Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 octobre 2012 et 2 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'union syndicale Solidaires demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2012-581 du 26 avril 2012 relatif aux conditions de mise en oeuvre du repos compensateur des titulaires d'un contrat d'engagement éducatif et la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur son recours gracieux tendant au retrait de ce décret formé le 22 juin 2012 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des dispositions L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 ;
- la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ;
- la charte sociale européenne (révisée), signée à Strasbourg le 3 mai 1996 ;
- le code de l'action sociale des familles ;
- le décret n° 2008-244 du 7 mars 2008 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-428/09 du 14 octobre 2010 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Didier-Roland Tabuteau, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;
1. Considérant que l'article L. 432-1 du code de l'action sociale et des familles définit les activités " d'engagement éducatif " que constituent notamment " la participation occasionnelle (...) d'une personne physique à des fonctions d'animation ou de direction d'un accueil collectif de mineurs à caractère éducatif organisé à l'occasion de vacances scolaires, de congés professionnels ou de loisirs, dans les conditions prévues aux articles L. 227-4 et suivants " du même code et " la participation occasionnelle d'une personne physique (...) à l'accompagnement exclusif des activités de loisirs et des activités sportives, dans des établissements et services pour enfants, adolescents ou adultes handicapés, ou lors de séjours d'accueil temporaire pour des activités liées aux vacances " ; que les articles L. 432-2 à L. 432-6 énoncent les règles applicables aux contrats d'engagement éducatif et notamment les conditions d'emploi et de rémunération de leurs titulaires ; qu'il résulte en particulier des dispositions de l'article L. 432-4 que le nombre de jours travaillés par une personne titulaire d'un contrat d'engagement éducatif ne peut excéder un plafond de quatre-vingts jours, apprécié sur chaque période de douze mois consécutifs ; que, par le décret attaqué du 26 avril 2012, le pouvoir réglementaire a modifié les articles D. 432-2 à D. 432-4 du même code qui déterminent certaines des modalités d'application de ces dispositions ;
Sur les conclusions dirigées contre le décret attaqué en tant qu'il modifie l'article D. 432-2 du code de l'action sociale et des familles :
2. Considérant que l'article D. 432-2 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction issue du décret attaqué, se borne à reprendre les termes de l'article D. 432-3 du même code en vigueur jusqu'à l'intervention de ce décret et résultant du décret du 7 mars 2008 relatif au code du travail, qui reprenait lui-même les dispositions de l'article D. 773-2-2 du code du travail issu du décret du 28 juillet 2006 relatif à l'engagement éducatif, publié au Journal officiel du 30 juillet 2006 ; qu'ainsi, le décret attaqué est, en tant qu'il modifie l'article D. 432-2 du code de l'action sociale et des familles, purement confirmatif de dispositions qui sont devenues définitives ; qu'il en résulte que les conclusions dirigées contre le décret attaqué sont, dans cette mesure, tardives et, par suite, irrecevables ;
Sur les conclusions dirigées contre le décret attaqué en tant qu'il modifie les articles D. 432-3 et D. 432-4 du code de l'action sociale et des familles :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 432-5 du code de l'action sociale et des familles : " La personne titulaire d'un contrat d'engagement éducatif bénéficie au cours de chaque période de vingt-quatre heures d'une période minimale de repos de onze heures consécutives. / Cette période de repos peut être soit supprimée, soit réduite, sans pouvoir être inférieure à huit heures. La personne titulaire d'un contrat d'engagement éducatif bénéficie alors d'un repos compensateur égal à la fraction du repos dont elle n'a pu bénéficier. Ce repos est accordé en tout ou partie pendant l'accueil dans des conditions fixées par décret " ; que, sur le fondement de ces dispositions, le décret attaqué a prévu deux régimes dérogatoires à la règle de la période quotidienne minimale de repos de onze heures consécutives, décrits aux articles D. 432-3 et D. 432-4 du même code, selon que l'organisation de l'accueil a pour effet de supprimer ou seulement de réduire la période minimale de repos prévue au premier alinéa de l'article L. 432-5 ;
4. Considérant, en premier lieu, que par l'article 2 de la partie II de la charte sociale européenne révisée, faite à Strasbourg le 3 mai 1996, les Etats signataires s'engagent, " en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables ", " 1 à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire, la semaine de travail devant être progressivement réduite pour autant que l'augmentation de la productivité et les autres facteurs entrant en jeu le permettent " ; qu'aux termes de l'article I de la partie V de la même charte relatif à la " mise en oeuvre des engagements souscrits " : " (...) 2 Les engagements découlant des paragraphes 1, 2, 3, 4, 5 et 7 de l'article 2, des paragraphes 4, 6 et 7 de l'article 7, des paragraphes 1, 2, 3 et 5 de l'article 10 et des articles 21 et 22 de la partie II de la présente Charte seront considérés comme remplis dès lors que ces dispositions seront appliquées, conformément au paragraphe 1 du présent article, à la grande majorité des travailleurs intéressés " ; qu'eu égard notamment à la marge d'appréciation laissée aux Etats membres pour prendre les mesures nécessaires à la mise en oeuvre des stipulations du paragraphe 1 de l'article 2, ces stipulations ne créent pas de droits dont les particuliers pourraient directement se prévaloir ; que, par suite, l'union requérante ne peut utilement les invoquer pour contester la légalité des articles D. 432-3 et D. 432-4 du code de l'action sociale et des familles résultant du décret attaqué ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que l'article 3 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, qui s'applique, selon le paragraphe 3 de son article 1er, " à tous les secteurs d'activités, privés ou publics, au sens de l'article 2 de la directive 89/391/CEE, sans préjudice des articles 14, 17, 18 et 19 ", prescrit aux Etats membres de prendre " les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de vingt-quatre heures, d'une période minimale de repos de onze heures consécutives " ; que les b) et c) du paragraphe 3 de son article 17 permettent de déroger aux dispositions de l'article 3 respectivement " pour les activités de garde, de surveillance et de permanence caractérisées par la nécessité d'assurer la protection des biens et des personnes " et " pour les activités caractérisées par la nécessité d'assurer la continuité du service (...) ", cette faculté étant subordonnée par le paragraphe 2 à la condition " que des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés ou que, dans des cas exceptionnels dans lesquels l'octroi de telles périodes équivalentes de repos compensateur n'est pas possible pour des raisons objectives, une protection appropriée soit accordée aux travailleurs concernés " ;
6. Considérant que, par un arrêt C-428/09 du 14 octobre 2010, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les titulaires de contrats tels que les contrats d'engagement éducatif, exerçant des activités occasionnelles et saisonnières dans des centres de vacances et de loisirs et accomplissant au maximum quatre-vingts journées de travail par an, entrent dans le champ d'application de la directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail et relèvent de la dérogation figurant à l'article 17, paragraphe 3, sous b) ou sous c) de cette directive ;
7. Considérant que les articles D. 432-3 et D. 432-4 du code de l'action sociale et des familles issus du décret attaqué prévoient que lorsque l'organisation de l'accueil des mineurs ou des personnes handicapées ne permet pas de respecter la règle selon laquelle les titulaires d'un contrat d'engagement éducatif doivent bénéficier d'une période quotidienne minimale de repos de onze heures consécutives, des périodes équivalentes de repos compensateurs sont octroyées ; que les dispositions de l'article D. 432-4, combinées à celles de l'article L. 432-5 du même code, permettent aux personnes concernées de bénéficier d'un repos quotidien d'au moins huit heures par jour et d'un repos compensateur minimum obligatoirement pris pendant la période d'accueil si celle-ci excède trois jours ; que les dispositions de l'article D. 432-3 permettent aux personnes concernées de bénéficier d'un repos compensateur minimum obligatoirement pris pendant la période d'accueil si celle-ci excède trois jours ; que, dans les deux régimes définis par les articles D. 432-3 et D. 432-4, le nombre d'heures de repos compensateur prises pendant le séjour croît par paliers en fonction de la durée du séjour ; qu'à ce titre, le titulaire d'un contrat d'engagement éducatif bénéficie, au cours de chaque période d'accueil de sept jours, d'au moins seize heures de repos ; qu'enfin, il est octroyé à l'issue de l'accueil ou, au plus tard, à l'issue d'une période de vingt-et-un jours, un repos compensateur d'une durée égale à la différence entre le nombre d'heures de repos dû sur la période d'accueil au titre de la règle du repos quotidien de onze heures consécutives et le nombre d'heures de repos quotidien et de repos compensateur dont a bénéficié le titulaire du contrat d'engagement éducatif pendant la période d'accueil ;
8. Considérant que ces régimes dérogatoires, qui ne peuvent être mis en oeuvre que si les conditions de l'accueil les rendent nécessaires, sont justifiés par la nature des activités en cause, qui impliquent que les directeurs et animateurs partagent la vie des mineurs ou des personnes handicapées accueillies pendant la durée du séjour ; qu'ils prévoient l'octroi de périodes équivalentes de repos compensateur, sans que la circonstance que ce repos soit accordé pour partie à l'issue de la période d'accueil fasse obstacle à son caractère effectif ; que les dispositions des articles D. 432-3 et D. 432-4 résultant du décret attaqué ne sauraient être légalement mises en oeuvre s'il en résultait que la protection de la sécurité et de la santé des titulaires de contrats d'engagement éducatif et le bon exercice de leurs missions n'étaient plus assurés ; que les conditions de rémunération des titulaires d'un contrat d'engagement éducatif sont sans incidence sur le respect des objectifs de l'article 3 de la directive du 4 novembre 2003 ;
9. Considérant, en dernier lieu, que le 1 de la clause 4 de l'accord-cadre du 18 mars 1999 sur le travail à durée déterminée, mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999, prévoit que : " Pour ce qui concerne les conditions d'emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d'une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu'ils travaillent à durée déterminée, à moins qu'un traitement différent soit justifié par des raisons objectives " ; qu'il ressort des pièces du dossier que les conditions particulières d'emploi des titulaires de contrats d'engagement éducatif contestées par l'union requérante, mises en oeuvre lorsque le type d'accueil le requiert, sont liées au caractère saisonnier, à l'objectif social de permettre aux enfants, adolescents et personnes handicapées de participer à des loisirs éducatifs à des prix modérés et à l'apport éducatif d'une forme d'accueil conduisant les titulaires de ces contrats, ainsi qu'il a été dit, à partager la vie des mineurs ou des personnes handicapées accueillies pendant la durée du séjour, et non à la circonstance qu'ils travaillent à durée déterminée ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 9 que, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, les moyens tirés de la méconnaissance des objectifs des directives du 4 novembre 2003 et du 28 juin 1999 doivent être écartés ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par l'union syndicale Solidaires ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'union syndicale Solidaires est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'union syndicale Solidaires, au Premier ministre, au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et au ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.