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16/04/2015 | FRANCE | N°389372

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 16 avril 2015, 389372


Vu la procédure suivante :

Le conseil représentatif des associations noires (CRAN) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'enjoindre au maire de Grasse de prendre toutes les mesures appropriées et nécessaires pour faire cesser l'exposition au public des pâtisseries fabriquées et commercialisées, sous le nom " A...et Déesse " au sein de la boulangerie SARL " Grasse Boulange ". Par une ordonnance n° 1501179 du 26 mars 2015, le juge des référés du tribunal administra

tif de Nice a enjoint au maire de Grasse d'interdire l'exposition au ...

Vu la procédure suivante :

Le conseil représentatif des associations noires (CRAN) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'enjoindre au maire de Grasse de prendre toutes les mesures appropriées et nécessaires pour faire cesser l'exposition au public des pâtisseries fabriquées et commercialisées, sous le nom " A...et Déesse " au sein de la boulangerie SARL " Grasse Boulange ". Par une ordonnance n° 1501179 du 26 mars 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a enjoint au maire de Grasse d'interdire l'exposition au public dans la boulangerie du 5 rue Thouron des deux figurines en chocolat dénommées " A...et Déesse ".

Par une requête, enregistrée le 10 avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, et par un nouveau mémoire, enregistré le 14 avril 2015, la SARL " Grasse Boulange " demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande de première instance du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) ;

3°) de mettre à la charge du CRAN le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la fabrication de ces pâtisseries par la boulangerie est régulière depuis une quinzaine d'années ;

- le refus du maire de faire usage de ses pouvoirs de police ne porte aucune atteinte grave et manifestement illégale à la dignité de la personne humaine.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2014, le CRAN conclut au rejet de la requête. Il soutient que :

- l'appel de la SARL " Grasse Boulange " est irrecevable ; qu'en effet ni la société ni son liquidateur M. C...n'avait la qualité de partie en première instance ; qu'en tout état de cause, la société a perdu sa capacité juridique à la suite de sa cessation d'activité et à sa dissolution le 25 février 2015 ;

- la présentation au public des pâtisseries et, partant, le refus du maire de Grasse d'user de ses pouvoirs de police pour y mettre fin caractérisent une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté des mineurs et à la dignité de la personne humaine ;

- la condition d'urgence est caractérisée dès lors que pareilles atteintes sont avérées.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 14 avril 2015, la SARL " Grasse Boulange " reprend les conclusions et les moyens de sa requête ; elle soutient en outre que la demande du CRAN était irrecevable, eu égard à son objet statutaire qui ne lui donne pas intérêt à agir localement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code pénal ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique d'une part, la SARL " Grasse Boulange " et, d'autre part, les représentants du CRAN et la commune de Grasse ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 14 avril 2015 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la SARL " Grasse Boulange " ;

- Me Occhipinti, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du CRAN ;

- les représentants du CRAN ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société SARL " Grasse Boulange " expose depuis plusieurs années, dans la vitrine de la boulangerie qu'elle exploite et qui est située 5 rue Thouron, à Grasse, des pâtisseries en ganache recouverte de chocolat noir représentant deux figurines dénommées " A... " et " Déesse " ; qu'après avoir vainement demandé au maire de Grasse d'exercer ses pouvoirs de police pour faire cesser l'exposition au public de ces pâtisseries, le conseil représentatif des associations noires (CRAN) a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nice d'une demande, présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à ce qu'il soit enjoint au maire de Grasse d'interdire l'exposition au public de ces pâtisseries ; que la société SARL " Grasse Boulange " relève appel de l'ordonnance du 26 mars 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a fait droit à cette demande ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure que M. B... C..., liquidateur de la SARL " Grasse Boulange ", ainsi que cette société, qui poursuit l'exploitation de la boulangerie située 5 rue Thouron, à Grasse, ont été mis en cause en qualité de parties par le juge des référés du tribunal administratif de Nice ; que, dès lors, contrairement à ce que soutient le CRAN dans une fin de non recevoir, la SARL " Grasse Boulange " est recevable à relever appel de l'ordonnance du 26 mars 2015 ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique " ; qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l'ordre public ; que le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public ;

5. Considérant que si l'exposition, dans la vitrine de la boulangerie située 5 rue Thouron à Grasse, de pâtisseries figurant des personnages de couleur noire présentés dans une attitude obscène et s'inscrivant délibérément dans l'iconographie colonialiste est de nature à choquer, l'abstention puis le refus du maire de Grasse de faire usage de ses pouvoirs de police pour y mettre fin ne constituent pas en eux-mêmes une illégalité manifeste portant atteinte à une liberté fondamentale qu'il appartiendrait au juge administratif des référés de faire cesser ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SARL " Grasse Boulange " est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a fait droit à la demande du CRAN ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société requérante présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice en date du 26 mars 2015 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par le CRAN devant le juge des référés du tribunal administratif de Nice est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la société SARL " Grasse Boulange " présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la SARL " Grasse Boulange ", au Conseil représentatif des associations noires et à la commune de Grasse.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 389372
Date de la décision : 16/04/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

POLICE - ÉTENDUE DES POUVOIRS DE POLICE - OBLIGATION DE FAIRE USAGE DES POUVOIRS DE POLICE - ABSENCE EN L'ESPÈCE - EXPOSITION - DANS LA VITRINE D'UN COMMERCE - DE PÂTISSERIES CARICATURALES S'INSCRIVANT DÉLIBÉRÉMENT DANS UNE ICONOGRAPHIE COLONIALISTE.

49-03-02 Exposition, dans la vitrine d'une boulangerie, de pâtisseries figurant des personnages de couleur noire présentés dans une attitude obscène et s'inscrivant délibérément dans l'iconographie colonialiste.... ,,Si ces faits sont de nature à choquer, l'abstention puis le refus de l'autorité investie du pouvoir de police municipale, à qu'il appartient de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l'ordre public dont la dignité de la personne humaine est une composante, de faire usage de ses pouvoirs pour y mettre fin, ne constituent pas en eux-mêmes une illégalité manifeste portant atteinte à une liberté fondamentale qu'il appartiendrait au juge administratif des référés de faire cesser.

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ TENDANT AU PRONONCÉ DE MESURES NÉCESSAIRES À LA SAUVEGARDE D'UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE (ART - L - 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - CONDITIONS D'OCTROI DE LA MESURE DEMANDÉE - ATTEINTE GRAVE ET MANIFESTEMENT ILLÉGALE À UNE LIBERTÉ FONDAMENTALE - ABSENCE EN L'ESPÈCE - EXPOSITION - DANS LA VITRINE D'UN COMMERCE - DE PÂTISSERIES CARICATURALES S'INSCRIVANT DÉLIBÉRÉMENT DANS UNE ICONOGRAPHIE COLONIALISTE.

54-035-03-03-01 Exposition, dans la vitrine d'une boulangerie, de pâtisseries figurant des personnages de couleur noire présentés dans une attitude obscène et s'inscrivant délibérément dans l'iconographie colonialiste.... ,,Si ces faits sont de nature à choquer, l'abstention puis le refus de l'autorité investie du pouvoir de police municipale, à qu'il appartient de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l'ordre public dont la dignité de la personne humaine est une composante, de faire usage de ses pouvoirs pour y mettre fin, ne constituent pas en eux-mêmes une illégalité manifeste portant atteinte à une liberté fondamentale qu'il appartiendrait au juge administratif des référés de faire cesser.


Publications
Proposition de citation : CE, 16 avr. 2015, n° 389372
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP ROGER, SEVAUX, MATHONNET ; OCCHIPINTI

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:389372.20150416
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