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05/11/2014 | FRANCE | N°378574

France | France, Conseil d'État, 3ème sous-section jugeant seule, 05 novembre 2014, 378574


Vu la procédure suivante :

1° Par une requête enregistrée le 24 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 378574, M. A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-217 du 21 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de Seine-Saint-Denis ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Par une requête, enregistrée le 6 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Eta

t sous le n° 380986, M. Jean-Michel Bluteau, conseiller général, agissant, en qualité de p...

Vu la procédure suivante :

1° Par une requête enregistrée le 24 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 378574, M. A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-217 du 21 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de Seine-Saint-Denis ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Par une requête, enregistrée le 6 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 380986, M. Jean-Michel Bluteau, conseiller général, agissant, en qualité de président du groupe d'élus au conseil général de la Seine-Saint-Denis dénommé " La Seine-Saint-Denis pour demain ", au nom de ce groupe dont les membres lui ont donné délégation pour agir, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-217 du 21 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de la Seine-Saint-Denis ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

3° Par une requête enregistrée le 2 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 382069 et un nouveau mémoire enregistré le 9 octobre 2014, la commune de Tremblay-en-France demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-217 du 21 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département de Seine Saint-Denis.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la Constitution du 4 octobre 1958 ;

- le code électoral ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 ;

- le décret n° 2013-938 du 18 octobre 2013 ;

- la décision n° 380636 du 12 juin 2014 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité relatives aux articles L. 3113-1 et L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales et L. 191-1 du code électoral ;

- l'ordonnance n° 380986 du 8 juillet 2014 par laquelle le président de la 3ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par le groupe " La Seine-Saint-Denis pour demain " ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Egerszegi, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes de M.B..., du groupe " La Seine-Saint-Denis pour demain " et de la commune de Tremblay-en-France sont dirigées contre le même acte. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article L. 191-1 du code électoral, résultant de la loi du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral : " Le nombre de cantons dans lesquels seront élus les conseillers départementaux est égal, pour chaque département, à la moitié du nombre de cantons existant au 1er janvier 2013, arrondi à l'unité impaire supérieure si ce nombre n'est pas entier impair. / Le nombre de cantons dans chaque département comptant plus de 500 000 habitants ne peut être inférieur à dix-sept. Il ne peut être inférieur à treize dans chaque département comptant entre 150 000 et 500 000 habitants ". Aux termes de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la même loi, applicable à la date du décret attaqué : " I. - Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d'Etat après consultation du conseil général qui se prononce dans un délai de six semaines à compter de sa saisine. A l'expiration de ce délai, son avis est réputé rendu. / (...) III. - La modification des limites territoriales des cantons effectuée en application du I est conforme aux règles suivantes : / a) Le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques ; / b) Le territoire de chaque canton est continu ; / c) Est entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 3 500 habitants ; / IV. - Il n'est apporté aux règles énoncées au III que des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques ou par d'autres impératifs d'intérêt général ".

3. Compte tenu de la réduction du nombre des cantons résultant de l'application de l'article L. 191-1 du code électoral, le décret attaqué a, sur le fondement de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, procédé à une nouvelle délimitation des cantons du département de la Seine-Saint-Denis.

Sur la compétence du Premier ministre et la procédure d'élaboration du décret attaqué

4. En premier lieu, il résulte des termes mêmes des dispositions législatives précitées qu'il appartenait au Premier ministre de procéder, par décret en Conseil d'Etat, à une nouvelle délimitation territoriale de l'ensemble des cantons. Les autres critiques soulevées par le groupe " La Seine-Saint-Denis pour demain " à l'appui de son moyen tiré de l'incompétence du Premier ministre pour prendre le décret attaqué reviennent à remettre en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions législatives précitées. Les questions prioritaires de constitutionnalité posées à cet effet n'ont pas été renvoyées au Conseil constitutionnel par la décision n° 380636 et l'ordonnance n° 380986 du Conseil d'Etat statuant au contentieux visées ci-dessus.

5. En deuxième lieu, si M. B...émet un doute dans sa requête sur le point de savoir si " le Conseil d'Etat a été saisi du décret tel qu'il a été publié " au seul motif que ce décret a été modifié par rapport au projet initial soumis au conseil général de la Seine-Saint-Denis, il ressort de la copie de la minute de la délibération de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat, produite par le ministre de l'intérieur, que le décret attaqué a été pris le Conseil d'Etat entendu et que le texte publié ne contient pas de disposition qui diffèrerait à la fois du texte soumis au Conseil d'Etat et du texte adopté par lui. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait été pris sans consultation régulière du Conseil d'Etat ne peut donc qu'être écarté.

6. En troisième lieu, l'organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'une décision doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par cette décision. Si la délimitation de certains cantons de la Seine-Saint-Denis, telle qu'elle résulte du décret attaqué, n'est pas en tous points identique à celle prévue dans le projet soumis pour consultation au conseil général, il ne saurait sérieusement être soutenu que ce conseil, qui disposait du délai de six semaines à compter de sa saisine prévue par l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales pour se prononcer, n'a pas été saisi de l'ensemble des questions posées par le projet qui tendait au redécoupage de tous les cantons du département. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que le conseil général a reçu une information complète sur le projet de décret et la délimitation à laquelle il procède. Le moyen tiré de ce que le projet aurait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière doit par suite être écarté.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". Le décret attaqué n'appelle aucune mesure d'exécution que le ministre de la justice serait compétent pour signer ou contresigner. Il n'avait donc pas à être contresigné par ce ministre.

8. En cinquième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait de procéder, préalablement à l'intervention du décret attaqué, à la consultation des communes, des établissements publics de coopération intercommunale, des groupes d'élus constitués au sein du conseil général, non plus qu'à la consultation individuelle des élus du département indépendamment de la consultation du conseil général requise par l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, des élus des communes ou de leurs établissements publics de coopération. La circonstance, à la supposer établie, que l'avis de certains élus ait été recueilli n'a pas eu pour effet d'instaurer une procédure de consultation dont l'administration aurait été ensuite tenue de respecter les règles. Ne peuvent, à cet égard et en tout état de cause, utilement être invoqués les termes de la circulaire du ministre de l'intérieur du 12 avril 2013 relative à la méthodologie du redécoupage cantonal en vue de la mise en oeuvre du scrutin binominal majoritaire aux élections départementales, laquelle est dépourvue de caractère réglementaire. En outre, si le groupe " La Seine-Saint-Denis pour demain " fait valoir que le conseil général n'a pas disposé d'informations et de délai suffisants pour rendre son avis, il n'assortit pas cette affirmation de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

9. En sixième lieu, aucune disposition législative n'imposait au gouvernement de motiver le décret attaqué.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

10. En premier lieu, aux termes de l'article 71 du décret du 18 octobre 2013, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué : " (...) Pour la première délimitation générale des cantons opérée en application de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de l'article 46 de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, (...), le chiffre de la population municipale auquel il convient de se référer est celui authentifié par le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 authentifiant les chiffres des populations (...) ". Il est constant que les nouveaux cantons du département de la Seine-Saint-Denis ont été délimités sur la base des données authentifiées par le décret du 27 décembre 2012. Par suite, le moyen tiré de ce que les données retenues pour le redécoupage des cantons de ce département ne correspondraient pas à la réalité démographique ne peut qu'être écarté.

11. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales que la délimitation des cantons doit être effectuée sur des bases essentiellement démographiques. Il en découle qu'elle doit être effectuée en prenant en considération non le nombre des électeurs mais le chiffre de la population. De plus, ne peut être utilement invoqué le moyen tiré de ce que le décret n'aurait pas procédé à un rééquilibrage des écarts de population par canton d'un département à un autre dès lors que l'objet du décret est de procéder à une élection au sein de chaque département. Les autres critiques soulevées par le groupe " La Seine-Saint-Denis pour demain " à l'appui du moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant le suffrage reviennent à remettre en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions législatives précitées. Les questions prioritaires de constitutionnalité posées à cet effet n'ont pas été renvoyées au Conseil constitutionnel par la décision n° 380636 et l'ordonnance n° 380986 du Conseil d'Etat statuant au contentieux visées ci-dessus.

12. En troisième lieu, ni l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, ni aucun autre texte non plus qu'aucun principe n'imposaient au Premier ministre de prévoir que les limites des cantons, qui sont des circonscriptions électorales, coïncident avec les périmètres des établissements publics de coopération intercommunale, des arrondissements, des anciens cantons, des circonscriptions législatives, des " bassins de vie ", des circonscriptions judiciaires ou des " différentes collectivités et circonscriptions ". Par ailleurs, la circonstance qu'un autre découpage cohérent était possible ne suffit pas à démontrer l'illégalité de celui retenu par le décret attaqué. En tout état de cause, la dispersion par rapport à la moyenne départementale des populations des cantons résultant de la carte cantonale alternative proposée par le groupe " Seine-Saint-Denis pour demain " est supérieure à celle résultant du décret attaqué.

13. En quatrième lieu, la circonstance que le décret attaqué se borne à identifier, pour chaque canton, un " bureau centralisateur " sans mentionner les chefs-lieux de canton est, en tout état de cause, sans influence sur la légalité de ce décret, qui porte sur la délimitation des circonscriptions électorales dans le département de la Seine-Saint-Denis.

14. En cinquième lieu, si la nouvelle carte cantonale fait apparaître des écarts significatifs de la population de certains cantons à la moyenne départementale, le ministre soutient, sans être contesté, que la nouvelle délimitation a permis de réduire sensiblement l'écart relatif entre la population du canton le moins peuplé et celle du canton le plus peuplé et qu'elle respectait, dans la mesure du possible, l'unité territoriale des communes.

15. En particulier, les disparités démographiques critiquées par la commune de Tremblay-en-France, qui ne se traduisent par aucun écart par rapport à la population moyenne des cantons du département excédant 20%, ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation. Ainsi, la division de la commune de Montreuil en deux cantons selon l'axe est-ouest représenté par la route nationale 102, en suivant les îlots regroupés pour l'information statistique (IRIS) définis par l'Institut national de la statistique et des études économiques, alors même que d'autres tracés étaient possibles, repose sur un critère géographique de délimitation objectif et n'apparaît pas manifestement erronée. Par ailleurs, si la commune de Tremblay-en-France soutient qu'elle aurait dû être rattachée au canton n° 19 regroupant les communes de Villepinte et Sevran dès lors que ces communes appartiennent au même établissement public de coopération intercommunale, plutôt qu'au canton n° 20, composé de communes avec lesquelles " elle ne partagerait aucun projet ", un tel tracé aurait conduit à ce que la population du canton

n° 19 soit supérieure de plus de 65% à la population moyenne des cantons du département.

16. Si M. B...critique, pour sa part, le tracé des cantons d'Epinay-sur-Seine et de Saint-Ouen, le ministre fait valoir que le tracé de ces deux cantons est justifié par le choix de limiter le fractionnement de la commune de Saint-Denis en deux cantons seulement et de regrouper, dans un même canton, les communes ou fractions de communes riveraines de la Seine - Saint-Ouen, L'Ile-Saint-Denis et une fraction d'Epinay-sur-Seine -. Par suite, les tracés contestés ne sont pas entachés d'une erreur manifeste d'appréciation. Si M. B...fait également valoir que le territoire de plusieurs communes a été réparti entre plusieurs cantons sans que ces divisions ne soient justifiées sur des bases essentiellement démographiques, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

17. Enfin, il ressort des pièces du dossier que le moyen tiré ce que la population du canton de Bobigny serait supérieure de plus de 20 % à la population moyenne des cantons du département de la Seine-Saint-Denis manque en fait. Les moyens tirés de ce que la délimitation porterait atteinte au principe d'égalité des citoyens devant le suffrage ou procèderait d'une erreur manifeste d'appréciation ne peuvent par suite qu'être écartés.

18. En sixième lieu, le groupe " Seine-Saint-Denis pour demain " ne peut utilement soutenir que le décret est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, faute de ne pas prendre en compte la création, au 1er janvier 2016, de la métropole du Grand Paris, dès lors qu'en tout état de cause, cette création est sans incidence sur l'existence du département de la Seine-Saint-Denis.

19. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

20. Il résulte de tout ce qui précède que M.B..., le groupe " La Seine-Saint-Denis pour demain " et la commune de Tremblay-en-France ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret attaqué. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de M.B..., du groupe " La Seine-Saint-Denis pour demain " et de la commune de Tremblay-en-France sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., à M. Jean-Michel Bluteau pour le groupe " La Seine-Saint-Denis pour demain ", à la commune de Tremblay-en-France, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 3ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 378574
Date de la décision : 05/11/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 nov. 2014, n° 378574
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Anne Egerszegi
Rapporteur public ?: M. Vincent Daumas

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:378574.20141105
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