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17/04/2015 | FRANCE | N°374602

France | France, Conseil d'État, 3ème / 8ème ssr, 17 avril 2015, 374602


Vu la requête, enregistrée le 13 janvier 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'Association régionale des producteurs de fromages fermiers de Corse, représentée par sa présidente ; l'Association régionale des producteurs de fromages fermiers de Corse demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'article 9-1 et le 5° du A de l'article 12 du décret n° 2007-628 du 27 avril 2007 issus du décret n° 2013-1010 du 12 novembre 2013 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 1169/2011 du Parlement européen

et du Conseil du 25 octobre 2011 ;

Vu le code rural et de la pêche maritime ; ...

Vu la requête, enregistrée le 13 janvier 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'Association régionale des producteurs de fromages fermiers de Corse, représentée par sa présidente ; l'Association régionale des producteurs de fromages fermiers de Corse demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'article 9-1 et le 5° du A de l'article 12 du décret n° 2007-628 du 27 avril 2007 issus du décret n° 2013-1010 du 12 novembre 2013 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 ;

Vu le code rural et de la pêche maritime ;

Vu le code de la consommation ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Méar, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 640-2 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version applicable à la date du décret attaqué : " Les produits agricoles, forestiers ou alimentaires et les produits de la mer peuvent, dans les conditions prévues par le présent titre et lorsqu'il n'y a pas de contradiction avec la réglementation communautaire, bénéficier d'un ou plusieurs modes de valorisation appartenant aux catégories suivantes : (...) 2° Les mentions valorisantes : (...) - le qualificatif " fermier " ou la mention " produit de la ferme " ou " produit à la ferme " ; qu'aux termes de l'article L. 112-8 du code de la consommation : " Les conditions d'utilisation du qualificatif " fermier ", des mentions " produit de la ferme ", " produit à la ferme ", " vin de pays " (...) sont fixées par l'article L. 641-19 du code rural et de la pêche maritime " ; qu'aux termes de l'article L. 641-19 du code rural et de la pêche maritime : " Sans préjudice des réglementations communautaires ou nationales en vigueur à la date de promulgation de la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 d'orientation agricole et des conditions approuvées à la même date pour bénéficier d'un label agricole, l'utilisation du qualificatif " fermier ", des mentions " produit de la ferme ", " produit à la ferme " (...) est subordonnée au respect de conditions fixées par décret " ; qu'enfin aux termes des deux premiers alinéas de l'article R. 112-7 du code de la consommation : " L'étiquetage et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas être de nature à créer une confusion dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur, notamment sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et notamment sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, l'origine ou la provenance, le mode de fabrication ou d'obtention. (...)" ;

2. Considérant qu'il résulte des dispositions citées ci-dessus que diffèrent par leur finalité et leur régime juridique, et doivent donc être distingués, les signes d'identification de qualité et de l'origine qui attestent une qualité liée, pour certains d'entre eux, à une origine géographique, à une tradition ou à un mode de production " biologique ", et les mentions valorisantes " fermier ", " produit de la ferme " ou " produit à la ferme ", qui indiquent une origine fermière des produits évoquant, dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur, une élaboration de ces produits à ses différents stades, sous la responsabilité directe de l'exploitant, selon des méthodes excluant les techniques de production à caractère industriel ;

3. Considérant que le premier alinéa de l'article 9-1 du décret du 27 avril 2007 relatif aux fromages et spécialités fromagères, dans sa rédaction issue du décret du 12 novembre 2013, réserve, dans sa première phrase, la dénomination " fromage fermier ", ou tout autre qualificatif laissant entendre une origine fermière, " à un fromage fabriqué selon les techniques traditionnelles par un producteur agricole ne traitant que les laits de sa propre exploitation sur le lieu même de celle-ci " ; que, toutefois, aux termes de la seconde phrase de ce premier alinéa : " Lorsque l'affinage a lieu en dehors de l'exploitation, l'étiquetage comporte les mentions prévues au 5° du A de l'article 12 " ; que l'article 12 du même décret prévoit que la dénomination de vente est complétée par : / [ ...] 5° " La mention " fabriqué à la ferme puis affiné par l'établissement " suivie du nom de l'affineur, dans le cas des fromages fermiers tels que définis à l'article 9-1 mais dont la phase d'affinage a été réalisée en dehors de l'exploitation agricole. Cette mention suit immédiatement la dénomination " fromage fermier ". La taille des caractères de ces mentions est identique " ; qu'il ressort des termes de sa requête que l'association requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 9-1 et du 5° de l'article 12 du décret du 27 avril 2007, au motif que ces dispositions étendent le bénéfice de la dénomination " fromage fermier " ou de tout autre qualificatif laissant entendre une origine fermière à des fromages affinés en dehors de l'exploitation ;

4. Considérant que l'affinage constitue la phase d'élaboration d'un fromage dit " affiné " pendant laquelle le produit est maintenu pendant un certain temps à la température et dans les conditions nécessaires pour que s'opèrent les changements biochimiques et physiques caractéristiques du fromage en vue d'être prêt à la consommation ; qu'il est ainsi partie intégrante du processus de fabrication, qu'il parachève, d'un fromage affiné ;

5. Considérant que, ainsi qu'il a été dit au point 2, la mention valorisante " fermier " évoque, dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur, une élaboration du produit, à ses différents stades, sous la responsabilité directe de l'exploitant, selon des méthodes excluant les techniques de production à caractère industriel ; que si la première phrase du premier alinéa de l'article 9-1 du décret du 27 avril 2007 le rappelle, la seconde phrase de cet alinéa et le 5° de l'article 12 étendent le bénéfice de la dénomination " fromage fermier " ou de tout autre qualificatif laissant entendre une origine fermière à des fromages affinés en dehors de l'exploitation sans préciser les modalités selon lesquelles le processus d'affinage demeure sous la responsabilité de l'exploitant et sans réserver la possibilité d'un affinage en dehors de l'exploitation à des établissements qui excluent le recours à des techniques de production à caractère industriel ; qu'à cet égard, si comme le fait valoir le gouvernement en défense, les dispositions de l'article 10 du même décret n'autorisent l'emploi des produits mentionnés aux 1° à 10° de cet article pour la fabrication des fromages fermiers que " sous réserve du respect des techniques traditionnelles inhérentes à ce type de fromages ", ces dispositions ne suffisent pas, à elles seules, à garantir l'exclusion de techniques industrielles et le maintien de la responsabilité directe de l'exploitant dans l'élaboration du produit aux différents stades de production lorsque le processus d'affinage a lieu en dehors de l'exploitation ;

6. Considérant, par suite, que l'association requérante est fondée à soutenir que les dispositions qu'elle attaque sont de nature, en omettant de préciser certaines des garanties d'une élaboration fermière des fromages aux différents stades de production lorsque l'affinage a lieu en dehors de l'exploitation, à créer un doute dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur sur le caractère fermier de ces fromages affinés en dehors de l'exploitation ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, l'association requérante est fondée à soutenir que la seconde phrase du premier alinéa de l'article 9-1 et le 5° de l'article 12 du décret du 27 avril 2007, issus du décret du 12 novembre 2013, sont entachés d'excès de pouvoir et doivent être annulés ;

7. Considérant que l'annulation des dispositions litigieuses du décret du 27 avril 2007 a pour effet de supprimer rétroactivement toute possibilité de faire légalement bénéficier tout fromage affiné en dehors de l'exploitation de la possibilité de bénéficier de la mention valorisante " fromage fermier " ou de tout autre qualificatif laissant entendre une origine fermière ; qu'il ressort en l'espèce des pièces du dossier, en particulier des réponses des parties à la mesure d'instruction ordonnée sur ce point par la 3ème sous-section, chargée de l'instruction de l'affaire, que la disparition rétroactive des dispositions en cause serait de nature à fragiliser, sur le plan économique et financier, la situation des producteurs qui ont recouru à l'affinage de leurs produits en dehors de l'exploitation alors même que l'établissement d'affinage est sous leur responsabilité et ne fait pas appel à des méthodes industrielles, en leur imposant notamment de procéder de nouveau à un étiquetage des fromages stockés ou en cours de commercialisation ; que, compte tenu des effets excessifs d'une annulation rétroactive et afin de permettre à l'autorité administrative de prendre les dispositions nécessaires pour préciser les garanties d'une élaboration fermière, énoncées au point 5, que doit présenter l'affinage lorsqu'il est réalisé en dehors de l'exploitation agricole, il y a lieu de différer l'effet de l'annulation jusqu'au 1er septembre 2015 et de disposer que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement, les effets des dispositions litigieuses antérieurs à leur annulation doivent être réputés définitifs ;

D E C I D E :

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Article 1er : La seconde phrase du premier alinéa de l'article 9-1 et le 5° du A de l'article 12 du décret du 27 avril 2007 sont annulés. Cette annulation prendra effet le 1er septembre 2015. Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur leur fondement, les effets antérieurs à cette annulation des dispositions en cause doivent être réputés définitifs.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association régionale des producteurs de fromages fermiers de Corse, au Premier ministre , au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement et au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

Copie sera transmise pour information à l'INAO.


Synthèse
Formation : 3ème / 8ème ssr
Numéro d'arrêt : 374602
Date de la décision : 17/04/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 avr. 2015, n° 374602
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alain Méar
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:374602.20150417
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