La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/06/2015 | FRANCE | N°390640

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 24 juin 2015, 390640


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un mémoire de production enregistrés les 2, 3 et 22 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société NC Numericable demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution 1/ de la délibération du 23 mars 2015 prise par l'Autorité de la concurrence dans le cadre du suivi des injonctions de la décision n° 12-DCC-100 du 23 juill

et 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de TPS et CanalSatellite par Vi...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un mémoire de production enregistrés les 2, 3 et 22 juin 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société NC Numericable demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution 1/ de la délibération du 23 mars 2015 prise par l'Autorité de la concurrence dans le cadre du suivi des injonctions de la décision n° 12-DCC-100 du 23 juillet 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de TPS et CanalSatellite par Vivendi et Groupe Canal Plus (GCP), 2/ de la décision ayant considéré sans objet les considérations des décisions n° 12-DCC-100 et 13-DAG-01 ayant pour effet de prévenir l'acquisition par GCP de droits exclusifs de diffusion sur la plateforme câblée de Numericable, formalisée par un courrier du 31 mars 2015 adressé le 2 avril 2015 à Numericable-SFR, 3/ de la décision contenue dans la réponse de l'Autorité de la concurrence sur la question de la fusion des plateformes de Numericable et de SFR dans la décision n° 14-DCC-160 du 30 octobre 2014 formalisée par un courrier du 31 mars 2015 adressé le 2 avril 2015 à Numericable-SFR ;

2°) de mettre à la charge de l'Autorité de la concurrence la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est recevable dès lors qu'elle est dirigée contre un acte lui faisant grief ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'exécution des décisions contestées porte une atteinte grave et immédiate à ses intérêts et à l'intérêt public tenant au respect du libre jeu de la concurrence ;

- il existe des moyens de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions litigieuses ;

- elles sont en effet entachées d'incompétence, de défaut de motivation et de vices de procédure ;

- elles sont entachées d'une erreur de droit dès lors que l'Autorité de la concurrence s'est fondée sur des constatations relatives à la prise de contrôle de SFR par Numericable pour modifier la portée juridique de décisions relatives au contrôle d'une autre opération de concentration ;

- elles sont entachées d'une erreur d'appréciation, dès lors que l'Autorité de la concurrence a retenu à tort que les considérations des décisions n° 12-DCC-100 et 13-DAG-01 étaient désormais sans objet.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2015, la Société Groupe Canal Plus conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société NC Numericable la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors que la requête au fond est elle-même irrecevable ;

- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la société requérante, ayant eu connaissance des risques d'une telle opération, est à l'origine de la situation qu'elle invoque et que les décisions contestées ne portent pas atteinte à sa situation financière ;

- aucun des moyens soulevés n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2015, l'Autorité de la concurrence conclut au rejet de la requête.

Elle soutient :

- à titre principal que la requête est dirigée contre un acte purement recognitif, insusceptible de recours ;

- à titre subsidiaire, que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par la société NC Numericable n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées.

Par une intervention et un mémoire de production, enregistrés les 18 et 22 juin 2015, la société Eurosport France demande que le Conseil d'Etat rejette la requête de la société NC Numericable.

Par une intervention et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 et 23 juin 2015, la société Bouygues Télécom demande que le Conseil d'Etat rejette la requête de la société NC Numericable.

Par une intervention, enregistrée le 18 juin 2015, la société anonyme Orange demande que le Conseil d'Etat rejette la requête de la société NC Numericable.

Par une intervention, enregistrée le 18 juin 2015, la société Free demande que le Conseil d'Etat rejette la requête de la société NC Numericable.

Vu la copie de la requête à fin d'annulation des décisions contestées ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société NC Numericable, d'autre part, l'Autorité de la concurrence, la société Groupe Canal Plus, la société Eurosport France, la société Bouygues Télécom, la société Free et la société Orange ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 23 juin 2015 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Trichet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation avocat de la société NC Numericable ;

- les représentants de la société NC Numericable ;

- les représentants de l'Autorité de la concurrence ;

- Me Piwnica, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Groupe Canal Plus ;

- les représentants de la société Groupe Canal Plus ;

- Me Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la de la société Free ;

- les représentants de la société Free ;

- Me Texidor, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Eurosport France ;

- les représentants de la société Eurosport France ;

- Me Lecuyer, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Bouygues Télécom ;

- les représentants de la société Bouygues Télécom ;

- Me Blaise Capron avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation avocat de la société Orange ;

- les représentants de la société Orange ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 juin 2015, présentée pour la société NC Numericable ;

1. Considérant que la société Bouygues Telecom, la société Eurosport France, la société Free et la société Orange ont intérêt au maintien de l'exécution de la délibération dont la suspension est demandée ; qu'ainsi leurs interventions sont recevables ;

2. Considérant que, par la décision n° 12-DCC-100 du 23 juillet 2012, l'Autorité de la concurrence a autorisé les sociétés Groupe Canal Plus (GCP) et Vivendi Universal à regrouper au sein de la société Canal Plus les activités de la télévision payante TPS et de GCP ; qu'elle a assorti cette autorisation d'injonctions, imposant en particulier à GCP, dans les contrats de distribution conclus avec les éditeurs, de " valoriser de manière transparente et distincte la distribution sur chaque plateforme propriétaire [...] en identifiant de manière précise la valeur, le cas échéant, de l'exclusivité accordée pour la distribution sur chaque plateforme en cause ", en précisant que devaient être pris en compte le nombre d'abonnés desservis par les plateformes ; que, par la décision n° 13-DAG-01du 7 juin 2013, elle a précisé la portée de cette injonction en indiquant que les abonnés pris en compte à ce titre devaient être effectivement desservis, ce qui impliquait que GCP ne puisse acquérir " les droits exclusifs pour la distribution de chaînes sur la plateforme du câblo-opérateur Numéricable, sur laquelle CanalSat n'est [...] pas proposé aux abonnés " ; que, par la décision n° 14-DCC-160 du 30 octobre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de SFR par le groupe Altice, l'Autorité de la concurrence a précisé que, dans l'hypothèse où la nouvelle entité constituée par ces deux sociétés " déciderait de fusionner les plateformes propriétaires de Numericable et de SFR à l'issue de l'opération [de concentration], la circonstance que CanalSat soit proposé en auto-distribution à une partie de ses abonnés (en l'occurrence les abonnés historiques de SFR), pourrait permettre à GCP de négocier des exclusivités pour l'ensemble de cette nouvelle plateforme " ;

3. Considérant que, par courrier du 23 janvier 2015, GCP a demandé à l'Autorité de la concurrence de prendre position sur la question de la fusion des plateformes de Numericable et de SFR ; que, par une délibération du 23 mars 2015 dont le sens et les motifs sont révélés par le courrier du 31 mars 2015 adressé par le Président de l'Autorité à Numericable-SFR, l'Autorité de la concurrence a estimé que les plateformes de Numericable et de SFR avaient fusionné et que, par suite, l'injonction, analysée au point 2, qui était formulée dans la décision du 23 juillet 2012 et précisée par celle du 7 juin 2013, ayant pour effet de prévenir l'acquisition par GCP de droits exclusifs de diffusion sur la plateforme de Numericable, était devenu sans objet ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment des débats qui se sont tenus à l'audience, que la société NC Numericable doit être regardée comme demandant la suspension de cette délibération ;

4. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

5. Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

6. Considérant, en premier lieu, que la société requérante soutient que la délibération dont la suspension de l'exécution est demandée porte une atteinte grave et immédiate à sa situation, en ce qu'elle permet à GCP de négocier des accords de distribution exclusive, mettant ainsi cette société en mesure de la priver de la possibilité d'acquérir les droits de distribution de certaines chaînes de télévision payantes, parmi lesquelles elle mentionne Disney Channel et Eurosport, qui seraient selon elle non substituables et dont la perte porterait atteinte à l'attractivité de son offre de télévision ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que la négociation des contrats conférant des droits exclusifs de diffusion des chaînes Eurosport et Disney Channel est actuellement en cours et qu'ainsi, à supposer que le maintien de ces chaînes dans son offre commerciale soit nécessaire à la préservation de sa clientèle, la société NC Numericable dispose encore de la faculté de reconduire les contrats qui la lient à ces chaînes en surenchérissant sur les offres faites par GCP ; qu'en outre les contrats portant sur les droits exclusifs de diffusion ne sont conclus que pour des périodes comprises entre trois et cinq ans et font donc l'objet de renégociations périodiques ; qu'au demeurant une éventuelle suspension, qui protègerait les intérêts de la société requérante, affecterait symétriquement les droits des tiers, et notamment ceux de la société GCP et des sociétés avec lesquelles celle-ci est en cours de négociation ; que, dans ces conditions, l'atteinte portée à la situation de la société requérante par la délibération en cause ne justifie pas que son exécution soit suspendue ;

7. Considérant, en second lieu, que la requérante soutient que la délibération du 23 mars 2015 porte atteinte à l'intérêt public que constitue le maintien d'une concurrence non faussée ; que, toutefois, par cette délibération, l'Autorité de la concurrence a seulement estimé qu'il y avait lieu, sur un point particulier, de modifier la portée pratique d'une des injonctions dont elle avait assorti l'autorisation délivrée dans le cadre de sa décision du 23 juillet 2012 ; qu'il ne résulte pas de l'instruction, notamment des arguments échangés lors de l'audience, que cette délibération porterait, à la préservation de la concurrence sur le marché de la distribution de la télévision payante, une atteinte qu'il serait urgent de faire cesser ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'urgence ne justifie pas la suspension de l'exécution de la délibération du 23 mars 2015 de l'Autorité de la concurrence ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées par l'Autorité de la concurrence et GCP, que la requête de la société NC Numericable doit être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par GCP au titre de ces mêmes dispositions ;

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : Les interventions de la société Eurosport France, de la société Bouygues Télécom, de la société Free et de la société Orange sont admises.

Article 2 : La requête de la société NC Numericable est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Groupe Canal Plus au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société NC Numericable, à l'Autorité de la concurrence, à la société Groupe Canal Plus, à la société Eurosport France, à la société Bouygues Télécom, à la société Free et à la société Orange.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 24 jui. 2015, n° 390640
Inédit au recueil Lebon
RTFTélécharger au format RTF
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP CAPRON ; SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET ; SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, TEXIDOR ; SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP MEIER-BOURDEAU, LECUYER

Origine de la décision
Formation : Juge des référés
Date de la décision : 24/06/2015
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 390640
Numéro NOR : CETATEXT000030853927 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2015-06-24;390640 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award