; que, dès lors, ses conclusions tendant à la décharge de cette imposition, lesquelles ont été établies à bon droit au nom de l'Etat, sont irrecevables et doivent être rejetées ;

9. Considérant, d'autre part, que le ministre fait valoir que c'est à tort que l'imposition de 87 062 euros mentionnée sur le second avis a été établie au nom du port autonome de Bordeaux, alors que ce dernier n'avait plus d'existence légale depuis qu'il avait été transformé en grand port maritime de Bordeaux, et soutient sans être utilement contesté que seul l'Etat était le redevable de l'imposition sur ce bien en l'absence d'acte translatif de propriété à la conservation des hypothèques ; que, par suite, le grand port maritime de Bordeaux est fondé à demander la décharge du port autonome de cette imposition à concurrence de la somme de 74 786 euros ;

10. Considérant qu'il y a, en revanche, lieu de désigner l'Etat comme le redevable légal de cette imposition et de la mettre à sa charge dès lors qu'il soutient lui-même que ces immeubles sont productifs de revenus et ne sont donc pas exonérés en vertu du 1° de l'article 1382 du code général des impôts ;

11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser au grand port maritime de Bordeaux au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du 19 avril 2013 du tribunal administratif de Bordeaux sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par le grand port maritime de Bordeaux devant le tribunal administratif de Bordeaux tendant à être déchargé de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties d'un montant de 301 445 euros au titre de l'année 2011 est rejetée.

Article 3 : Le port autonome de Bordeaux est déchargé de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties mise à la charge du port autonome de Bordeaux au titre de 2011 à hauteur de 74 786 euros dans les rôles de la commune de Bassens.

Article 4 : Une cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties d'un montant de 74 786 euros est mise à la charge de l'Etat au titre de 2011 dans les rôles de la commune de Bassens.

Article 5 : L'Etat versera au grand port maritime de Bordeaux la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et au grand port maritime de Bordeaux.


Synthèse
Formation : 8ème ssjs
Numéro d'arrêt : 375733
Date de la décision : 23/10/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 23 oct. 2015, n° 375733
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Anton
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, TEXIDOR

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:375733.20151023
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