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24/02/2015 | FRANCE | N°370432

France | France, Conseil d'État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 24 février 2015, 370432


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 juillet 2013 et 8 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes (FORMINDEP) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2013-413 du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de l'expertise sanitaire prévue à l'article L. 1452-2 du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge

de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice a...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 juillet 2013 et 8 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes (FORMINDEP) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2013-413 du 21 mai 2013 portant approbation de la charte de l'expertise sanitaire prévue à l'article L. 1452-2 du code de la santé publique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Beurton, auditeur,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1452-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé : " L'expertise sanitaire répond aux principes d'impartialité, de transparence, de pluralité et du contradictoire " ; qu'en vertu de l'article L. 1452-2 inséré dans ce code par la même loi : " Une charte de l'expertise sanitaire, approuvée par décret en Conseil d'Etat, s'applique aux expertises réalisées dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire à la demande du ministre chargé de la santé ou à la demande des autorités et des organismes mentionnés au I de l'article L. 1451-1. Elle précise les modalités de choix des experts, le processus d'expertise et ses rapports avec le pouvoir de décision, la notion de lien d'intérêts, les cas de conflit d'intérêts, les modalités de gestion d'éventuels conflits et les cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d'intérêts " ; qu'en application de ces dispositions, la charte de l'expertise sanitaire a été approuvée par un décret du 21 mai 2013, dont l'association FORMINDEP demande l'annulation pour excès de pouvoir ;

2. Considérant, en premier lieu, que la charte de l'expertise sanitaire, qui a valeur réglementaire, mentionne la définition de l'expertise donnée par une norme AFNOR " qualité en expertise - prescriptions générales de compétence pour une expertise " et précise que " les activités d'expertise sanitaire soumises à la présente charte sont celles qui ont pour objet d'éclairer le décideur et d'étayer sa prise de décision en santé et en sécurité sanitaire en fournissant une interprétation, un avis ou une recommandation aussi objectivement fondés que possible, élaborés à partir de l'analyse critique des meilleures connaissances disponibles et de démonstrations argumentées sur des critères explicites, accompagnées d'un jugement professionnel fondé sur l'expérience des experts " ;

3. Considérant que les dispositions des articles L. 1452-1 et L. 1452-2 du code de la santé publique citées au point 1, qui déterminent les principes qui doivent guider une expertise sanitaire et prévoient l'approbation d'une charte de l'expertise sanitaire par décret en Conseil d'Etat, ne donnent pas de définition de l'expertise ; que la charte de l'expertise sanitaire à laquelle le législateur a confié le soin de préciser divers points applicables aux expertises dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire pouvait, sans empiéter sur la compétence réservée au législateur par l'article 34 de la Constitution, préciser la définition de l'expertise au sens des dispositions qu'elle prévoyait ; que la circonstance qu'elle mentionne les termes d'une norme AFNOR qui n'a pas fait l'objet d'une approbation ministérielle et qu'elle s'en inspire en les adaptant à l'expertise sanitaire est sans incidence sur la compétence du pouvoir réglementaire pour adopter la définition litigieuse ; que, par suite, les moyens tirés de l'incompétence du décret attaqué et de la méconnaissance des articles L. 1452-1 et L. 1452-2 du code de la santé publique en ce que la charte comporte une définition de l'expertise doivent être écartés ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que la définition de l'expertise adoptée par la charte litigieuse, qui prévoit notamment que l'interprétation, l'avis ou la recommandation fournis doivent être " aussi objectivement fondés que possible " n'a ni pour objet ni pour effet de méconnaître le principe d'impartialité qui doit guider toute expertise sanitaire en vertu des dispositions de l'article L. 1452-1 du code de la santé publique ; que l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que cette mention constituerait une remise en cause du principe d'impartialité et méconnaîtrait, à ce titre, les dispositions de l'article L. 1452-1 ;

5. Considérant, en troisième lieu, que la charte litigieuse définit, au A de son III, la notion de lien d'intérêts comme recouvrant " les intérêts ou les activités, passés ou présents, d'ordre patrimonial, professionnel ou familial, de l'expert en relation avec l'objet de l'expertise qui lui est confiée " ; que, d'une part, en faisant ainsi référence à l'objet de l'expertise, la charte a visé l'ensemble des intérêts ou activités ayant un lien avec la ou les questions posées aux experts, y compris en raison de l'intérêt direct ou indirect que des acteurs des domaines de la santé et de la sécurité sanitaire, notamment des entreprises, peuvent avoir aux réponses susceptibles d'être apportées par l'expertise ; que l'association requérante n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que la définition retenue méconnaîtrait le principe d'impartialité qui doit guider toute expertise sanitaire ; que, d'autre part, la définition contestée est sans incidence sur l'obligation, qui s'impose à toute personne réalisant une expertise pour le ministre chargé de la santé ou les différentes instances et organismes auxquels le législateur a donné des compétences dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire, d'établir, en vertu des dispositions combinées des articles L. 1451-1 et L. 1452-3 du code de la santé publique, une déclaration mentionnant les liens d'intérêts de toute nature, directs ou par personne interposée, qu'elle a ou a eus pendant les cinq années précédant son expertise avec, notamment, des entreprises ou organismes dont les activités entrent dans le champ de compétence de l'autorité sanitaire pour laquelle elle réalise cette expertise ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que la définition de la notion de lien d'intérêts adoptée par la charte litigieuse méconnaîtrait les articles L. 1451-1, L. 1452-1 et L. 1452-2 du code de la santé publique doit être écarté ;

6. Considérant, en quatrième lieu, que la charte litigieuse précise, au A de son III, qu'" un conflit d'intérêts naît d'une situation dans laquelle les liens d'intérêts d'un expert sont susceptibles, par leur nature ou leur intensité, de mettre en cause son impartialité ou son indépendance dans l'exercice de sa mission d'expertise au regard du dossier à traiter " ; que cette définition n'est, contrairement à ce qu'affirme l'association requérante, pas de nature à remettre en cause l'appréciation objective qui doit être portée, au vu des liens déclarés par l'expert et eu égard aux questions auxquelles l'expertise doit répondre, sur l'existence éventuelle d'un conflit d'intérêts ; que l'association requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait le principe d'impartialité applicable à toute expertise sanitaire et l'article L. 1451-1 du code de la santé publique ;

7. Considérant, en cinquième lieu, que la charte litigieuse précise, en son IV, les cas exceptionnels dans lesquels, ainsi que le prévoit l'article L. 1452-2 du code de la santé publique, cité au point 1, il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d'intérêts ; qu'elle prévoit que cette possibilité est limitée à la double condition que, d'une part, l'expertise en cause présente un intérêt scientifique ou technique indispensable et, d'autre part, l'organisme chargé de la réalisation de l'expertise n'ait pu trouver aucun expert de compétence équivalente dans le domaine concerné qui ne soit pas en situation de conflit d'intérêts ; qu'elle dispose également que ces experts ne peuvent en aucun cas participer à la rédaction des conclusions ou des recommandations de l'expertise mais peuvent, en revanche, à titre d'exemple, être auditionnés par l'organisme chargé de la réalisation de l'expertise ou apporter une contribution écrite ; qu'elle prévoit enfin que l'organisme chargé de la réalisation de l'expertise arrête les modalités particulières selon lesquelles l'expert peut apporter son concours, celles-ci devant être, d'une part, portées à la connaissance du commanditaire et, d'autre part, décrites, avec les motifs du recours à cet expert, en annexe de l'avis, de la recommandation ou du rapport produit par l'expertise ;

8. Considérant, d'une part, que les règles ainsi définies n'excèdent pas l'habilitation conférée à la charte litigieuse par l'article L. 1452-2 du code de la santé publique pour déterminer " les cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d'intérêts " ; que, d'autre part, la charte, qui définit les critères en vertu desquels il est possible de recourir à un expert présentant un conflit d'intérêts ainsi que le cadre général des modalités de son intervention, a pu, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 1452-2, renvoyer aux organismes chargés de l'expertise le soin de préciser, au cas par cas, les conditions concrètes de l'association de cet expert ; que, par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que la charte, en adoptant une définition trop large des cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d'intérêts et en renvoyant aux organismes la détermination des modalités de prise en compte de ces expertises, méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 1452-2 du code de la santé publique ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'association FORMINDEP doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'association FORMINDEP est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 24 fév. 2015, n° 370432
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Julia Beurton
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet

Origine de la décision
Formation : 1ère et 6ème sous-sections réunies
Date de la décision : 24/02/2015
Date de l'import : 23/03/2016

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 370432
Numéro NOR : CETATEXT000030283092 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2015-02-24;370432 ?
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