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15/10/2014 | FRANCE | N°353168

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 15 octobre 2014, 353168


Vu le pourvoi, enregistré le 5 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. A...B..., demeurant ... ; M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10DA00305 du 19 mai 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen du 7 janvier 2010 rejetant sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 30 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2006 en réparation du préjudice moral qu'il

estime avoir subi du fait de la destruction d'une de ses oeuvres d'art ;
...

Vu le pourvoi, enregistré le 5 octobre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. A...B..., demeurant ... ; M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 10DA00305 du 19 mai 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen du 7 janvier 2010 rejetant sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 30 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2006 en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait de la destruction d'une de ses oeuvres d'art ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel et de dire que les intérêts seront capitalisés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Delaporte, Briard et Trichet, son avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la propriété intellectuelle ;

Vu la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Labrune, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de M. B...;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...a réalisé en 1978 une peinture sur l'un des murs de la caserne d'Oissel où il effectuait son service militaire au sein du 71ème régiment du génie ; que cette oeuvre avait été détruite lorsqu'en 1997 le ministère de l'intérieur est devenu affectataire de ces locaux ; que le 20 décembre 2006, M. B...a demandé au ministre de l'intérieur de lui verser une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi du fait la destruction de son oeuvre ; qu'en l'absence de réponse, il a saisi le tribunal administratif de Rouen qui, par un jugement du 7 janvier 2010, a rejeté sa demande ; que M. B...se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 mai 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel contre ce jugement ;

2. Considérant que M. B...a reçu notification de l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Douai le 24 mai 2011 et a déposé une demande d'aide juridictionnelle le 4 juillet 2011 ; que la décision du bureau d'aide juridictionnelle lui ayant été notifiée le 5 août 2011, le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que son pourvoi, enregistré le 5 octobre, serait tardif ;

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 50 de la loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information : " Les dispositions du titre II ne sont applicables aux oeuvres créées par les agents de l'Etat, d'une collectivité territoriale, d'un établissement public à caractère administratif, d'une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale ou de la Banque de France, antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi, qu'à compter de cette entrée en vigueur " ; que si les droits d'auteur reconnus par les dispositions du titre II sont applicables à des oeuvres créées antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, ils ne le sont qu'à compter de cette entrée en vigueur et ne peuvent par conséquent naître qu'au titre d'une oeuvre existant encore à cette date ; que, du fait de la destruction, à une date antérieure à l'entrée en vigueur de cette loi, de l'oeuvre au titre de laquelle le requérant se prévaut de droits d'auteur, les dispositions applicables au présent litige sont celles du code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 1er août 2006 ;

4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à la loi du 1er août 2006 : " L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. / Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. L'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une oeuvre de l'esprit n'emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par l'alinéa 1er. " ; qu'aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. / Ce droit est attaché à sa personne. / Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. (...) " ;

5. Considérant qu'antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 1er août 2006, l'agent public auteur d'une oeuvre jouissait de droits de propriété intellectuelle sur l'oeuvre dont la création était détachable du service ; qu'il en était ainsi, notamment, si cette oeuvre avait été faite en dehors du service et de toute commande du service ou si elle était sans rapport direct avec les fonctions exercées par l'auteur au sein du service ; que lorsque l'oeuvre, détachable du service, était indissociable d'un ouvrage public, son auteur ne pouvait prétendre à une intangibilité absolue de son oeuvre ou de l'édifice qui l'accueillait ; que, toutefois, le maître de l'ouvrage ne pouvait porter atteinte au droit de l'auteur de cette oeuvre en apportant des modifications à l'ouvrage que dans la seule mesure où elles étaient rendues strictement indispensables par des impératifs, notamment esthétiques, techniques ou de sécurité publique, légitimés par les nécessités du service public et notamment celles résultant de la destination de l'édifice ou de son adaptation à des besoins nouveaux ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si la fresque au titre de laquelle M. B...se prévaut de droits d'auteur a été réalisée par lui sur l'un des murs de la caserne affectée au régiment au sein duquel il effectuait son service militaire, avec l'accord de l'officier qui commandait alors le régiment, elle n'a pas été réalisée pour l'exécution de ses missions d'aspirant, chef de section ; que, par suite, en jugeant, pour en déduire que M. B...ne jouissait d'aucun droit d'auteur sur cette oeuvre, que " la conception et la réalisation de l'oeuvre en cause ont été entreprises par le requérant dans le cadre des obligations de service public auxquelles il était assujetti ", la cour a donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée ; que M. B...est dès lors fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

7. Considérant que M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle afin de former son pourvoi devant le Conseil d'Etat ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Delaporte, Briard et Trichet ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 19 mai 2011 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Douai.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat de M.B..., en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., au ministre de la défense et à la ministre de la culture et de la communication.


Synthèse
Formation : 10ème et 9ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 353168
Date de la décision : 15/10/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

ARTS ET LETTRES - ARTS PLASTIQUES - RÉGIME ANTÉRIEUR À LA LOI DU 1ER AOÛT 2006 - 1) DROITS D'AUTEUR DE L'AGENT PUBLIC - CONDITIONS - ŒUVRE ORIGINALE DÉTACHABLE DU SERVICE [RJ1] - 2) ŒUVRE INDISSOCIABLE D'UN OUVRAGE PUBLIC - POSSIBILITÉ POUR LE MAÎTRE D'OUVRAGE D'Y PORTER ATTEINTE - EXISTENCE - CONDITIONS [RJ2].

09-02 1) Antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, l'agent public auteur d'une oeuvre jouissait de droits de propriété intellectuelle sur l'oeuvre dont la création était détachable du service. Il en était ainsi, notamment, si cette oeuvre avait été faite en dehors du service et de toute commande du service ou si elle était sans rapport direct avec les fonctions exercées par l'auteur au sein du service.,,,2) Lorsque l'oeuvre, détachable du service, était indissociable d'un ouvrage public, son auteur ne pouvait prétendre à une intangibilité absolue de son oeuvre ou de l'édifice qui l'accueillait. Toutefois, le maître de l'ouvrage ne pouvait porter atteinte au droit de l'auteur de cette oeuvre en apportant des modifications à l'ouvrage que dans la seule mesure où elles étaient rendues strictement indispensables par des impératifs, notamment esthétiques, techniques ou de sécurité publique, légitimés par les nécessités du service public et notamment celles résultant de la destination de l'édifice ou de son adaptation à des besoins nouveaux.

DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - DROIT DE PROPRIÉTÉ - PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE - RÉGIME ANTÉRIEUR À LA LOI DU 1ER AOÛT 2006 - 1) DROITS D'AUTEUR DE L'AGENT PUBLIC - CONDITIONS - ŒUVRE ORIGINALE DÉTACHABLE DU SERVICE [RJ1] - 2) ŒUVRE INDISSOCIABLE D'UN OUVRAGE PUBLIC - POSSIBILITÉ POUR LE MAÎTRE D'OUVRAGE D'Y PORTER ATTEINTE - EXISTENCE - CONDITIONS [RJ2].

26-04-03 1) Antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, l'agent public auteur d'une oeuvre jouissait de droits de propriété intellectuelle sur l'oeuvre dont la création était détachable du service. Il en était ainsi, notamment, si cette oeuvre avait été faite en dehors du service et de toute commande du service ou si elle était sans rapport direct avec les fonctions exercées par l'auteur au sein du service.,,,2) Lorsque l'oeuvre, détachable du service, était indissociable d'un ouvrage public, son auteur ne pouvait prétendre à une intangibilité absolue de son oeuvre ou de l'édifice qui l'accueillait. Toutefois, le maître de l'ouvrage ne pouvait porter atteinte au droit de l'auteur de cette oeuvre en apportant des modifications à l'ouvrage que dans la seule mesure où elles étaient rendues strictement indispensables par des impératifs, notamment esthétiques, techniques ou de sécurité publique, légitimés par les nécessités du service public et notamment celles résultant de la destination de l'édifice ou de son adaptation à des besoins nouveaux.


Références :

[RJ1]

Cf., s'agissant des oeuvres détachables du service, CE, section de l'intérieur, avis, 21 novembre 1972, n° 309721, dit Ofrateme , Les grands avis du Conseil d'État, Dalloz, 1997, p. 111.,,

[RJ2]

Cf. CE, 14 juin 1999, Conseil de fabrique de la cathédrale de Strasbourg, n° 181023, p. 199 ;

CE, 11 septembre 2006, Agopyan, n° 265174, T.pp. 736-868-950.


Publications
Proposition de citation : CE, 15 oct. 2014, n° 353168
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Labrune
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:353168.20141015
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