Vu la requête, enregistrée le 26 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société La Chaîne Info (LCI), dont le siège social est 1, quai du Point du Jour, à Boulogne-Billancourt, représentée par son président ; la société LCI demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision n°2014-357 du 29 juillet 2014 du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;
2°) d'enjoindre au Conseil supérieur de l'audiovisuel de lui délivrer, à titre provisoire, un agrément autorisant son passage du mode de diffusion payant au mode de diffusion gratuit ou, à défaut, d'enjoindre au Conseil supérieur de l'audiovisuel de réexaminer sa demande d'agrément dans le délai d'un mois ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
- la décision contestée préjudicie de manière grave et immédiate aux intérêts de LCI :
- les principaux contrats de distribution qui permettaient de rémunérer la chaîne expirant le 31 décembre 2014, la seule alternative au passage en gratuit est donc soit la fermeture pure et simple, soit un changement profond de la chaîne entraînant le licenciement de 60% des 247 salariés ;
- LCI doit anticiper la sortie volontaire des contrats de diffusion technique ;
- LCI doit anticiper les travaux nécessaires au passage en clair ;
- la décision contestée va entraîner la disparition d'une chaîne d'information, ce qui porte atteinte à l'objectif fondamental de pluralisme ;
- pour la même raison, aucun motif général ne justifie le maintien de la décision contestée ;
- plusieurs moyens sont propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a méconnu le principe des droits de la défense, en ne permettant pas à LCI de prendre connaissance et de discuter utilement de l'étude d'impact, des auditions des tiers et de l'avis de l'Autorité de la concurrence ;
- le CSA aurait dû permettre à LCI de discuter du contenu des engagements que la chaîne était disposée à prendre ;
- la décision est insuffisamment motivée, notamment s'agissant du caractère insuffisant des engagements de LCI et de l'impact économique du passage en clair de la chaîne ;
- la décision est entachée de plusieurs contradictions dans ses motifs ;
- le CSA a violé les dispositions de l'article 42-3 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 en refusant de tenir compte de l'impact de son refus sur le devenir de LCI ;
le CSA a violé les dispositions de l'article 42-3 de la loi précitée en faisant du maintien des équilibres du marché publicitaire un motif de refus, et en appréciant ce marché de manière statique ;
- la décision du CSA méconnaît les principes de liberté d'entreprendre et de liberté de la concurrence ;
- le CSA a inexactement apprécié la différence de ligne éditoriale entre LCI et les chaînes d'information continue déjà présentes sur la TNT gratuite ;
- le CSA a inexactement apprécié l'impact du passage de LCI en diffusion gratuite sur l'audience des autres chaînes d'information en continu et sur le marché publicitaire ;
- le CSA a inexactement apprécié l'atteinte à la viabilité économique et financière des chaînes iTélé, BFM TV, RMC Découverte et l'Equipe 21 ;
Vu la décision dont la suspension de l'exécution est demandée ;
Vu la copie de la requête à fin d'annulation de cette décision ;
Vu le mémoire en intervention, enregistré le 14 octobre 2014, présenté pour l'Union des syndicats nationaux de l'audiovisuel CFTC (USNA-CFTC), dont le siège est 1, quai du Point du Jour à Boulogne Billancourt Cedex (92656), représentée par sa présidente en exercice ; l'USNA-CFTC demande que le juge des référés du Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête de la société LCI ; elle soutient en outre que :
- le Conseil supérieur de l'audiovisuel méconnaît les objectifs législatifs de pluralisme dont il est le garant ;
- il méconnaît l'égalité de traitement entre les différentes chaînes,
- il porte atteinte à la liberté de la presse, à la liberté de l'information, à la liberté de la communication, à la liberté d'entreprendre, à la liberté de la concurrence et à la liberté du travail ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 octobre 2014, présenté pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui conclut au rejet de la requête ;
il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors, notamment, que la résiliation des contrats de distribution de LCI au 31 décembre 2014 résulte d'une inaction de LCI ; il soutient également que les moyens soulevés par LCI ne sont pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision ;
Vu le mémoire en intervention, enregistré le 15 octobre 2014, présenté pour la société NextRadioTV, dont le siège est 12, rue d'Oradour-sur-Glâne à Paris (75015), représentée par son président, qui conclut au rejet de la requête avec les mêmes moyens que le Conseil supérieur de l'audiovisuel ;
Vu le mémoire en intervention, enregistré le 20 octobre 2014, présenté pour la société Groupe Canal+, dont le siège est 1, place du spectacle à Issy-les-Moulineaux (92130), représentée par son président, et pour la société d'exploitation d'un service d'information (SESI) exploitant le service iTélé, dont le siège est à la même adresse que la précédente, représentée par son président, qui concluent au rejet de la requête avec les mêmes moyens que le Conseil supérieur de l'audiovisuel ; elles soutiennent en outre que l'urgence alléguée par la requérante en raison de l'expiration des contrats de distribution au 31 décembre 2014 résulte principalement du refus de sa société mère TF1 de prolonger, avec le groupe Canal+, le contrat de distribution au-delà de cette date ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 20 octobre 2014, présenté pour la société LCI qui reprend les conclusions de sa requête avec les mêmes moyens ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société LCI, d'autre part, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, ainsi que l'Union des syndicats nationaux de l'audiovisuel CFTC, la société NextRadio TV, la société Groupe Canal + et la la société d'exploitation d'un service d'information (SESI) exploitant le service iTélé ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 21 octobre 2014 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Pierre-François Briard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société LCI ;
- les représentants de la société LCI ;
- Me Elisabeth Baraduc, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;
- les représentants du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;
- Me Pierre Ricard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Union des syndicats nationaux de l'audiovisuel CFTC ;
- Me François Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société NextRadio TV ;
- les représentants de la société NextRadio TV ;
- Me Loïc Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société groupe Canal + et de la société d'exploitation d'un service d'information (SESI) exploitant le service iTélé ;
- le représentant du groupe Canal + ;
et à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 octobre 2014, présentée pour la société La Chaîne Info (LCI) ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 octobre 2014, présentée pour la société NextRadio TV ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986, modifiée notamment par la loi n°2013-1028 du 15 novembre 2013 ;
Vu le code de justice administrative ;
Sur les interventions :
1. Considérant que l'Union des syndicats nationaux de l'audiovisuel CFTC a intérêt à la suspension de la décision contestée ; qu'ainsi son intervention en demande est recevable ;
2. Considérant que la société NextRadioTV, la société Canal + et la société d'exploitation d'un service d'information (SESI) exploitant le service iTélé ont intérêt au maintien de cette même décision ; qu'ainsi leur intervention en défense est recevable ;
Sur la requête de la société LCI :
3. Considérant que le premier alinéa de l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication dispose que l'autorisation d'usage de ressources radioélectriques pour la diffusion de tout service de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique, ou service de télévision numérique terrestre (TNT), délivrée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel " peut être retirée, sans mise en demeure préalable, en cas de modification substantielle des données au vu desquelles l'autorisation avait été délivrée, notamment des changements intervenus dans la composition du capital social ou des organes de direction et dans les modalités de financement " ; que le quatrième alinéa du même article, introduit par la loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public dispose toutefois que : " Sous réserve du respect des articles 1er et 3-1, le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut, par décision motivée, donner son agrément à une modification des modalités de financement lorsqu'elle porte sur le recours ou non à une rémunération de la part des usagers. Préalablement à sa décision, il procède à une étude d'impact, notamment économique, rendue publique dans le respect du secret des affaires. Il procède aussi à l'audition publique du titulaire et entend les tiers qui le demandent. Cette modification de l'autorisation peut être agréée si les équilibres du marché publicitaire des services de télévision hertzienne terrestre sont pris en compte. " ;
4. Considérant que, par une décision en date du 29 juillet 2014 prise sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 42-3 cité ci-dessus, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a refusé d'accorder à la société La Chaîne Info (LCI) l'agrément qu'elle sollicitait en vue de modifier les modalités de financement de son service de TNT pour passer d'une diffusion payante à une diffusion gratuite ; que la société LCI demande la suspension de cette décision et qu'il soit enjoint au Conseil supérieur de l'audiovisuel de lui délivrer, à titre provisoire, un agrément autorisant son passage au mode de diffusion gratuit ;
5. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;
6. Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;
7. Considérant que, également saisi de la requête au fond, le Conseil d'Etat prévoit de se prononcer sur cette requête dans les premiers mois de l'année 2015 ; que le caractère grave et immédiat de l'atteinte portée à la situation de la requérante doit en conséquence s'apprécier, en l'espèce, au regard des obstacles, notamment techniques et financiers, qui s'opposeraient à la poursuite de l'exploitation de son service de télévision en mode payant, dans son format actuel, pendant la durée prévisible d'instruction de la requête au fond ;
8. Considérant que dans sa requête en référé, qui n'a au demeurant été introduite que le 26 septembre 2014, la société LCI soutient que la décision contestée préjudicie à ses intérêts de manière grave et immédiate en raison de l'expiration de ses principaux contrats de distribution en mode payant le 31 décembre 2014, qui la placerait dans l'impossibilité d'assurer, dans son format actuel, son service de télévision payante au-delà de cette date ; que cette échéance la contraindrait à des réorganisations urgentes et profondes, susceptibles de se traduire par le départ d'au moins 60% de ses salariés, voire de la totalité de ceux-ci, ainsi que, de surcroît, à la résiliation anticipée de contrats de diffusion technique ;
9. Considérant qu'il résulte cependant de l'instruction, ainsi que des échanges lors de l'audience publique, que, si les sociétés actuellement liées à la société LCI par un contrat de distribution, et qui assurent sa diffusion sur la TNT et les autres plateformes en mode payant, ont manifesté leurs réserves sur l'avenir à moyen terme d'une diffusion des programmes de la société LCI en format payant, elles n'ont, pour la quasi-totalité d'entre elles, jamais exclu d'assurer, sous réserve d'en réviser les conditions commerciales et donc le montant versé à la société LCI, la poursuite au-delà de cette date des engagements qui viennent à échéance le 31 décembre 2014 ; que tel est notamment le cas, ainsi qu'il a été rappelé lors de l'audience par son représentant, de la société Canal + qui assure la distribution payante des programmes de la société LCI sur la TNT ;
10. Considérant que l'urgence qui résulte, pour la société LCI, de l'arrivée à échéance de ses contrats de distribution doit, par suite, être regardée comme portant, non sur un obstacle de principe à sa distribution en mode payant dans son format actuel au-delà du 31 décembre 2014, mais sur la baisse considérable de recettes qui résulterait, à partir de cette date, de la renégociation des contrats arrivant à échéance ; que le montant de ces recettes représente , en effet, la principale ressource de la société LCI et s'élève, selon ses dires, à 21 millions d'euros en 2014, pour un chiffre d'affaires prévisionnel d'environ 30 millions d'euros ;
11. Considérant toutefois que la société LCI présente, depuis au moins dix ans, un exercice chaque année déficitaire, pour un montant moyen d'un peu plus de 7 millions d'euros par an, ces pertes étant consolidées au sein du groupe TF1 ; qu'il résulte de l'instruction, ainsi que des échanges lors de l'audience publique, que le passage du service LCI sur la TNT gratuite se serait traduit, compte tenu des importants investissements techniques à réaliser, de la perte des recettes d'abonnement et de la montée seulement progressive de la recette publicitaire, par plusieurs exercices inévitablement déficitaires, à des niveaux encore supérieurs à ceux des dernières années ; que la société LCI était donc nécessairement amenée, y compris dans le cas où elle aurait été autorisée à une diffusion gratuite, à couvrir, au moins à court terme au-delà du 31 décembre 2014, des montants de déficit à rapprocher de ceux qui pourraient résulter de la renégociation des contrats de distribution en mode payant ;
12. Considérant, dès lors, qu'eu égard à la portée d'une décision de suspension d'un refus d'agrément, laquelle ne peut déboucher, conformément aux dispositions de l'article L. 511-1 du code de justice administrative, que sur une mesure à caractère provisoire, insusceptible de conférer à la société LCI les assurances normalement requises pour le lancement du projet de grande envergure de passage sur la TNT gratuite, et compte tenu de ce que le Conseil d'Etat, également saisi de la requête au fond, prévoit, ainsi qu'il a été dit plus haut, de se prononcer dans les premiers mois de l'année 2015, l'obligation pour la société LCI de renégocier, fût-ce à des conditions nettement dégradées, la prolongation au-delà du 31 décembre 2014 des contrats qui assurent sa distribution dans son format actuel, n'est pas de nature à caractériser, en l'état de l'instruction, une urgence au sens des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;
13. Considérant que, si la société LCI invoque par ailleurs la nécessité " d'anticiper une diffusion en clair ", elle n'établit pas qu'une telle circonstance serait par elle-même constitutive d'une situation d'urgence au sens des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;
14. Considérant enfin que, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus sur les effets propres du maintien de la décision litigieuse sur la situation économique et financière de la société LCI, cette dernière n'est pas davantage fondée à soutenir que cette décision porterait par elle-même à la situation de ses salariés, quels que soient les choix de gestion opérés par elle ou par le groupe auquel elle appartient postérieurement à la décision contestée, une atteinte grave et immédiate constitutive d'une urgence au sens des dispositions de l'article L.521-1 du code de justice administrative ; qu'il en va de même, et pour le même motif, de l'atteinte que porterait le maintien de la décision contestée à l'objectif fondamental de pluralisme ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la condition d'urgence n'est pas remplie ; que les conclusions à fins de suspension et d'injonction présentées par la société LCI ne peuvent donc être accueillies ; que les conclusions qu'elle présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être également rejetées ;
O R D O N N E :
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Article 1er : Les interventions de l'Union des syndicats nationaux de l'audiovisuel CFTC, de la société NextRadioTV, de la société Canal + et de la société d'exploitation d'un service d'information (SESI) exploitant le service iTélé sont admises.
Article 2 : La requête de la société LCI est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société LCI, au Conseil supérieur de l'audiovisuel, à l'Union des syndicats nationaux de l'audiovisuel CFTC, à la société NextRadio TV, à la société Groupe Canal + et à la société d'exploitation d'un service d'information (SESI) exploitant le service iTélé.