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16/03/2015 | FRANCE | N°369854

France | France, Conseil d'État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 16 mars 2015, 369854


Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 1208460 du 21 juin 2013, enregistrée le 3 juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Montreuil a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 24 octobre 2012 au greffe de ce tribunal, présentée par la société Le Complément alimentaire.

Par cette requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 24 octobre 2012, 25 mars et 25 juin 2013 au greffe de ce tr

ibunal, la société Le complément alimentaire demande au Conseil d'Etat :

1°...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 1208460 du 21 juin 2013, enregistrée le 3 juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Montreuil a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 24 octobre 2012 au greffe de ce tribunal, présentée par la société Le Complément alimentaire.

Par cette requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 24 octobre 2012, 25 mars et 25 juin 2013 au greffe de ce tribunal, la société Le complément alimentaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 août 2012 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a interdit la mise sur le marché, l'importation, la distribution en gros et la délivrance au public des dispositifs médicaux d'autodiagnostic de l'antigène prostatique spécifique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Beurton, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 5312-1 du code de la santé publique : " L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut soumettre à des conditions particulières, restreindre ou suspendre les essais, la fabrication, la préparation, l'importation, l'exploitation, l'exportation, la distribution en gros, le conditionnement, la conservation, la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux, la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, la publicité, la mise en service, l'utilisation, la prescription, la délivrance ou l'administration d'un produit ou groupe de produits mentionné à l'article L. 5311-1, non soumis à une autorisation ou un enregistrement préalable à sa mise sur le marché, sa mise en service ou son utilisation, lorsque ce produit ou groupe de produits, soit présente ou est soupçonné de présenter, dans les conditions normales d'emploi ou dans des conditions raisonnablement prévisibles, un danger pour la santé humaine, soit est mis sur le marché, mis en service ou utilisé en infraction aux dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables. La suspension est prononcée, soit pour une durée n'excédant pas un an en cas de danger ou de suspicion de danger, soit jusqu'à la mise en conformité du produit ou groupe de produits en cas d'infraction aux dispositions législatives ou réglementaires. / L'agence peut interdire ces activités en cas de danger grave ou de suspicion de danger grave pour la santé humaine. / Sauf en cas d'urgence, la personne physique ou morale concernée doit être mise à même de présenter ses observations avant l'intervention des mesures prévues ci-dessus " ;

2. Considérant qu'en application de ces dispositions, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a, par la décision attaquée, interdit la mise sur le marché, l'importation, la distribution en gros et la délivrance au public des dispositifs médicaux d'autodiagnostic de l'antigène prostatique spécifique, cette protéine étant un marqueur de l'activité de la prostate dont une concentration dans le sang élevée est susceptible de révéler la présence d'un cancer ; que, pour caractériser l'existence d'un danger grave pour la santé humaine justifiant la décision attaquée, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a relevé que le dosage de cet antigène " ne permet pas, à lui seul, d'établir le diagnostic du cancer de la prostate ", que son utilisation en dépistage systématique ou ciblé pour les populations d'hommes à haut risque n'est pas recommandée, son bénéfice en termes de réduction de mortalité globale n'étant pas démontré, et que ce dépistage présente un " risque de sur-diagnostic " qui " augmenterait la survenue de complications liées aux examens invasifs complémentaires nécessaires, tels que les biopsies, et (...) engendrerait un risque de sur-traitement " ;

3. Considérant toutefois qu'il ressort des pièces du dossier que le diagnostic du cancer de la prostate nécessite une démarche globale supposant, outre la prise en compte par le médecin consulté de l'existence de facteurs de risque, un examen clinique de la prostate par un toucher rectal, l'utilisation pertinente du dosage de l'antigène prostatique spécifique, dont la valeur, déterminée par analyse en laboratoire de biologie médicale, est interprétée selon, entre autres, l'âge, la cinétique, le volume prostatique et les maladies intercurrentes du patient, et, lorsqu'elle est indiquée, la réalisation de biopsies prostatiques en tenant compte des précédents examens ; que les dispositifs médicaux en cause se bornent à indiquer, par le biais d'un témoin coloré, si la concentration en antigène prostatique spécifique est positive, c'est-à-dire s'établissant à une valeur, considérée comme anormale, supérieure à quatre nanogrammes par millilitre de sang ; que la décision de réaliser une biopsie pour confirmer le diagnostic de cancer de la prostate ne peut être prise que par un médecin, après avoir fait procéder à des examens complémentaires, et notamment vérifié, par des analyses médicales précises, le dosage de l'antigène prostatique spécifique et son interprétation au regard du profil du patient ; qu'enfin, la décision de mettre en place un protocole de traitement du cancer n'est prise qu'après une concertation pluridisciplinaire, en tenant compte, entre autres, des limites du dépistage par dosage de l'antigène prostatique spécifique, des caractéristiques de la maladie ainsi que des bénéfices attendus et des effets secondaires possibles d'un traitement ;

4. Considérant que, pour apprécier si la mise sur le marché d'un produit présente un danger grave pour la santé humaine, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est fondée à prendre en considération tant les risques spécifiques que présente l'utilisation d'un produit que les risques induits par cette utilisation elle-même ; qu'en l'espèce, tant la réalisation d'examens invasifs complémentaires que le traitement du cancer de la prostate ne peuvent résulter que d'une décision médicale ; qu'ainsi, en se fondant, de façon générale, sur les limites du dépistage de ce cancer par dosage de l'antigène prostatique spécifique et sur les dangers présentés par son sur-diagnostic et son sur-traitement, au lieu de rechercher si l'utilisation du test présentait des risques ou en induisait par elle-même, du fait notamment de son insuffisante fiabilité ou des conséquences d'une interprétation des résultats par l'utilisateur sans la présence d'un médecin, l'Agence n'a pas caractérisé le danger grave ou la suspicion de danger grave pour la santé humaine présenté par la mise sur le marché, l'importation, la distribution en gros et la délivrance au public des dispositifs médicaux d'autodiagnostic de l'antigène prostatique spécifique ; qu'elle a ainsi commis une erreur de droit ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la société Le Complément alimentaire est fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Le Complément alimentaire au titre des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : La décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé du 24 août 2012 est annulée.

Article 2 : L'Etat versera à la société Le Complément alimentaire une somme de 3 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Le Complément alimentaire, à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

POLICE - POLICES SPÉCIALES - POLICE SANITAIRE (VOIR AUSSI : SANTÉ PUBLIQUE) - POUVOIR D'INTERDICTION D'UN PRODUIT PAR L'ANSM EN CAS DE DANGER GRAVE (ART - L - 5312-1 DU CSP) - MODALITÉS D'APPRÉCIATION DU DANGER - CAS D'UN DISPOSITIF MÉDICAL D'AUTODIAGNOSTIC.

49-05-02 Pour apprécier si la mise sur le marché d'un produit ou groupe de produits présente un danger grave ou une suspicion de danger grave pour la santé humaine et justifie son interdiction en application de l'article L. 5312-1 du code de la santé publique (CSP), l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est fondée à prendre en considération tant les risques spécifiques que présente en elle-même l'utilisation de ce produit ou groupe de produits que les risques induits par son utilisation.,,,Cas d'un dispositif médical d'autodiagnostic pour le dépistage du cancer de la prostate. L'Agence doit s'interroger sur les risques de ce procédé et sur les risques induits par son utilisation compte tenu notamment de sa fiabilité et des conséquences d'une interprétation des résultats par l'utilisateur sans l'intermédiaire d'un médecin, et non sur les conséquences générales du recours à ce procédé au regard des risques de sur-diagnostic et de sur-traitement.

SANTÉ PUBLIQUE - PROTECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ PUBLIQUE - POLICE ET RÉGLEMENTATION SANITAIRE - POUVOIR D'INTERDICTION D'UN PRODUIT PAR L'ANSM EN CAS DE DANGER GRAVE (ART - L - 5312-1 DU CSP) - MODALITÉS D'APPRÉCIATION DU DANGER - CAS D'UN DISPOSITIF MÉDICAL D'AUTODIAGNOSTIC.

61-01-01 Pour apprécier si la mise sur le marché d'un produit ou groupe de produits présente un danger grave ou une suspicion de danger grave pour la santé humaine et justifie son interdiction en application de l'article L. 5312-1 du code de la santé publique (CSP), l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est fondée à prendre en considération tant les risques spécifiques que présente en elle-même l'utilisation de ce produit ou groupe de produits que les risques induits par son utilisation.,,,Cas d'un dispositif médical d'autodiagnostic pour le dépistage du cancer de la prostate. L'Agence doit s'interroger sur les risques de ce procédé et sur les risques induits par son utilisation compte tenu notamment de sa fiabilité et des conséquences d'une interprétation des résultats par l'utilisateur sans l'intermédiaire d'un médecin, et non sur les conséquences générales du recours à ce procédé au regard des risques de sur-diagnostic et de sur-traitement.

SANTÉ PUBLIQUE - ANSM - POUVOIR D'INTERDICTION D'UN PRODUIT EN CAS DE DANGER GRAVE (ART - L - 5312-1 DU CSP) - MODALITÉS D'APPRÉCIATION DU DANGER - CAS D'UN DISPOSITIF MÉDICAL D'AUTODIAGNOSTIC.

61-10 Pour apprécier si la mise sur le marché d'un produit ou groupe de produits présente un danger grave ou une suspicion de danger grave pour la santé humaine et justifie son interdiction en application de l'article L. 5312-1 du code de la santé publique (CSP), l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est fondée à prendre en considération tant les risques spécifiques que présente en elle-même l'utilisation de ce produit ou groupe de produits que les risques induits par son utilisation.,,,Cas d'un dispositif médical d'autodiagnostic pour le dépistage du cancer de la prostate. L'Agence doit s'interroger sur les risques de ce procédé et sur les risques induits par son utilisation compte tenu notamment de sa fiabilité et des conséquences d'une interprétation des résultats par l'utilisateur sans l'intermédiaire d'un médecin, et non sur les conséquences générales du recours à ce procédé au regard des risques de sur-diagnostic et de sur-traitement.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 16 mar. 2015, n° 369854
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Julia Beurton
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini

Origine de la décision
Formation : 1ère et 6ème sous-sections réunies
Date de la décision : 16/03/2015
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 369854
Numéro NOR : CETATEXT000030445599 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2015-03-16;369854 ?
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