Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision de la caisse d'allocations familiales du Bas-Rhin du 13 juillet 2009 refusant de lui accorder le revenu de solidarité active et la décision du président du conseil général du Bas-Rhin du 21 septembre 2009 confirmant ce refus et d'enjoindre à la caisse d'allocations familiales et au département de lui attribuer le revenu de solidarité active.
Par un jugement n° 1000664 du 18 décembre 2012, le tribunal administratif de Strasbourg a reconnu à Mme B...le droit au revenu de solidarité active (RSA) à compter du 1er mai 2009 et a enjoint au président du conseil général du Bas-Rhin de procéder au calcul et au versement de la somme due de cette date au 31 janvier 2010.
Par un arrêt n° 13NC00279 du 28 octobre 2013, la cour administrative d'appel de Nancy a, à la demande du département du Bas-Rhin, annulé le jugement du tribunal administratif de Strasbourg et rejeté la demande présentée par Mme B...à ce tribunal.
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 février et 28 mai 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 28 octobre 2013 ;
2°) de mettre à la charge du département du Bas-Rhin la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Gaschignard, son avocat, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble son protocole additionnel n° 1 ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Cytermann, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de MmeB..., et à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat du département du Bas-Rhin ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A...B..., alors ressortissante marocaine, s'est vu refuser le bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) par une décision du 21 septembre 2009 du président du conseil général du Bas-Rhin, au motif qu'elle ne justifiait pas du respect de la condition de cinq ans de résidence régulière en France avec un titre de séjour autorisant à travailler, prévue par l'article L. 262-4 du code de l'action sociale et des familles ; que Mme B...se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 octobre 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, après avoir annulé le jugement du 18 décembre 2012 du tribunal administratif de Strasbourg lui reconnaissant le droit au bénéfice du RSA, a rejeté ses conclusions dirigées contre cette décision ;
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Considérant qu'il ressort de la minute de l'arrêt attaqué que celle-ci a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ; que le moyen tiré de ce que l'arrêt aurait été rendu en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative doit, par suite, être écarté ;
Sur le moyen tiré de l'incompatibilité des dispositions de l'article L. 262-4 du code de l'action sociale et des familles avec les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ; qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec l'objet de la loi ;
4. Considérant que l'article L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Toute personne résidant en France de manière stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures à un revenu garanti, a droit au revenu de solidarité active dans les conditions définies au présent chapitre. (...) " ; que le droit au RSA, qui est prévu par la législation applicable, doit être regardé comme un droit patrimonial au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. Considérant que selon l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le revenu de solidarité active a pour objet d'assurer à ses bénéficiaires des moyens convenables d'existence, d'inciter à l'exercice d'une activité professionnelle et de lutter contre la pauvreté de certains travailleurs, qu'ils soient salariés ou non salariés " ; qu'en vertu de l'article L. 262-4 du même code : " Le bénéfice du revenu de solidarité active est subordonné au respect, par le bénéficiaire, des conditions suivantes : (...) 2° Etre français ou titulaire, depuis au moins cinq ans, d'un titre de séjour autorisant à travailler. Cette condition n'est pas applicable : a) Aux réfugiés, aux bénéficiaires de la protection subsidiaire, aux apatrides et aux étrangers titulaires de la carte de résident ou d'un titre de séjour prévu par les traités et accords internationaux et conférant des droits équivalents ; b) Aux personnes ayant droit à la majoration prévue à l'article L. 262-9, qui doivent remplir les conditions de régularité du séjour mentionnées à l'article L. 512-2 du code de la sécurité sociale (...) " ;
6. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le RSA a notamment pour objet d'inciter à l'exercice ou à la reprise d'une activité professionnelle ; que la stabilité de la présence sur le territoire national, dans une situation l'autorisant à occuper un emploi, du demandeur de cette prestation est de nature à contribuer à cet objectif ; que la condition de durée de résidence sous couvert d'un titre de séjour autorisant à travailler fixée par l'article L. 262-4 concourt également à assurer la maîtrise des dépenses à la charge des départements et de l'Etat ; que les dispositions critiquées poursuivent ainsi des objectifs qui peuvent être regardés comme d'utilité publique ;
7. Considérant que la condition de résidence stable et effective en France assortie de la possibilité de travailler s'impose à l'ensemble des demandeurs de la prestation quelle que soit leur nationalité ; que les Français et les étrangers n'étant objectivement pas placés dans la même situation au regard de cette condition, le législateur a pu prévoir que le respect de celle-ci devait être attesté, pour les étrangers, par une durée de résidence préalable sous couvert d'un titre de séjour autorisant à travailler ; qu'une durée de cinq ans n'apparaît pas disproportionnée ; que l'article L. 262-4 prévoit en outre des exceptions en faveur des titulaires de la carte de résident, pour lesquels la stabilité de la présence en France est assurée par la durée de dix ans et par le caractère renouvelable de plein droit de ce titre de séjour, et des réfugiés, apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire, qui ne peuvent retourner dans leur pays d'origine ; que, par ailleurs, les étrangers en situation régulière ne répondant pas aux conditions fixées par cet article ont notamment accès aux prestations familiales, aux aides personnelles au logement et aux prestations de l'aide sociale à l'enfance et peuvent ainsi bénéficier d'autres prestations ; que, dans ces conditions, le rapport entre les buts visés et les moyens employés peut être regardé comme raisonnablement proportionné ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'article L. 262-4 du code de l'action sociale et des familles sont compatibles avec les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention doit être écarté ;
Sur le moyen tiré de l'incompatibilité des dispositions de l'article L. 262-4 du code de l'action sociale et des familles avec les stipulations de l'article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant :
9. Considérant que l'article 51.1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne stipule que : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union (...) " ; que les dispositions législatives contestées ne mettant pas en oeuvre le droit de l'Union, le moyen tiré de ce qu'elles seraient incompatibles avec l'article 24 de la Charte, soulevé devant les juges du fond, était inopérant ; qu'il convient de l'écarter pour ce motif, qui doit être substitué au motif retenu par la cour ;
10. Considérant que l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 stipule que : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " ; qu'en jugeant que le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations par la décision de refus du bénéfice du RSA pouvait être écarté au motif que la loi fixe une règle objective n'imposant pas au département d'exercer une appréciation individuelle tenant compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, sans rechercher si la loi elle-même était compatible avec ces stipulations, la cour a commis une erreur de droit ;
11. Considérant cependant qu'ainsi qu'il a été dit au point 7 de la présente décision, les étrangers en situation régulière ne répondant pas aux conditions fixées par l'article L. 262-4 du code de l'action sociale et des familles ont accès aux prestations familiales, aux aides personnelles au logement et aux prestations de l'aide sociale à l'enfance et ne sont donc pas privés de toute ressource ; que le montant de ces prestations tient compte du nombre d'enfants ; qu'en outre, les parents isolés répondant aux conditions définies par l'article L. 262-9 du même code ont droit au bénéfice du RSA sans avoir à justifier d'une durée de résidence de cinq ans ; qu'eu égard à l'ensemble du régime législatif ainsi applicable, les dispositions de l'article L. 262-4 ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'article 3.1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; que ce motif, qui répond à un moyen soulevé devant les juges du fond et ne comporte l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif juridiquement erroné retenu par l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel, dont il justifie légalement le dispositif ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de Mme B... doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme B...est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et au département du Bas-Rhin.
Copie en sera adressée pour information à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.