Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. S...Q..., M. X...D..., représenté par ses héritiers, Mme Z...D..., Mlle AE...D..., M. AT...D...et Mme P...D..., M. AA...B..., représenté par ses héritiers, Mme I...AS...B..., Mlle K...B..., M. AR...B...et M. L... B..., M. U... AF..., M. Y...R..., M. AU...E..., Mme AI...AD..., M. W...AC..., M. AJ...M..., M. AP...A..., M.AO..., M. H...AB..., M. G... AK..., M. J...AN..., M. AV...N..., M. V...T..., M. F...AQ..., M. AL...O..., M. AW...AG..., M. S...AM...et M. AH... C...ont demandé au tribunal administratif de la Polynésie française :
- d'annuler les délibérations du 4 novembre 2008 par lesquelles l'assemblée de la Polynésie française a rejeté quatorze propositions de délibérations conférant un caractère d'utilité publique à diverses dépenses de rémunération engagées entre les années 1996 et 2004 ;
- d'enjoindre à l'assemblée de la Polynésie française de se prononcer une nouvelle fois sur le caractère d'utilité publique de ces dépenses, sur le fondement de l'article 185-14 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.
Par un jugement n° 1100067 du 19 juillet 2011, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté la demande que lui avaient présentée M. Q...et autres.
M. Q...et autres ont demandé à la cour administrative d'appel de Paris d'annuler ce jugement n° 1100067 du 19 juillet 2011 du tribunal administratif de la Polynésie française. Par un arrêt n° 11PA04632, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête que lui avaient présentée M. Q...et autres.
Procédure devant le Conseil d'Etat
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 octobre 2013, 8 janvier 2014 et 7 mai 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. Q...et autres, représentés par la SCP Monod, Colin, Stoclet, demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt n° 11PA04632 du 3 juillet 2013 de la cour administrative d'appel de Paris ;
2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la loi organique n° 96-312 du 12 février 1996 ;
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- le code électoral ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 janvier 2015, présentée pour M. S... Q...et autres ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Iljic, auditeur,
- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de M. Q...et à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la Polynésie française et de l'assemblée de la Polynésie Française ;
1. Considérant que, par des jugements du 4 avril 2006 devenus définitifs, la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française a déclaré M.Q..., M.D..., M. B..., M.AF..., M.R..., M.E..., MmeAD..., M.AC..., M.M..., M.AB..., M. AK..., M.AN..., M.N..., M.T..., M.AQ..., M.O..., M.AG..., M. AM...et M. C...comptables de fait des deniers de la Polynésie française à raison des dépenses de rémunération qu'ils ont effectuées ou dont ils ont bénéficié entre 1996 et 2004 ; que la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française a, sur le fondement de l'article 185-14 de la loi organique du 27 février 2004, demandé à l'assemblée de la Polynésie française de se prononcer sur le caractère d'utilité publique des dépenses ayant donné lieu à déclaration de gestion de fait ; que, par quatorze délibérations du 4 novembre 2008, l'assemblée de la Polynésie française a refusé de reconnaître à ces dépenses un caractère d'utilité publique ; que les requérants se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 3 juillet 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a confirmé le jugement du 19 juillet 2011 du tribunal administratif de la Polynésie française rejetant leur demande tendant à l'annulation de ces quatorze délibérations ;
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Considérant, en premier lieu, que, s'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les requérants invoquaient, en appel, la circonstance que des dépenses similaires aux dépenses de rémunération en litige auraient été précédemment déclarées d'utilité publique par le haut conseil de la Polynésie française, la cour n'était pas tenue de répondre à cette argumentation qui ne constituait pas un moyen ; qu'il suit de là que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris doit être écarté ;
3. Considérant, en second lieu, qu'en jugeant que, pour la période postérieure à l'entrée en vigueur de la loi organique du 27 février 2004, il ne ressortait pas des pièces du dossier qui lui était soumis que les dépenses de rémunération en litige aient été engagées afin de permettre, pour un motif d'intérêt général, un meilleur fonctionnement des services municipaux des communes concernées en vue, notamment, de favoriser leur développement, la cour n'a pas entaché son arrêt d'insuffisance de motivation ; qu'ainsi ce moyen doit être écarté ;
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
En ce qui concerne l'usage de la langue tahitienne :
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment du compte-rendu de la séance au cours de laquelle les délibérations en litige ont été adoptées, qu'il a été fait un usage ponctuel, par certains représentants à l'assemblée de la Polynésie française, d'une langue autre que le français pendant les débats ; qu'après avoir rappelé que cette circonstance constituait une irrégularité au regard des dispositions de l'article 57 de la loi organique du 27 février 2004, la cour, qui a statué par adoption des motifs du jugement du tribunal administratif de la Polynésie française, a toutefois relevé que l'essentiel des débats s'était tenu en français, que le juge était ainsi à même de contrôler la régularité de la procédure d'adoption, et qu'aucune contestation relative à la langue dans laquelle les différents intervenants se sont exprimés n'avait été formulée lors des débats ; que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'irrégularité entachant la procédure d'adoption des délibérations en litige n'avait pas été susceptible d'exercer une influence sur le sens de leurs dispositions et n'avait privé d'aucune garantie les membres de l'assemblée ;
En ce qui concerne le rapport prévu à l'article 130 de la loi organique :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 130 de la loi organique du 27 février 2004: " Tout représentant à l'assemblée de la Polynésie française a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires qui font l'objet d'un projet ou d'une proposition d'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" ou d'autres délibérations. / A cette fin, les représentants reçoivent, douze jours au moins avant la séance pour un projet ou une proposition d'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" et quatre jours au moins avant la séance pour un projet ou une proposition d'autre délibération, un rapport sur chacune des affaires inscrites à l'ordre du jour. " ;
6. Considérant, d'une part, que, contrairement à ce qui est soutenu, si les dispositions précitées de l'article 130 de la loi organique du 27 février 2004 prévoient la transmission aux représentants à l'assemblée de la Polynésie française d'un rapport sur chacune des affaires inscrites à l'ordre du jour, elles n'imposent pas la transmission d'un tel rapport pour chacune des délibérations examinées par cette assemblée ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les quatorze projets de délibérations en litige étaient relatifs à des faits similaires et posaient des questions identiques ; qu'ainsi la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la remise d'un rapport unique relatif à ces quatorze délibérations, qui présentaient le même objet, ne méconnaissait pas les dispositions de l'article 130 de la loi organique du 27 février 2004 ;
7. Considérant, d'autre part, que le contenu du rapport écrit dont font l'objet les projets de délibération de l'assemblée de la Polynésie française avant leur discussion est sans incidence sur la régularité de la procédure d'adoption des délibérations dès lors que ce contenu n'est pas tel qu'il doive conduire à regarder le rapport comme inexistant ; que ni les dispositions de l'article 130 de la loi organique du 27 février 2004, ni celles de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, qui, en tout état de cause, ne sont pas applicables à la Polynésie française en vertu de l'article 41 de la même loi, ne formulent d'exigences relatives au contenu de ce rapport écrit ; qu'il suit de là que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les représentants à l'assemblée de la Polynésie française, qui ne soutenaient pas que le contenu du rapport unique dont ont fait l'objet les délibérations en litige était tel qu'il devait être regardé comme inexistant, avaient disposé d'une information suffisante au sens des dispositions de l'article 130 de la loi organique du 27 février 2004 ;
En ce qui concerne la méconnaissance des dispositions de l'article 96 de la loi organique du 12 février 1996 et des articles 54 et 185-14 de la loi organique du 27 février 2004 :
8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond ainsi que des énonciations non contestées de l'arrêt attaqué que les dépenses dont le caractère d'utilité publique est en litige correspondent à la prise en charge, par la Polynésie française, de dépenses de rémunération d'élus et de responsables syndicaux recrutés en qualité de personnels de cabinet et mis à disposition de communes ou de syndicats en vertu de conventions " d'assistance technique " ;
9. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes des dispositions de l'article 96 de la loi organique du 12 février 1996 : " En vue de favoriser le développement économique, social et culturel de la Polynésie française, l'Etat ou le territoire peuvent apporter leur concours financier et technique aux communes ou à leurs groupements ainsi que leur concours aux programmes d'utilité publique décidés par les communes ou leurs groupements dans leurs domaines de compétence. " ; que la cour a jugé que les dépenses litigieuses n'entraient pas dans le champ des concours financiers que les dispositions précitées autorisent le territoire à accorder aux communes au motif qu'elles n'avaient pas pour objet de favoriser le développement économique de la Polynésie française ; que, pour statuer ainsi, la cour, contrairement à ce que soutiennent les requérants, n'a pas déduit de la seule circonstance que les dépenses litigieuses avaient été exposées au profit de communes qu'elles ne pouvaient favoriser le développement économique du territoire, mais s'est fondée sur l'objet même de ces dépenses, dont elle a jugé, sans que son appréciation ne soit arguée de dénaturation, qu'il n'était pas de contribuer au développement économique ; qu'elle n'a ainsi commis aucune erreur de droit ;
10. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 54 de la loi organique du 27 février 2004 : " En vue de favoriser leur développement, la Polynésie française peut apporter son concours financier et technique aux communes ou à leurs groupements. Les conditions dans lesquelles les communes peuvent bénéficier du concours financier de la Polynésie française sont définies par un acte prévu à l'article 140 et dénommé " loi du pays ". La Polynésie française peut participer au fonctionnement des services municipaux par la mise à disposition de tout personnel de ses services ou établissements publics dans le cadre de conventions passées entre le président de la Polynésie française et les communes. " ; qu'ainsi que l'a rappelé la cour pour la période postérieure à l'entrée en vigueur de la loi organique du 27 février 2004, il résulte de ces dispositions que la Polynésie française ne peut procéder à la mise à disposition de certains de ses personnels au profit des communes qu'en vertu de conventions passées postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi organique ou, dans le cas de mises à dispositions effectuées dans le cadre d'un concours technique et financier, postérieurement à la loi du pays en définissant les conditions ; qu'il ressort des énonciations non contestées de l'arrêt attaqué que c'est en application de conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 27 février 2004 qu'ont été effectuées les mises à disposition en litige ; qu'il suit de là que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les requérants ne pouvaient utilement se prévaloir des dispositions de l'article 54 de la loi organique du 27 février 2004 pour soutenir que les dépenses de rémunération en litige présentaient un caractère d'utilité publique pour la période postérieure à l'entrée en vigueur de cette loi organique ;
11. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 185-14 de la loi organique du 27 février 2004 : " L'assemblée de la Polynésie française doit se prononcer sur le caractère d'utilité publique des dépenses ayant donné lieu à une déclaration en gestion de fait par la chambre territoriale des comptes au cours de la plus proche séance suivant la transmission de la demande adressée par la chambre territoriale des comptes au comptable de fait et à l'ordonnateur de la Polynésie française. Passé ce délai, la chambre territoriale des comptes statue sur les dépenses de la gestion de fait dont elle apprécie les justifications présentées. " ; que, si ces dispositions permettent à l'assemblée de la Polynésie française de reconnaître l'utilité publique de dépenses ayant donné lieu à maniement irrégulier de deniers publics, c'est à la condition qu'elles présentent un caractère d'utilité publique ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la cour n'a pas déduit de la seule circonstance que les dépenses litigieuses n'étaient pas au nombre des concours financiers que la Polynésie française pouvait accorder aux communes en vertu des dispositions précitées de l'article 96 de la loi organique du 12 février 1996 que les délibérations attaquées avaient pu légalement les regarder comme dépourvues d'utilité publique ; qu'elle n'a commis sur ce point aucune erreur de droit ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. Q...et autres doit être rejeté, y compris les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. Q...et des vingt autres requérants une somme de 200 euros chacun à verser à la Polynésie française au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. S...Q...et autres est rejetée.
Article 2 : M. Q...et autres verseront chacun à la Polynésie française une somme de 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. S...Q..., Mme Z...D..., Mlle AE...D..., M. AT...D..., Mme P...D..., Mme I...AS...B..., Mlle K...B..., M. AR...B..., M. L...B..., M. U...AF..., M. Y...R..., M. AU...E..., Mme AI...AD..., M. W...AC..., M. AJ...M..., M. AP...A..., M. AO..., M. H...AB..., M. G...AK..., M. J...AN..., M. AV...N..., M. V...T..., M. F...AQ..., M. AL...O..., M. AW...AG..., M. S...AM..., M. AH...C..., à la Polynésie française, à l'assemblée de la Polynésie française, à la Cour des comptes et au ministre des outre-mer.
Copie pour information en sera adressée au ministre de l'intérieur.