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09/10/2015 | FRANCE | N°369417

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème ssr, 09 octobre 2015, 369417


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 juin et 17 septembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par les ministres de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et de l'économie et des finances sur son recours gracieux tendant au retrait du décret n° 2012-1405 du 14 décembre 2012 r

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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 juin et 17 septembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par les ministres de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et de l'économie et des finances sur son recours gracieux tendant au retrait du décret n° 2012-1405 du 14 décembre 2012 relatif à la contribution des fournisseurs à la sécurité d'approvisionnement en électricité et portant création d'un mécanisme d'obligation de capacité dans le secteur de l'électricité, ainsi que ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;

- la directive 2005/89/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 janvier 2006 ;

- la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;

- le règlement (CE) n° 714/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ;

- le code de l'énergie ;

- les arrêts C-8/74 du 11 juillet 1974, C-72/83 du 10 juillet 1984, C-379/98 du 13 mars 2001, C-482/99 du 16 mai 2002 et C-309/02 du 14 décembre 2004 de la Cour de justice des communautés européennes, et les arrêts C-262/12 du 19 décembre 2013 et C-573/12 du 1er juillet 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Maïlys Lange, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de Electricité de France ;

1. Considérant que les articles L. 335-1 à L. 335-7 du code de l'énergie instituent un dispositif de contribution des fournisseurs à la sécurité d'approvisionnement en électricité les soumettant à l'obligation de disposer de garanties directes ou indirectes, échangeables et cessibles, de capacités d'effacement de consommation et de production d'électricité, dont le gestionnaire du réseau public de transport a certifié la disponibilité et le caractère effectif, pouvant être mises en oeuvre pour satisfaire l'équilibre entre la production et la consommation d'électricité sur le territoire métropolitain continental ; que le décret attaqué du 14 décembre 2012, relatif à la contribution des fournisseurs à la sécurité d'approvisionnement en électricité et portant création d'un mécanisme d'obligation de capacité dans le secteur de l'électricité, a été pris pour l'application de ces dispositions ;

2. Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient l'association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), si l'Autorité de la concurrence a relevé, dans son avis du 12 avril 2012, la brièveté du délai qui lui avait été imparti pour instruire la demande d'avis du Gouvernement enregistrée le 16 mars, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'Autorité, qui a auditionné les parties prenantes et procédé à une analyse concurrentielle détaillée du projet de décret, aurait rendu son avis dans des conditions de nature à affecter la régularité du décret attaqué ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que l'ANODE soutient que le mécanisme de capacité institué par les articles L. 335-1 à L. 335-7 du code de l'énergie constitue une aide d'Etat qui n'a pas été notifiée à la Commission européenne et est incompatible avec le droit de l'Union, qu'il méconnaît les exigences de proportionnalité et de non-discrimination découlant des directives sectorielles applicables aux mesures prises par les Etats pour garantir la sécurité de l'approvisionnement en électricité, et qu'il met par lui-même, nécessairement et automatiquement, la société Electricité de France (EDF) en situation d'abuser de sa position dominante sur le futur marché des certificats de capacité, et de l'étendre sur le marché de la fourniture ; que pour répondre à ces moyens tirés de la méconnaissance du droit de l'Union soulevés à titre principal, il convient d'examiner l'ensemble formé par les dispositions législatives et règlementaires applicables au mécanisme de capacité, alors même qu'ils sont dirigés contre la seule base légale du décret attaqué ;

Sur la méconnaissance alléguée des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 107, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. " ; qu'il ressortit à la compétence exclusive de la Commission européenne de décider, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne, si une aide de la nature de celles mentionnées à l'article 107 précité est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché intérieur ; qu'il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité de dispositions de droit national qui auraient institué une telle aide en méconnaissance de l'obligation, qu'impose aux Etats membres le paragraphe 3 de l'article 108 du traité, d'en notifier le projet à la Commission, préalablement à toute mise à exécution ; qu'il résulte de l'interprétation que la Cour de justice a donnée des stipulations de l'article 107, paragraphe 1 du traité (ancien article 87, paragraphe 1 CE), notamment dans ses arrêts C-482/99 du 16 mai 2002 (point 24) et C-262/12 du 19 décembre 2013 (point 16) que pour qu'un avantage puisse être qualifié d'aide au sens de ces stipulations, il doit, d'une part, être imputable à l'Etat et, d'autre part, être accordé directement ou indirectement au moyen de ressources d'Etat ;

5. Considérant qu'il résulte des dispositions du décret attaqué que le mécanisme de capacité, créé par le législateur, fonctionne entièrement sous la supervision du gestionnaire de réseau de transport et de l'autorité de régulation ; qu'il est dès lors imputable à l'Etat ; que toutefois, ni la quantité de produits offerts sur le marché de capacité, qui dépend des capacités de production ou d'effacement de consommation dont la disponibilité et le caractère effectif auront pu être certifiés, ni la valeur marchande des garanties de capacité, déterminée par la rencontre entre cette offre et la demande des fournisseurs, elle-même fonction des caractéristiques de consommation de leurs clients et, par suite, du risque de rupture de l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité en France métropolitaine continentale, ne sont contrôlées par l'Etat ; que celui-ci fixe uniquement le plafond du prix de cession à travers la détermination de la sanction pécuniaire infligée aux fournisseurs qui ne justifient pas détenir la garantie de capacité nécessaire à l'accomplissement des obligations dont ils ont la charge, en vertu de l'article L. 335-7 du code de l'énergie ; que l'Etat n'intervient pas davantage dans la perception des sommes versées en échange des garanties de capacité ; que ces dernières, qui constituent certes pour leurs détenteurs un actif incorporel ayant une valeur monétaire, résultent de la certification de la disponibilité et du caractère effectif des capacités des exploitants, et n'auraient donc pas pu être directement vendues ou mises en adjudication par l'Etat ; qu'il suit de là que la négociabilité des garanties de capacité, à supposer qu'elle constitue un avantage conféré aux exploitants de capacités de production et d'effacement de consommation, ne peut être regardée comme une renonciation par l'Etat à une ressource existante ou potentielle ; que le moyen tiré de ce que la mesure critiquée constituerait une aide d'Etat au sens des stipulations de l'article 107, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui aurait dû être notifiée à la Commission européenne en application de l'article 108, paragraphe 3 du traité, doit, dès lors, être écarté ;

Sur la méconnaissance alléguée des directives 2009/72/CE du 13 juillet 2009 et 2005/89/CE du 18 janvier 2006 :

6. Considérant qu'aux termes de l'article 3, paragraphe 2 de la directive du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité : " En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité, en particulier de son article 86, les Etats membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l'électricité, dans l'intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d'approvisionnement (...). Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables et garantissent aux entreprises d'électricité de l'Union un égal accès aux consommateurs nationaux. " ; qu'il résulte de ces dispositions que les obligations de service public qu'elles permettent aux Etats membres d'imposer aux entreprises du secteur de l'électricité doivent respecter l'exigence de proportionnalité découlant de l'article 106, paragraphe 2 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ancien article 86, paragraphe 2 CE), et par suite être limitées à ce qui est strictement nécessaire pour atteindre les objectifs d'intérêt économique général poursuivis ; que cette exigence est également affirmée à l'article 3, paragraphe 4 de la directive du 18 janvier 2006 concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement en électricité et les investissements dans les infrastructures, qui dispose que : " Les Etats membres veillent à ce que toute mesure adoptée conformément à la présente directive ne soit pas discriminatoire et ne constitue pas une charge déraisonnable pour les acteurs du marché, y compris les nouveaux arrivants et les entreprises ayant une faible part de marché. Avant de prendre des mesures, les Etats membres tiennent aussi compte de leur impact sur le coût de l'électricité pour les clients finals. " ;

7. Considérant que l'ANODE soutient que, par principe, un mécanisme de capacité de marché décentralisé ne peut permettre de garantir la réalisation de l'objectif de sécurité d'approvisionnement en électricité, et que les distorsions de concurrence qui seront induites par la création du marché de capacité, résultant notamment du renforcement de la position dominante de l'opérateur historique, iront au-delà de ce qui serait nécessaire pour contribuer à la sécurité d'approvisionnement, d'autant que d'autres dispositions législatives permettent d'atteindre cet objectif par le développement de capacités de production de pointe ; que la requérante en déduit que le mécanisme créé par les articles L. 335-1 à L. 335-7 du code de l'énergie ne répond pas à l'exigence de proportionnalité découlant des dispositions citées au point 6 et qu'il présente, en outre, un caractère discriminatoire au détriment des fournisseurs alternatifs dont la part du marché de capacité sera faible voire inexistante, en méconnaissance des mêmes dispositions ;

En ce qui concerne le principe de la création d'un mécanisme de capacité :

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la création par le législateur d'un mécanisme d'obligation de capacité dans le secteur de l'électricité procède du constat, étayé notamment par les bilans prévisionnels pluriannuels établis par le gestionnaire du réseau de transport, de l'incapacité des dispositifs existants à garantir la sécurité d'approvisionnement en électricité, au vu des risques pesant sur cette sécurité d'approvisionnement lors des périodes de pointe de consommation et de la nécessité d'assurer une rémunération de la disponibilité des capacités de production et d'effacement durant ces périodes ; que la création de ce nouveau mécanisme n'a pas entraîné l'abrogation des dispositions permettant le développement de nouvelles capacités de production, ni empêché l'adoption de nouvelles dispositions tendant à encourager la maîtrise de la consommation d'électricité, dont l'application doit entraîner la réduction du risque pesant sur la sécurité d'approvisionnement et par suite, du prix de la garantie de capacité ; qu'il suit de là que le marché de capacité demeure subsidiaire par rapport aux alternatives existantes de développement de nouvelles capacités de production ou d'outils de maîtrise de la consommation ; que, dans son principe, la création d'un tel mécanisme ne méconnaît dès lors pas l'exigence de proportionnalité découlant des directives mentionnées ;

En ce qui concerne les caractéristiques retenues pour le mécanisme de capacité :

9. Considérant que l'exigence de proportionnalité doit être regardée comme satisfaite si la règlementation en cause est propre à garantir la réalisation des objectifs d'intérêt économique général invoqués, et si la méthode retenue et la durée de la règlementation ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs ;

10. Considérant, en premier lieu, que l'ANODE fonde ses critiques relatives à l'efficacité du mécanisme sur son caractère décentralisé, qui serait moins à même d'atteindre la cible adéquate pour garantir la sécurité d'approvisionnement en électricité des consommateurs que des mécanismes centralisés tels que des réserves de capacité ou des appels d'offres ; qu'elle soutient que le caractère erratique du prix résultant de la combinaison des anticipations d'une multiplicité d'acteurs ne peut constituer un signal clair pour les investisseurs, alors que l'un des objectifs poursuivis par la règlementation critiquée est l'incitation à investir dans de nouvelles capacités de pointe ; qu'elle ajoute que le pouvoir règlementaire a d'ailleurs ajouté au mécanisme de capacité prévu par la loi un dispositif centralisé transitoire dit de " sécurisation ", fondé sur des appels d'offres ;

11. Considérant que plusieurs dispositions du décret attaqué ont pour objet de maîtriser les risques, dénoncés par l'ANODE, pesant sur l'efficacité du mécanisme ; qu'ainsi, l'article 18 du décret, en prévoyant la publication, par le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité, pendant la période de quatre ans précédant chaque année de livraison, et au moins une fois par an pour chaque année de livraison, des prévisions relatives au niveau global de garanties de capacité permettant de satisfaire l'obligation de capacité de tous les fournisseurs, crée les conditions pour une anticipation satisfaisante des besoins d'investissements en de nouvelles capacités ; qu'en prévoyant la publicité du registre, renseigné par les fournisseurs et les consommateurs, des mesures visant à maîtriser la consommation pendant les périodes de pointe, il limite en outre le risque de mauvaise anticipation de leurs obligations par les fournisseurs, calculées en fonction de la puissance de référence de leurs clients qui intègre la puissance effacée ; que les acteurs du marché disposent dès lors d'éléments d'information et de délais suffisants pour que le caractère décentralisé du mécanisme ne puisse être regardé comme étant une cause d'inefficacité ; que si les articles 22 et 23 du décret attaqué mettent en place à titre transitoire un dispositif dit " de sécurisation " consistant en la possibilité de lancer des appels d'offres de nouvelles capacités, ce dispositif, qui a vocation à accompagner la création du marché de capacité, est limité dans le temps aux six premières années de livraison et dans ses modalités à l'occurrence d'un risque exceptionnel de déséquilibre entre l'offre et la demande d'électricité au regard des bilans prévisionnels prévus à l'article L. 141-1 du code de l'énergie ; qu'il ne méconnaît dès lors pas l'exigence de proportionnalité, ni par son existence même, ni en ce qu'il révèlerait l'inefficacité du mécanisme pérenne décentralisé ;

12. Considérant, en second lieu, que le mécanisme de capacité porte sur toutes les capacités, existantes ou en projet, de production d'électricité ou d'effacement de consommation situées en France métropolitaine continentale dont le gestionnaire du réseau public de transport a certifié la disponibilité et le caractère effectif ; que l'ANODE soutient que ce choix d'un marché comprenant toutes les capacités, et non uniquement les capacités de pointe, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi, notamment en ce qu'il conduit à conférer à la société EDF une position dominante sur le marché de capacité et à la mettre nécessairement en situation d'étendre celles qu'elle détient sur le marché amont de la production et, par la création d'un ciseau tarifaire, sur le marché aval de la fourniture ;

13. Considérant, toutefois, que si le mécanisme de capacité a été conçu pour répondre à la problématique de la sécurité d'approvisionnement à la pointe, en incitant à la maîtrise de la consommation et à l'investissement dans de nouvelles installations de production, il ne ressort pas des pièces du dossier que le choix de conférer une rémunération supplémentaire à toutes les capacités, sans distinction selon la technologie employée ou l'ancienneté de la capacité, irait au-delà de ce qui serait nécessaire pour atteindre les objectifs visés par le législateur, dès lors que toutes les capacités disponibles sont effectivement mobilisées à la pointe de la consommation d'électricité et qu'un des risques que le mécanisme de capacité a vocation à pallier est celui de l'arrêt d'exploitation de capacités existantes nécessaires à la sécurité d'approvisionnement mais dont la rentabilité ne peut être assurée par la seule rémunération de la production ; qu'il y a lieu de répondre à l'argument fondé sur les conséquences de ce choix en termes de concurrence entre les fournisseurs en examinant le moyen tiré de ce que l'opérateur historique serait, du fait de ces caractéristiques, automatiquement placé en situation d'abuser de sa position dominante ;

Sur la méconnaissance alléguée des stipulations des articles 102 et 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

14. Considérant, il est vrai, que la position dominante de l'opérateur historique sur le marché de la production d'électricité et, dans une moindre mesure, sur le marché de la fourniture, lui confèrera nécessairement une part prédominante du marché de garanties de capacité, qui aurait été moins importante, eu égard à la structure de son parc de production, si le législateur avait fait le choix d'un mécanisme rémunérant les seules capacités de production de pointe ; que cette part sera toutefois diminuée, en application de l'article 21 du décret, par l'inclusion, dans le produit cédé dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, de la garantie de capacité ; que l'obligation de présenter une demande de certification, mise à la charge des exploitants de capacité par le I de l'article 8 du décret, et dont le respect est contrôlé par le gestionnaire du réseau de transport ou de distribution auquel la capacité est raccordée et la Commission de régulation de l'énergie en vertu du III de l'article 11, ainsi que la tenue du registre, à caractère public, des capacités certifiées, par le gestionnaire du réseau de transport qui calcule, pour chaque année de livraison et chaque capacité certifiée, le niveau de capacité effectif, permettent de prévenir le risque de rétention de capacités par l'opérateur historique ; que l'article 17 du décret attaqué confie à l'autorité de régulation le soin de veiller à la transparence du marché de capacité et des marchés dérivés en recueillant les informations relatives aux caractéristiques des cessions, notamment de leur prix, et son article 19 donne au ministre chargé de l'énergie la possibilité, sur proposition de cette autorité, d'imposer que tout ou partie des transactions soit effectué par le biais d'une plate-forme publique d'échange ; qu'ainsi, ni le décret attaqué ni la loi dont il fait application ne placent nécessairement et automatiquement l'opérateur historique en situation de commettre un abus de position dominante sur les marchés de la production, de la fourniture et de la capacité par éviction des opérateurs alternatifs ; qu'enfin, si l'article L. 337-6 prévoit que les tarifs réglementés de vente d'électricité, seulement proposés par l'opérateur historique et les entreprises locales de distribution, sont établis en tenant compte du coût du complément à la fourniture d'électricité qui inclut la garantie de capacité, cette inclusion n'a pas pour objet et ne peut avoir pour effet d'organiser l'éviction des opérateurs alternatifs du marché de la fourniture, puisqu'elle leur permet au contraire de proposer des tarifs inférieurs aux tarifs réglementés ; qu'ainsi, la mesure critiquée ne peut être regardée comme affectant la structure du marché en créant des conditions inégales de concurrence entre les entreprises, en méconnaissance des stipulations combinées des articles 102 et 106, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ni, par suite, comme méconnaissant à ce titre les dispositions des directives citées au point 6 ;

Sur le moyen tiré, à titre subsidiaire, de la méconnaissance des articles 34 et 35 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

15. Considérant qu'aux termes du troisième alinéa de l'article L. 335-2 du code de l'énergie : " Le mécanisme d'obligation de capacité prend en compte l'interconnexion du marché français avec les autres marchés européens. " ; qu'il résulte toutefois de la définition de la capacité donnée par l'article 1er du décret attaqué que la faculté de certification n'est donnée qu'aux exploitants de capacités de production ou d'effacement situées en France métropolitaine continentale ; que selon le second alinéa de son article 3 : " Les interconnexions du marché français de l'électricité avec les autres marchés européens sont prises en compte dans la détermination de l'obligation de capacité ; leur effet est intégré dans la détermination du coefficient de sécurité tenant compte du risque de défaillance. " ; que son article 20 dispose que : " Un an après la publication des règles relatives au mécanisme de capacité, et ensuite chaque année, la Commission de régulation de l'énergie remet au ministre chargé de l'énergie un rapport, établi sur la base des travaux du gestionnaire de réseau de transport, sur l'intégration du mécanisme de capacité dans le marché européen. Ce rapport inclut des informations relatives à l'évolution, dans les pays voisins, de la régulation relative à la contribution des acteurs à la sécurité d'approvisionnement en électricité. Il analyse l'interaction entre le mécanisme de capacité français et les dispositifs mis en place dans ces pays. Il propose, le cas échéant, des améliorations du fonctionnement du mécanisme de capacité. " ;

16. Considérant qu'aux termes de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les Etats membres. " ; qu'il résulte notamment des arrêts de la Cour de justice C-309/02 du 14 décembre 2004 (point 53) et C-573/12 du 1er juillet 2014 (point 57) que, lorsqu'un domaine a fait l'objet d'une harmonisation exhaustive au niveau communautaire, tout mesure nationale y relative doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d'harmonisation et non pas de celles du droit primaire ; que, toutefois, ni la directive du 18 janvier 2006 concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l'approvisionnement en électricité et les investissements dans les infrastructures ni la directive du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité ne peuvent être regardées comme réalisant une telle harmonisation, les Etats membres demeurant... ; qu'il suit de là que l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne est applicable au litige ; qu'il résulte de l'interprétation que la Cour de justice en a donnée, notamment dans ses arrêts C-8/74 du 11 juillet 1974 (point 5) et C-379/98 du 13 mars 2001 (point 69), qu'il vise toute mesure nationale susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire ; qu'ainsi que la Cour de justice l'a jugé, notamment dans son arrêt C-573/12 du 1er juillet 2014 (point 76), une telle mesure peut être justifiée par l'une des raisons d'intérêt général énumérées à l'article 36 du traité ou par des exigences impératives mais, dans l'un et l'autre cas, elle doit, conformément au principe de proportionnalité, être propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint ;

Quant à la qualification de mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative :

17. Considérant que le décret litigieux n'a ni pour objet ni pour effet de réglementer les échanges d'électricité ; que s'il octroie aux exploitants de capacités nationales un complément de rémunération résultant de la cession des garanties de capacités, que ne peuvent obtenir les exploitants de capacités étrangères exclus de la faculté de certification de la disponibilité et du caractère effectif de leurs capacités, et s'il soumet l'ensemble des fournisseurs, quelles que soient leurs sources d'approvisionnement en électricité, à une obligation d'achat de garanties de capacité délivrées à des capacités disponibles sur le territoire métropolitain continental, l'avantage susceptible d'en résulter pour la production nationale par rapport aux importations d'électricité est modéré par la prise en compte des interconnexions dans la détermination du coefficient de sécurité tenant compte du risque de défaillance, laquelle réduit à due concurrence les obligations de capacité des fournisseurs, et, par suite, le prix de la garantie de capacité et le supplément de rémunération octroyé aux exploitants de capacités nationales ; que la question se pose de savoir si, bien que le mécanisme de capacité ne rémunère les capacités qu'en fonction de leur disponibilité et non de leur production effective, et eu égard à la prise en compte des effets des interconnexions dans la détermination des obligations des fournisseurs, de nature à distendre le lien de causalité entre l'exclusion du mécanisme des capacités étrangères, opérée par le décret, et l'effet restrictif sur les échanges d'électricité transfrontaliers susceptible d'en résulter, en termes de choix d'allocation des ressources des investisseurs et de choix d'approvisionnement des fournisseurs, l'article 34 du traité doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une telle mesure d'exclusion ;

Quant à la justification susceptible d'être apportée à une telle mesure :

18. Considérant qu'aux termes de l'article 36 du traité : " Les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons (...) de sécurité publique (...). Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les Etats membres. " ; qu'il résulte de l'interprétation que la Cour de justice en a donnée, notamment dans son arrêt C-72/83 du 10 juillet 1984 (points 34 et 35), que la continuité de l'approvisionnement énergétique peut constituer un objectif couvert par la notion de sécurité publique au sens de ces stipulations, dès lors que le fonctionnement non seulement de l'économie d'un Etat, mais surtout de ses institutions et de ses services publics essentiels, et même la survie de sa population en dépendent ; que la création du mécanisme de capacité français poursuit, ainsi qu'il a notamment été dit au point 8, un tel objectif de sécurité d'approvisionnement en électricité de la population résidant sur le territoire métropolitain continental ; que la question se pose néanmoins de savoir si, eu égard à l'évolution du cadre juridique européen désormais constitué par la directive du 13 juillet 2009 précitée, laquelle, ainsi qu'il ressort de son considérant 62, a pour objectif la création d'un marché intérieur de l'électricité pleinement opérationnel, permettant la vente de l'électricité dans des conditions identiques grâce à un réseau interconnecté, et par le règlement (CE) no 714/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, sur les conditions d'accès au réseau pour les échanges transfrontaliers d'électricité, l'objectif de sécurité d'approvisionnement en électricité de la population d'un Etat membre demeure susceptible d'être couvert par la notion de sécurité publique prévue par l'article 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui constitue l'une des raisons susceptibles de justifier des restrictions à l'importation ;

Quant à la proportionnalité :

19. Considérant qu'il n'est pas contesté que les capacités étrangères contribuent à la sécurité d'approvisionnement des consommateurs métropolitains dans la mesure permise par les interconnexions avec les pays voisins ; que leur exclusion du mécanisme de capacité ne pourrait dès lors être regardée comme justifiée et proportionnée à l'objectif de sécurité d'approvisionnement en électricité que si aucune autre mesure techniquement réalisable et moins restrictive des échanges entre les Etats membres n'était propre à garantir l'atteinte de cet objectif ; que le ministre soutient, sans être contredit, qu'une participation explicite des capacités situées à l'étranger au mécanisme de capacité n'est actuellement pas techniquement réalisable, du fait de l'impossibilité de mesurer la contribution réelle de telles capacités à la sécurité d'approvisionnement des consommateurs métropolitains et d'exercer un contrôle sur leur disponibilité et leur caractère effectif ; qu'en effet, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne en a fait le constat dans ses arrêts C-379/98 du 13 mars 2001 (point 79) et C-573/12 du 1er juillet 2014 (point 87), la nature de l'électricité est telle que, une fois admise dans le réseau de transport ou de distribution, il est difficile d'en déterminer l'origine ; que dans le cadre d'un mécanisme de capacité de marché et décentralisé, cette exclusion des capacités étrangères apparaît ainsi techniquement justifiée ; qu'elle peut être regardée comme proportionnée au regard des dispositions du décret qui prévoient, d'une part, une mesure de compensation de son effet restrictif sur les échanges par la prise en compte des interconnexions dans la détermination du coefficient de sécurité et, d'autre part, sa limitation dans le temps par la recherche constante, sur l'initiative du régulateur, d'une meilleure intégration du mécanisme de capacité français dans le marché européen ; que, toutefois, d'autres mécanismes de capacité, tels que des réserves stratégiques ou des appels d'offres, ne conduiraient pas nécessairement à exclure dans les mêmes proportions les capacités étrangères ; que par suite, la question se pose de savoir quels critères peuvent permettre de vérifier si, eu égard notamment à la marge d'appréciation laissée aux Etats membres quant à la définition des politiques propres à assurer leur sécurité d'approvisionnement en électricité, un mécanisme de capacité de marché et décentralisé tel que celui conçu par le législateur français, lequel implique, dans l'état actuel du marché européen de l'électricité, une mesure d'exclusion des capacités étrangères compensée par la prise en compte des interconnexions dans la détermination des obligations des fournisseurs, est susceptible de répondre à la condition de proportionnalité exigée pour l'application de l'article 36 du traité ;

20. Considérant que les questions posées aux points 17, 18 et 19, déterminantes pour la décision que doit prendre le Conseil d'Etat, doivent être regardées comme présentant une difficulté sérieuse ; qu'il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête de l'ANODE ;

D E C I D E :

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Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête de l'ANODE jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante :

Les articles 34 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à un mécanisme de capacité dans le secteur de l'électricité tel que celui en cause au principal, notamment décrit aux points 1, 15 et 17 à 19 de la présente décision '

En particulier :

a) Bien que le mécanisme ne rémunère les capacités qu'en fonction de leur disponibilité et non de leur production effective, et eu égard à la prise en compte des effets des interconnexions dans la détermination des obligations des fournisseurs, de nature à distendre le lien de causalité entre l'exclusion du mécanisme des capacités étrangères, opérée par le décret, et l'effet restrictif sur les échanges d'électricité transfrontaliers susceptible d'en résulter, en termes de choix d'allocation des ressources des investisseurs et de choix d'approvisionnement des fournisseurs, l'article 34 du traité doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une telle mesure d'exclusion '

b) Eu égard à l'évolution du cadre juridique européen régissant le marché intérieur de l'électricité, l'objectif de sécurité d'approvisionnement en électricité de la population d'un Etat membre est-il susceptible d'être couvert par la notion de sécurité publique prévue par l'article 36 du traité '

c) Eu égard notamment à la marge d'appréciation laissée aux Etats membres quant à la définition des politiques propres à assurer leur sécurité d'approvisionnement en électricité, quels sont les critères qui peuvent permettre de vérifier si un mécanisme de capacité de marché et décentralisé qui implique, dans l'état actuel du marché européen de l'électricité, une mesure d'exclusion des capacités étrangères compensée par la prise en compte des interconnexions dans la détermination des obligations des fournisseurs, est susceptible de répondre à la condition de proportionnalité exigée pour l'application de l'article 36 du traité '

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie, au Premier ministre, à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et au président de la Cour de justice de l'Union européenne.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, à la Commission de régulation de l'énergie, à l'Autorité de la concurrence et à Electricité de France.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 09 oct. 2015, n° 369417
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Maïlys Lange
Rapporteur public ?: M. Frédéric Aladjidi
Avocat(s) : SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Formation : 9ème - 10ème ssr
Date de la décision : 09/10/2015
Date de l'import : 17/12/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 369417
Numéro NOR : CETATEXT000031309591 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2015-10-09;369417 ?
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