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20/03/2015 | FRANCE | N°388658

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 20 mars 2015, 388658


Mme Christiane A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 13 février 2015 par lequel le maire de Lille a prononcé la fermeture administrative de l'établissement " Le Restau Soleil " situé 10, rue Henri Kolb, à Lille, et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 1501469 du 25 février 2015, le juge des référé

s du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

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Mme Christiane A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 13 février 2015 par lequel le maire de Lille a prononcé la fermeture administrative de l'établissement " Le Restau Soleil " situé 10, rue Henri Kolb, à Lille, et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance n° 1501469 du 25 février 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Par une requête et des observations complémentaires enregistrées les 12 et 16 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Lille le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté litigieux porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre dès lors qu'il lui interdit d'exercer son activité et est motivé par le non respect par l'établissement qu'elle gère du régime d'autorisation administrative et des règles de protection contre les risques d'incendie applicables aux salles de spectacles, alors que cet établissement, bien qu'accueillant des musiciens et ayant été autorisé à diffuser de la musique amplifiée, n'a pas cessé d'appartenir à la catégorie des restaurants et débits de boissons, eu égard aux agencements dont il est pourvu, à la circonstance que son chiffre d'affaires est exclusivement composé de ventes de produits de la restauration et au fait que les musiciens-amateurs qui s'y produisent occasionnellement ne sont ni employés ni rémunérés ;

- la circulaire interministérielle du 24 février 2012 précise que l'exercice de l'activité d'entrepreneur de spectacle, qui recouvre notamment l'organisation de plus de six représentations publiques par an par une entreprise dont l'activité principale n'est pas le spectacle, n'emporte pas modification du classement de l'établissement au regard de la réglementation applicable aux établissements recevant du public en l'absence de décor et lorsque l'effectif accueilli est identique à l'effectif maximal autorisé pour l'activité d'origine, ce qui est le cas en l'espèce ;

- à la date de l'arrêté contesté, elle s'était engagée à ne plus permettre la production de musiciens dans son établissement, et que, depuis lors, l'estrade qui était mise à la disposition de ceux-ci a été démontée ;

- l'arrêté litigieux, qui n'a pas respecté le principe du contradictoire, méconnaît par suite les prescriptions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 et de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ;

- l'arrêté litigieux méconnaît les dispositions de l'article R. 123-52 du code de la construction et de l'habitation en ce qu'il ne fixe aucun délai d'exécution des aménagements et travaux conditionnant la réouverture de l'établissement ;

- l'arrêté litigieux est entaché de détournement de procédure ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que la fermeture administrative litigieuse, qui entraîne l'inactivité totale de l'établissement, risque d'entraîner sa disparition.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mars 2015, la commune de Lille conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme A...la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté litigieux ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre ;

- c'est la destination effective de l'établissement, et non la présence de tel ou tel équipement ou matériel, qui détermine son classement au titre des règles de sécurité applicables aux établissements recevant du public ;

- l'arrêté litigieux a été pris au regard du classement de l'établissement en salle de spectacles retenu par la commission communale de sécurité, qui a estimé que les règles de sécurité applicables n'étaient pas respectées ;

- l'engagement de la requérante de ne plus permettre à l'avenir à des musiciens de se produire dans son établissement est sans incidence sur la légalité de l'arrêté litigieux ;

- la circulaire interministérielle du 24 février 2012, qui ne saurait avoir restreint les exigences du régime d'autorisation administrative applicable aux établissements recevant du public, n'est en tout état de cause pas opposable aux maires ;

- l'arrêté litigieux, qui a respecté les exigences de la procédure contradictoire, ne méconnaît pas les dispositions des articles 24 de la loi du 12 avril 2000 et 1er de la loi du 11 juillet 1979 ;

- l'arrêté litigieux ne méconnaît pas les dispositions de l'article R. 123-52 du code de la construction et de l'habitation, dès lors que la fixation d'un délai de réalisation des travaux ne constitue pas une obligation ;

- le détournement de procédure allégué n'est pas établi ;

- la condition d'urgence n'est pas remplie, les difficultés financières rencontrées par l'établissement étant antérieures à l'arrêté litigieux.

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- l'arrêté du 25 juin 1980 modifié portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public ;

- le code de justice administrative.

Après avoir convoqué à une audience publique d'une part, MmeA..., d'autre part, la commune de Lille ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 18 mars 2015 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Briard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Lille ;

- les représentants de la commune de Lille ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 mars 2015, présentée pour Mme A... ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 123-52 du code de la construction et de l'habitation : " Sans préjudice de l'exercice par les autorités de police de leurs pouvoirs généraux, la fermeture des établissements exploités en infraction aux dispositions du présent chapitre peut être ordonnée par le maire, ou par le représentant de l'Etat dans le département dans les conditions fixées aux articles R. 123-27 et R. 123-28. / La décision est prise par arrêté après avis de la commission de sécurité compétente. L'arrêté fixe, le cas échéant, la nature des aménagements et travaux à réaliser ainsi que les délais d'exécution. " ; que, par un arrêté pris le 13 février 2015 sur le fondement de ces dispositions, qui font partie du chapitre du code de la construction et de l'habitation rassemblant les dispositions destinées à assurer la sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public, le maire de Lille a décidé la fermeture de l'établissement " Le Restau Soleil " exploité par Mme A... ; que cet arrêté est motivé par des manquements aux règles de sécurité contre l'incendie applicables aux salles de spectacle, relevés par la commission communale de sécurité ;

3. Considérant que Mme A...relève appel de l'ordonnance du 25 février 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 13 février 2015 du maire de Lille ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme A...a obtenu en décembre 2006 l'autorisation d'agrandir le bar-restaurant qu'elle exploite depuis août 2002, en aménageant une arrière-salle portant la capacité d'accueil maximum à 86 personnes ; qu'à la suite de plaintes pour nuisances sonores répétées, déposées par les riverains auprès des services de police, le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, préfet du Nord, a, par des arrêtés en date des 7 août 2006, 18 mai 2007 et 4 décembre 2008 pris sur le fondement des dispositions de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, prononcé la fermeture temporaire de l'établissement, au motif que Mme A...diffusait de la musique amplifiée à l'occasion de concerts organisés dans son bar-restaurant dans des conditions de nature à troubler l'ordre et la tranquillité publics ; qu'à l'issue du concert de rap qui s'est tenu dans les locaux du " Restau Soleil " le 25 octobre 2014 et a réuni plus de 300 personnes, de graves troubles à l'ordre public ont eu lieu, qui ont conduit le préfet du Nord à décider, le 10 décembre 2014, une nouvelle fermeture temporaire de l'établissement sur le fondement des mêmes dispositions ;

5. Considérant qu'à l'issue d'une visite qui s'est tenue le 26 novembre 2014, la commission communale de sécurité a émis un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation de l'établissement, en relevant que la tenue régulière dans l'arrière-salle de concerts, au nombre de huit au moins pour le seul mois de septembre 2014, n'avait jamais fait l'objet d'une demande d'autorisation de travaux visant à faire passer le classement de l'établissement de la catégorie " Restaurants et débits de boissons " à la catégorie " Salles de spectacles " et à prendre en compte, en conséquence, les dispositions particulières du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique relatives à l'activité de concert ; que, saisie par le maire de Lille, la commission communale de sécurité a, dans un avis du 5 février 2015, confirmé son avis du 26 novembre 2014, en estimant que l'établissement, compte tenu de cette activité de concert, d'ailleurs publiquement affichée sur l'enseigne apposée sur sa façade, et du nombre de spectateurs potentiels, relevait désormais de la réglementation de sécurité applicable aux salles de spectacles de quatrième catégorie, et qu'en méconnaissance de cette réglementation, il ne présentait pas suffisamment de dégagements, l'isolement latéral avec les tiers mitoyens était insuffisant et l'alarme incendie n'était pas équipée d'un dispositif de coupure de la sonorisation, de mise en fonctionnement de l'éclairage normal et de diffusion d'un message préenregistré prescrivant l'ordre d'évacuer ;

6. Considérant que, par un courrier du 6 février 2015, le maire de Lille a mis en demeure Mme A...de fermer son établissement, en l'informant qu'à défaut, il serait contraint de prononcer la fermeture administrative de celui-ci sur le fondement des dispositions de l'article R. 123-52 du code de la construction et de l'habitation, jusqu'à ce qu'il soit remédié aux anomalies constatées ; qu'ainsi, Mme A...n'a, contrairement à ce qu'elle soutient, pas été privée de la possibilité, garantie par les dispositions des articles 1er de la loi du 11 juillet 1979 et 24 de la loi du 12 avril 2000, de présenter ses observations avant que ne soit pris l'arrêté litigieux ;

7. Considérant qu'eu égard à la fréquence relevée par la commission communale de sécurité des concerts organisés en son sein, dont l'existence n'est pas contestée, c'est à bon droit que le maire de Lille a regardé l'établissement " Restau Soleil " comme relevant de la règlementation de sécurité contre les risques d'incendie et de panique applicable aux salles de spectacles ; qu'étaient sans incidence, pour caractériser l'activité de l'établissement, la gratuité des concerts en cause et l'absence de rémunération des musiciens ; que si la requérante affirme qu'elle avait renoncé, avant que ne soit pris l'arrêté litigieux, à organiser des concerts dans son établissement, il ressort des termes mêmes de la lettre qu'elle avait adressée au maire le 22 janvier 2015 qu'elle s'était seulement engagée, dans le cas où des groupes musicaux viendraient à s'y produire, à prendre contact " avec la commission pour voir ce qu'il y a lieu de faire " ; qu'est également sans incidence, pour apprécier la légalité de l'arrêté litigieux, la circonstance invoquée au cours de l'instruction que, postérieurement à l'édiction de cet arrêté, Mme A...a fait démonter l'estrade qui était mise à la disposition des musiciens dans l'arrière-salle du bar-restaurant ;

8. Considérant que, pour contester l'application à son établissement des règles de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public, Mme A...ne saurait utilement invoquer la circulaire interministérielle du 24 février 2012 relative au classement des hôtels, cafés et restaurants demandeurs d'une licence d'entrepreneur de spectacle de 1ère catégorie ;

9. Considérant qu'en ne fixant pas de terme à la fermeture administrative qu'il édicte mais en conditionnant la réouverture au public de l'établissement au dépôt d'une autorisation d'aménager celui-ci, à la réalisation des travaux prescrits par les commissions communales de sécurité et d'accessibilité et à l'obtention d'une autorisation d'ouverture délivrée par arrêté municipal après avis favorable de ces commissions, l'arrêté litigieux n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article R. 123-52 du code de la construction et de l'habitation ;

10. Considérant qu'en se bornant à invoquer les fermetures administratives successives dont son établissement a fait l'objet, Mme A...n'établit pas que l'arrêté litigieux serait entaché d'un détournement de procédure ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, que l'arrêté litigieux ne révèle aucune atteinte manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre ; qu'ainsi, Mme A...n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté la demande qu'elle lui avait présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu de rejeter sa requête, y compris les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de Mme A... la somme de 2 000 euros au titre de ces mêmes dispositions ;

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de Mme A...est rejetée.

Article 2 : Mme A...versera, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 2 000 euros à la commune de Lille.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B...A...et à la commune de Lille.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 388658
Date de la décision : 20/03/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 20 mar. 2015, n° 388658
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET ; SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:388658.20150320
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