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03/11/2014 | FRANCE | N°382619

France | France, Conseil d'État, 8ème sous-section jugeant seule, 03 novembre 2014, 382619


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 15 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...et M. D... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 5 décembre 2013 par laquelle le ministre de l'économie et des finances a refusé d'abroger le rescrit fiscal n°2012/25 publiée le 27 septembre 2012 au paragraphe 40 du Bulletin officiel des finances publiques - impôts sous l'intitulé BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-10-20120927 ;

2°) mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ils soutiennent que :

...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 15 juillet 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...et M. D... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 5 décembre 2013 par laquelle le ministre de l'économie et des finances a refusé d'abroger le rescrit fiscal n°2012/25 publiée le 27 septembre 2012 au paragraphe 40 du Bulletin officiel des finances publiques - impôts sous l'intitulé BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-10-20120927 ;

2°) mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ils soutiennent que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée, faute pour le ministre d'avoir répondu à leur moyen tiré de l'inconstitutionnalité des dispositions du 1° du 4 de l'article 261 du code général des impôts ;

- le rescrit n° 2012/25 est entaché d'incompétence dès lors que seul le législateur a compétence pour déterminer l'assiette des impositions ;

- le rescrit n° 2012/25 méconnaît les dispositions de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que le principe de neutralité fiscale de la taxe sur la valeur ajoutée ;

- les dispositions de l'article 261 du code général des impôts explicitées par le rescrit, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi fiscale garanti par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par deux mémoires distincts, enregistrés les 8 août et 18 septembre 2014, Mme A...et M.D..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur requête visée ci-dessus, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1° du 4 de l'article 261 du code général des impôts.

Ils soutiennent que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant l'impôt garanti par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'obligation constitutionnelle de transposition des directives communautaires.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 3 et 23 septembre 2014, le ministre des finances et des comptes publics soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, en particulier que la question soulevée n'est pas sérieuse.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 septembre 2014, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 78-1240 du 29 décembre 1978 ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- l'arrêt n° C-91/12 du 21 mars 2013 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Patrick Quinqueton, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

1. Considérant que le 1° du 4 de l'article 261 du code général des impôts, pris pour la transposition des dispositions du c) du 1° du A de l'article 13 de la directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés du 17 mai 1977, repris au c) du paragraphe 1 de l'article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, prévoit que sont exonérés de taxe sur la valeur ajoutée " les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées (...) " ;

2. Considérant que Mme A...et M. D...demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 5 décembre 2013 par laquelle le ministre de l'économie et des finances a refusé d'abroger le rescrit n° 2012/25, publié le 27 septembre 2012 au paragraphe 40 du Bulletin officiel des finances publiques - impôts sous l'intitulé BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-10-20120927, commentant les dispositions précitées du 1° du 4 de l'article 261 du code général des impôts et précisant qu'" en matière de médecine et de chirurgie esthétique [...] les actes pratiqués par les médecins ne sont éligibles à l'exonération que dans la mesure où ils consistent à prodiguer un soin au patient, c'est-à-dire lorsqu'ils poursuivent une finalité thérapeutique. En revanche, les actes, qui ne peuvent être considérés comme des soins car ils ne poursuivent pas une finalité thérapeutique doivent être soumis à la taxe sur la valeur ajoutée. / Par conséquent, les seuls actes qui bénéficient de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée sont ceux qui sont pris en charge totalement ou partiellement par l'assurance maladie, c'est-à-dire notamment les actes de chirurgie réparatrice et certains actes de chirurgie esthétique justifiés par un risque pour la santé du patient ou liés à la reconnaissance d'un grave préjudice psychologique ou social " ;

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

3. Considérant qu'eu égard à sa nature d'acte général et impersonnel, la décision du ministre refusant d'abroger le rescrit n° 2012/25 n'avait pas à être motivée en application de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

4. Considérant qu'il résulte des dispositions des directives mentionnées au point 1, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt Skatteverket c/ PFC Clinic AB du 21 mars 2013, que seuls les actes de médecine et de chirurgie esthétique dispensés dans le but " de diagnostiquer, de soigner et, dans la mesure du possible, de guérir " des personnes qui, par suite d'une maladie, d'une blessure ou d'un handicap physique congénital, nécessitent une telle intervention, poursuivent une finalité thérapeutique et doivent, dès lors, être regardés comme des soins à la personne exonérés de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'il en va différemment lorsque ces actes n'obéissent en aucun cas à une telle finalité ;

5. Considérant qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 6322-1 et R. 6322-1 du code de la santé publique, les actes de chirurgie esthétique, qui n'entrent pas dans le champ des prestations couvertes par l'assurance maladie au sens de l'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale, sont des actes qui tendent à modifier l'apparence corporelle d'une personne, à sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructrice ; que les actes de médecine ou de chirurgie esthétique à finalité thérapeutique relèvent des dispositions de l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale, aux termes desquelles la prise en charge par l'assurance maladie est subordonnée à l'inscription sur la liste qu'elles mentionnent ; que cette liste prévoit le remboursement des actes de médecine ou de chirurgie esthétique répondant, pour le patient, à une indication thérapeutique, évaluée le cas échéant sur entente préalable de l'assurance maladie ;

6. Considérant que, dans ces conditions, en subordonnant le bénéfice de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée des actes de médecine et de chirurgie esthétique à la condition qu'ils soient pris en charge totalement ou partiellement par l'assurance maladie, le rescrit n° 2012/25 explicite, sans les méconnaître, pour les actes de chirurgie et de médecine esthétique, la portée des dispositions du 1° du 4 de l'article 261 du code général des impôts, lesquelles ne portent pas atteinte au principe de neutralité du système commun de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'il n'est, par suite, entaché d'aucune incompétence ; que les requérants ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que la décision du ministre refusant de l'abroger serait illégale pour ces motifs ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

7. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

8. Considérant qu'une disposition examinée dans une précédente décision du Conseil constitutionnel au regard de la seule régularité de sa procédure d'adoption ne saurait être regardée comme ayant déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

9. Considérant, en premier lieu, que les requérants soutiennent que les dispositions du 1° du 4 de l'article 261 du code général des impôts telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat méconnaissent le principe d'égalité devant l'impôt dès lors que des actes de médecine et de chirurgie esthétique identiques font l'objet d'un traitement différent au regard de la taxe sur la valeur ajoutée selon qu'ils ont ou non une finalité thérapeutique ; qu'en l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel n'est pas compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive de l'Union européenne ; qu'en ce cas, il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette directive des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du Traité sur l'Union européenne ; qu'en l'espèce, la différence de traitement invoquée par les requérants se borne à tirer les conséquences des dispositions inconditionnelles et précises des directives mentionnées au point 1 telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, qui ne mettent en cause aucune règle, ni aucun principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France ; que, par suite, il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée ;

10. Considérant, en deuxième lieu, que les requérants soutiennent que les dispositions du 1° du 4 de l'article 261 du code général des impôts telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat méconnaissent le principe d'égalité devant l'impôt en ce qu'en subordonnant le bénéfice de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée des actes de médecine et de chirurgie esthétique à la condition qu'ils soient pris en charge totalement ou partiellement par l'assurance maladie, elles introduisent une discrimination injustifiée au détriment des praticiens de médecine et de chirurgie esthétique par rapport à d'autres professions médicales et paramédicales réglementées entrant dans le champ du 1° du 4 de l'article 261 du code général des impôts, pour lesquelles ce critère de prise en charge par l'assurance maladie ne s'applique pas ; que, toutefois, la différence de traitement ainsi instaurée repose sur une différence de situation objective en rapport avec l'objet de la loi, tenant aux spécificités et aux modalités d'exercice propres à chacune des professions visées par ces dispositions, qui doivent être prises en considération dans l'appréciation de la finalité thérapeutique des soins prodigués ; que par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ;

11. Considérant, enfin, que les requérants ne peuvent utilement faire valoir que les dispositions critiquées méconnaîtraient l'exigence de transposition des directives résultant de l'article 88-1 de la Constitution dès lors que le respect de cette exigence ne relève pas des droits et libertés que la Constitution garantit et ne saurait, par suite, être invoqué dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité ; qu'au demeurant, la disposition législative critiquée est conforme aux objectifs des directives communautaires mentionnées au point 1 telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne ;

12. Considérant qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, le moyen tiré de ce que les dispositions du 1° du 4 de l'article 261 du code général des impôts telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision attaquée ; que leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A...et M.D....

Article 2 : La requête de Mme A...et M. D...est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme B...A..., à M. C... D...et au ministre des finances et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 8ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 382619
Date de la décision : 03/11/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 03 nov. 2014, n° 382619
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Patrick Quinqueton
Rapporteur public ?: Mme Nathalie Escaut

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:382619.20141103
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