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05/11/2014 | FRANCE | N°380606

France | France, Conseil d'État, 3ème sous-section jugeant seule, 05 novembre 2014, 380606


Vu la procédure suivante :

1° Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 mai et 12 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 380606, la commune de Saint-Fiel demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-161 du 17 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de la Creuse ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Par une requête enregistrée le 6

juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 381027, Mme B...A...de...

Vu la procédure suivante :

1° Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 mai et 12 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 380606, la commune de Saint-Fiel demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-161 du 17 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de la Creuse ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Par une requête enregistrée le 6 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 381027, Mme B...A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-161 du 17 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de la Creuse ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la Constitution du 4 octobre 1958 ;

- le code électoral ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 ;

- le décret n° 2013-938 du 18 octobre 2013 ;

- la décision n° 380636 du 12 juin 2014 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité relatives aux articles L. 3113-1 et L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales et L. 191-1 du code électoral ;

- l'ordonnance n° 380606 du 8 juillet 2014 par laquelle le président de la 3ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la commune de Saint-Fiel ;

- l'ordonnance n° 381027 du 8 juillet 2014 par laquelle le président de la 3ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par MmeA... ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Egerszegi, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus tendent à l'annulation pour excès de pouvoir du même décret et présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article L. 191-1 du code électoral, résultant de la loi du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral : " Le nombre de cantons dans lesquels seront élus les conseillers départementaux est égal, pour chaque département, à la moitié du nombre de cantons existant au 1er janvier 2013, arrondi à l'unité impaire supérieure si ce nombre n'est pas entier impair. / Le nombre de cantons dans chaque département comptant plus de 500 000 habitants ne peut être inférieur à dix-sept. Il ne peut être inférieur à treize dans chaque département comptant entre 150 000 et 500 000 habitants ". Aux termes de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la même loi, applicable à la date du décret attaqué : " I. - Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d'Etat après consultation du conseil général qui se prononce dans un délai de six semaines à compter de sa saisine. A l'expiration de ce délai, son avis est réputé rendu. / (...) III. - La modification des limites territoriales des cantons effectuée en application du I est conforme aux règles suivantes : / a) Le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques ; / b) Le territoire de chaque canton est continu ; / c) Est entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 3 500 habitants ; / IV. - Il n'est apporté aux règles énoncées au III que des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques ou par d'autres impératifs d'intérêt général ".

3. Compte tenu de la réduction du nombre des cantons résultant de l'application de l'article L. 191-1 du code électoral, le décret attaqué a, sur le fondement de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, procédé à une nouvelle délimitation des cantons du département de la Creuse.

Sur la compétence du Premier ministre et sur la procédure d'élaboration du décret attaqué :

4. En premier lieu, il résulte des termes mêmes des dispositions législatives précitées qu'il appartenait au Premier ministre de procéder, par décret en Conseil d'Etat, à une nouvelle délimitation territoriale de l'ensemble des cantons. Les autres critiques soulevées par les requérantes à l'appui de leur moyen tiré de l'incompétence du Premier ministre pour prendre le décret attaqué reviennent à remettre en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions législatives précitées. Les questions prioritaires de constitutionnalité posées à cet effet n'ont pas été renvoyées au Conseil constitutionnel par la décision n° 380636 et les ordonnances n° 380606 et 381027 du Conseil d'Etat statuant au contentieux visées ci-dessus.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". Le décret attaqué n'appelle aucune mesure d'exécution que le ministre de la justice et le ministre en charge de l'agriculture seraient compétents pour signer ou contresigner. Il n'avait donc pas à être contresigné par ces ministres.

6. En troisième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait de procéder, préalablement à l'intervention du décret attaqué, à la consultation des communes ou à celle des établissements publics de coopération intercommunale, non plus qu'à la consultation individuelle des élus, sur la création et la suppression de cantons. La circonstance, à la supposer établie, que l'avis de certains élus ait été recueilli n'a pas eu pour effet d'instaurer une procédure de consultation dont l'administration aurait été ensuite tenue de respecter les règles. Les requérantes ne peuvent, à cet égard et en tout état de cause, utilement se prévaloir des termes de la circulaire du ministre de l'intérieur du 12 avril 2013 relative à la méthodologie du redécoupage cantonal en vue de la mise en oeuvre du scrutin binominal majoritaire aux élections départementales, laquelle est dépourvue de caractère réglementaire.

7. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier d'une part, que le conseil général de la Creuse a été saisi du projet de décret portant délimitation des futurs cantons accompagné de cartes et d'éléments statistiques permettant d'éclairer les conseillers généraux sur le projet qui leur était soumis et d'autre part, que le préfet a présenté ce projet lors de la séance du conseil général du 17 décembre 2013 en expliquant les choix opérés compte tenu des contraintes législatives et constitutionnelles et en précisant que cette nouvelle carte électorale était sans incidence sur l'organisation administrative locale. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la consultation du conseil général aurait été irrégulière au motif que des informations insuffisantes ou erronées lui auraient été fournies.

8. En cinquième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire ne fait en principe obstacle à ce que le préfet assiste aux débats du conseil général. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que la circonstance que le préfet de la Creuse ait présenté le projet de délimitation des cantons et assisté aux débats et au vote public du conseil général, aurait été de nature à entacher d'irrégularité la consultation du conseil général.

9. En sixième lieu, l'organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'une décision doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par cette décision. En l'espèce, il ne saurait sérieusement être soutenu que le conseil général n'a pas été saisi de l'ensemble des questions posées par le projet de modification des cantons du département, dès lors que le projet de décret qui a été soumis à sa consultation tendait au redécoupage de tous les cantons du département. Par suite, le moyen tiré de ce qu'eu égard aux modifications, à les supposer établies, qui ont été apportées au projet de délimitation des cantons à la suite de l'avis du Conseil d'Etat, le conseil général aurait dû être consulté une nouvelle fois sur le projet de décret ne peut qu'être écarté.

10. En septième lieu, s'il est soutenu que la carte distribuée le jour de la séance du conseil général par le préfet de la Creuse, le 17 décembre 2013, différait de celle transmise aux conseillers généraux avant la séance, le moyen n'est pas assorti des précisions nécessaires permettant d'en apprécier le bien-fondé et ne peut dès lors qu'être écarté.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

11. En premier lieu, aux termes de l'article 71 du décret du 18 octobre 2013, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué : " (...) Pour la première délimitation générale des cantons opérée en application de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de l'article 46 de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, (...), le chiffre de la population municipale auquel il convient de se référer est celui authentifié par le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 authentifiant les chiffres des populations (...) ". Il est constant que les nouveaux cantons du département de la Creuse ont été délimités sur la base des données authentifiées par le décret du 27 décembre 2012. Par suite, le moyen tiré de ce que les données retenues pour le redécoupage des cantons de ce département ne correspondraient pas à la réalité démographique ne peut qu'être écarté.

12. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales que la délimitation des cantons doit être effectuée sur des bases essentiellement démographiques, et non en fonction du nombre d'électeurs. En outre, ne peut être utilement invoqué le moyen tiré de ce que le décret n'aurait pas procédé à un rééquilibrage des écarts de population par canton d'un département à un autre dès lors que l'objet du décret est de procéder à une élection au sein de chaque département. Les autres critiques soulevées par les requérantes à l'appui de leur moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant le suffrage reviennent à remettre en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions législatives précitées. Les questions prioritaires de constitutionnalité posées à cet effet n'ont pas été renvoyées au Conseil constitutionnel par la décision n° 380636 et les ordonnances n° 380606 et n° 381027 du Conseil d'Etat statuant au contentieux visées ci-dessus.

13. En troisième lieu, la circonstance que le décret attaqué se borne à identifier, pour chaque canton, un " bureau centralisateur " sans mentionner les chefs-lieux de canton est, en tout état de cause, sans influence sur la légalité d'un décret qui a pour objet la délimitation de circonscriptions électorales dans le département de la Creuse.

14. En quatrième lieu, ni l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, ni aucun autre texte non plus qu'aucun principe n'imposaient au Premier ministre de prévoir que les limites des cantons, qui sont des circonscriptions électorales, coïncident avec les périmètres des établissements publics de coopération intercommunale, des arrondissements, des anciens cantons ou des " bassins de vie " définis par l'Institut national de la statistique et des études économiques.

15. En cinquième lieu, si les requérantes soutiennent que le nouveau découpage créerait un déséquilibre entre les cantons ruraux et les cantons urbains, dont la population serait mieux représentée, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. En outre, il n'est, en tout état de cause, pas allégué que la délimitation des cantons du département de la Creuse n'aurait pas été opérée sur des bases essentiellement démographiques.

16. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet de décret qui a été soumis au conseil général désignait initialement la commune de Saint-Sulpice-le-Guérétois, qui compte 1 996 habitants et qui est la plus peuplée du canton n° 14, comme bureau centralisateur de ce canton. Toutefois, il ressort de la délibération du 17 décembre 2013 que le conseil général a adopté un voeu tendant à la désignation de la commune de Saint-Vaury, qui compte 1 784 habitants, en tant que bureau centralisateur du canton n° 14. Par suite, eu égard à cette circonstance, au nombre d'habitants de la commune de Saint-Vaury, voisin de celui de la commune de Saint-Sulpice-le-Guérétois, et à la desserte routière plus favorable de la première, la désignation comme bureau centralisateur du canton n° 14 de la commune de Saint-Vaury ne peut être regardée comme entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

17. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

18. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur à la requête de la commune de Saint-Fiel, les requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret attaqué. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de la commune de Saint-Fiel et de Mme A...sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Fiel, à Mme B...A..., au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 3ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 380606
Date de la décision : 05/11/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 nov. 2014, n° 380606
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Anne Egerszegi
Rapporteur public ?: M. Vincent Daumas

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:380606.20141105
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