Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 août et 12 novembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Mutuelle centrale de réassurance demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 juin 2014 de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, en tant qu'elle la met en demeure de mettre, avant le 31 décembre 2014, trois clauses de ses statuts en conformité avec les dispositions du code des assurances ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des assurances ;
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Mutuelle centrale de réassurance et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 612-31 du code monétaire et financier : " L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution peut mettre en demeure toute personne soumise à son contrôle de prendre, dans un délai déterminé, toutes mesures destinées à sa mise en conformité avec les obligations au respect desquelles l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a pour mission de veiller. " ; qu'en application de ces dispositions, par une décision du 12 juin 2014, le vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a, sur la base d'un rapport de contrôle définitif du 7 août 2013 et après l'avoir informée de la mesure qu'il envisageait de prendre et l'avoir invitée à présenter ses observations, mis en demeure la société Mutuelle centrale de réassurance de se mettre en conformité, avant le 31 décembre 2014, avec diverses obligations prévues par le code des assurances ; que la société Mutuelle centrale de réassurance demande l'annulation de cette décision en tant qu'elle la met en demeure de mettre trois clauses de ses statuts en conformité avec les articles R. 322-58 et R. 322-82 de ce code ;
2. Considérant, en premier lieu, que la deuxième phrase du premier alinéa de l'article R. 322-58 du code des assurances dispose que l'assemblée générale des sociétés d'assurance mutuelles " se compose soit de tous les sociétaires à jour de leurs cotisations, soit de délégués élus par ces sociétaires " ; que l'article 13 des statuts de la société Mutuelle centrale de réassurance stipule que son assemblée générale est composée de cinquante délégués-sociétaires élus à jour de leur cotisation d'assurance ainsi que des associés et des mutuelles sociétaires à jour de leur cotisation de réassurance ; que les dispositions précitées de l'article R. 322-58 du code des assurances prévoient, de manière alternative, deux modes possibles de composition de l'assemblée générale d'une société d'assurance mutuelle, sans ouvrir de possibilité de les combiner ; que ces dispositions, justifiées par l'exigence d'un bon fonctionnement des assemblées générales, ne portent atteinte, contrairement à ce qui est soutenu, ni à la liberté d'entreprendre, ni à la liberté du commerce et de l'industrie, ni à la liberté contractuelle ; que l'ACPR en a fait une exacte application en mettant en demeure la société requérante de modifier ses statuts pour mettre fin à la participation simultanée de sociétaires et de délégués à son assemblée générale ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 322-82 du code des assurances : " Les sociétés réassurées ne peuvent faire partie de la société à laquelle elles se réassurent, au même titre que les autres sociétaires, que si une disposition expresse des statuts de cette dernière société les y autorise. / (...) " ;
4. Considérant que l'article 6 des statuts de la société Mutuelle centrale de réassurance stipule que " la qualité de sociétaire peut également être acquise, sur décision du conseil d'administration, aux sociétés d'assurance et de réassurance mutuelle " ; que, par la décision attaquée, l'ACPR a mis en demeure la société requérante de " modifier les statuts afin de laisser l'assemblée générale souveraine dans le choix ou non d'admettre les cédantes au titre de sociétaire " en indiquant qu'il résultait de l'article R. 322-82 du code des assurances que l'admission de sociétés réassurées au statut de sociétaire ne pouvait être prononcée par le conseil d'administration ; que, toutefois, les dispositions précitées de l'article R. 322-82 du code des assurances, qui se bornent à prescrire une autorisation expresse des statuts d'une société de réassurance pour que puissent être admises des sociétés réassurées par elle parmi ses sociétaires, ne font pas obstacle à ce que les statuts habilitent le conseil d'administration à décider une telle admission ; que, par suite, la société Mutuelle centrale de réassurance est fondée à demander, sur ce point, l'annulation de la décision de l'ACPR du 12 juin 2014 ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du dernier alinéa de l'article R. 322-58 du code des assurances: " Tout sociétaire a droit à une voix et une seule, sans qu'il puisse être dérogé à cette règle par les statuts. " ; que le dernier alinéa de l'article R. 322-82 du même code dispose que : " Toutefois, les statuts des sociétés ayant pour objet exclusif la réassurance peuvent attribuer à chacune des sociétés réassurées un nombre de voix aux assemblées générales déterminé en fonction des cotisations cédées ou en fonction du nombre des adhérents de la société réassurée. Chaque société réassurée dispose toutefois d'au moins une voix. Le quorum requis pour la validité des délibérations doit alors être atteint à la fois en nombre de sociétés réassurées et en nombre de voix dont elles disposent. " ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 322-26-6 du code des assurances : " Les sociétés mutuelles et leurs unions ne peuvent accepter de risques en réassurance que dans les conditions fixées par le décret prévu à l'article L. 310-7 " ; qu'en vertu de l'article L. 310-7 du même code, un décret en Conseil d'Etat fixe, notamment, les règles de constitution de ces entreprises et les règles générales de leur fonctionnement ; que, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions précitées ne méconnaissent pas l'habilitation ainsi donnée au pouvoir réglementaire par la loi ; que la faculté offerte aux sociétés exerçant à titre exclusif une activité de réassurance de déroger à la règle " un sociétaire, une voix " et de fonder ainsi sur l'importance et le volume des risques réassurés le nombre des voix des sociétés réassurées aux assemblées générales de leur réassureur répond au souci de prendre en compte la spécificité de l'activité de réassurance, qui s'exerce entre professionnels ; qu'en revanche, participent nécessairement aux assemblées générales des sociétés qui ne pratiquent pas à titre exclusif la réassurance sociétaires non-professionnels et sociétaires professionnels ; que la différence de situation entre ces deux catégories de sociétés justifie que le pouvoir réglementaire ait établi des règles de fonctionnement différentes pour l'une et l'autre ; que la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l'objet de la réglementation qui l'établit ; que le moyen tiré de ce que la possibilité de déroger à la règle " un sociétaire, une voix ", ouverte par l'article R. 322-82 du code des assurances aux sociétés ayant pour objet exclusif la réassurance méconnaîtrait le principe d'égalité ne peut qu'être écarté ;
7. Considérant qu'il est constant que, si elle est spécialisée dans la réassurance, la société Mutuelle centrale de réassurance exerce également une activité d'assurance et n'entre pas, dès lors, dans le champ de la dérogation prévue au dernier alinéa de l'article R. 322-82 du code des assurances précité ; que c'est ainsi en contradiction avec les dispositions précitées de l'article R. 322-58 du même code que l'article 13 de ses statuts prévoit que les associés détiennent " une voix, plus une voix supplémentaire par tranche entière de 3 000 000 euros de cotisations cédées en réassurance au titre de l'exercice précédant l'assemblée avec un maximum de dix voix./ Ce nombre pourra être augmenté afin que le nombre de voix des associés ne soit pas inférieur à 40 " ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Mutuelle centrale de réassurance est seulement fondée à demander l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle la met en demeure de modifier l'article 6 de ses statuts ;
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'ACPR ; qu'il il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'ACPR au même titre ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 12 juin 2014 de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution est annulée en tant qu'elle met en demeure la société Mutuelle centrale de réassurance de modifier l'article 6 de ses statuts.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Mutuelle centrale de réassurance est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Mutuelle centrale de réassurance et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
Copie en sera adressée pour information au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.