Vu la requête, enregistrée le 23 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le syndicat SUD travail-affaires sociales, dont le siège est 12, boulevard de Bonne Nouvelle à Paris (75010) ; le syndicat demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la note du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 27 août 2012 relative au droit applicable à Pôle emploi et à la compétence de l'inspection du travail ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 34 ;
Vu la convention n° 81 concernant l'inspection du travail dans l'industrie et le commerce adoptée par la conférence internationale du travail le 11 juillet 1947 ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 2008-126 du 13 février 2008 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Didier-Roland Tabuteau, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;
1. Considérant que l'interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d'instructions l'autorité administrative donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire grief ; qu'en revanche, les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger ; que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d'incompétence ou si, alors même qu'elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu'elles sont illégales pour d'autres motifs ; qu'il en va de même s'il est soutenu à bon droit que l'interprétation qu'elles prescrivent d'adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ;
2. Considérant que, par la note attaquée, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a fait savoir aux directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, en des termes impératifs, que l'institution Pôle emploi devait être regardée comme un établissement public administratif et a précisé, d'une part, les dispositions du code du travail applicables soit à l'ensemble des agents de Pôle emploi, soit à ses seuls agents de droit privé et, d'autre part, la compétence et les moyens d'action de l'inspection du travail à son égard ;
Sur la qualification de Pôle emploi :
3. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 5312-1 du code du travail que Pôle emploi est " une institution nationale publique dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière " qui a essentiellement pour mission de rapprocher les offres et les demandes d'emploi, d'accueillir, informer, orienter et accompagner les personnes à la recherche d'un emploi, de tenir à jour la liste des demandeurs d'emploi et de servir les allocations d'assurance et de solidarité ; qu'en vertu de l'article L. 5312-3 du même code, les objectifs qui lui sont assignés sont définis par une convention pluriannuelle conclue avec l'Etat et l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage ; que l'article L. 5312-4 du même code dispose que son conseil d'administration comprend cinq représentants de l'Etat, autant des employeurs et autant des salariés, ainsi que deux personnalités qualifiées et un représentant des collectivités territoriales ; qu'en vertu de l'article L. 5312-7 de ce code, son budget comporte quatre sections, une section " assurance chômage " financée par une contribution de l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage, une section " solidarité " financée par une contribution de l'Etat et du Fonds de solidarité et des sections " intervention " et " fonctionnement et investissement " financées à titre principal par des contributions de l'Etat et de l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage ; qu'aux termes de l'article L. 5312-8 : " L'institution est soumise en matière de gestion financière et comptable aux règles applicables aux entreprises industrielles et commerciales (...) " ; qu'enfin, l'article L. 5312-9 prévoit que ses agents, sous certaines réserves, sont régis par le droit du travail et l'article L. 5312-13 que ses biens immobiliers relèvent en totalité de son domaine privé ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires à l'adoption de la loi du 13 février 2008 relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi dont elles sont issues, que le législateur, en le créant par fusion de l'Agence nationale pour l'emploi et du réseau de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, a entendu faire de Pôle emploi un établissement public, tout en lui reconnaissant des spécificités importantes, liées notamment au rôle des partenaires sociaux et à la différence de statut existant précédemment entre l'Agence nationale pour l'emploi et les associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce ;
5. Considérant, en second lieu, qu'au regard de ses missions, qui sont de nature administrative, et de ses ressources, qui ont le caractère de prélèvements obligatoires, Pôle emploi doit être regardé comme un établissement public à caractère administratif, alors même qu'il est largement soumis à des règles de droit privé ;
6. Considérant qu'il suit de là qu'en qualifiant Pôle emploi d'établissement public administratif, la note attaquée, que le directeur général du travail était compétent pour signer au nom du ministre, n'a pas méconnu le sens et la portée des dispositions législatives mentionnées au point 3 ;
Sur l'application du code du travail à Pôle emploi :
7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 5312-9 du code du travail : " Les agents de l'institution nationale, qui sont chargés d'une mission de service public, sont régis par le présent code dans les conditions particulières prévues par une convention collective étendue agréée par les ministres chargés de l'emploi et du budget. Cette convention comporte des stipulations, notamment en matière de stabilité de l'emploi et de protection à l'égard des influences extérieures, nécessaires à l'accomplissement de cette mission. / Les règles relatives aux relations collectives de travail prévues par la deuxième partie du présent code s'appliquent à tous les agents de l'institution, sous réserve des garanties justifiées par la situation particulière de ceux qui restent contractuels de droit public. Ces garanties sont définies par décret en Conseil d'Etat " ;
8. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, sauf en ce qui concerne les agents relevant du droit public, le législateur a entendu que les agents de Pôle emploi soient soumis aux dispositions du code du travail, sous la seule réserve des conditions particulières prévues par la voie d'une convention collective étendue agréée par les ministres compétents ; que, par suite, en affirmant que, outre les règles relatives aux relations collectives de travail, les dispositions du code du travail s'appliquaient aux agents de droit privé de Pôle emploi dans la seule mesure où les dispositions définissant leur champ d'application prévoyaient leur application au personnel des personnes publiques ou des établissements publics administratifs employés dans les conditions de droit privé, l'auteur de la note attaquée a méconnu le sens et la portée des dispositions législatives qu'il entendait expliciter ; que, dès lors, le syndicat requérant est fondé à soutenir que le point 2.2 de cette note est entaché d'illégalité ;
Sur les moyens d'action de l'inspection du travail :
9. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 8113-7 du code du travail : " Les inspecteurs du travail, les contrôleurs du travail et les fonctionnaires de contrôle assimilés constatent les infractions par des procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve du contraire. / Ces procès-verbaux sont transmis au procureur de la République. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 8113-8 du même code : " Les dispositions de l'article L. 8113-7 ne sont pas applicables à l'Etat, aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics administratifs. / Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles les constatations des inspecteurs du travail dans ces établissements sont communiquées par le ministre chargé du travail aux administrations concernées " ; que, sur le fondement de ces dispositions, les articles R. 8113-6 à R. 8113-8 de ce code prévoient que les constatations de l'inspecteur ou du contrôleur du travail dans un établissement de l'Etat, d'une collectivité territoriale ou de l'un de leurs établissements publics administratifs sont adressées au directeur de l'établissement ainsi qu'au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ; que le directeur de l'établissement doit faire connaître au directeur régional, dans un délai d'un mois, les suites qu'il entend donner à ces observations ; qu'en cas de désaccord entre le directeur de l'établissement et le directeur régional, ce dernier informe le ministre chargé du travail, qui saisit le ministre intéressé ;
10. Considérant que le code du travail prévoit ainsi deux régimes distincts quant aux modalités de prise en compte des constatations de l'inspecteur ou du contrôleur du travail, selon qu'elles ont été faites dans un établissement de l'Etat, d'une collectivité territoriale ou de l'un de leurs établissements publics administratifs, ou bien dans une entreprise ; que, par suite, l'auteur de la note attaquée n'a pas méconnu le sens et la portée des dispositions législatives qu'il interprétait en affirmant que s'appliquaient à Pôle emploi, en cas de contrôle par l'inspection du travail, les dispositions des articles L. 8113-8 et R. 8113-6 à R. 8113-8 du code du travail spécifiques aux établissements publics administratifs ;
11. Considérant, en second lieu, qu'il résulte des articles 1er et 22 de la convention n° 81 du 11 juillet 1947 concernant l'inspection du travail dans l'industrie et le commerce, définissant son champ d'application, que celle-ci ne s'applique pas aux activités du secteur des services non commerciaux ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ses stipulations est inopérant ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le syndicat requérant est seulement fondé à demander l'annulation du seul paragraphe 2.2 de la circulaire qu'il attaque, dont les dispositions sont divisibles du reste de la circulaire ;
13. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le syndicat requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le paragraphe 2.2 de la note du directeur général du travail du 27 août 2012 relative au droit applicable à Pôle emploi et à la compétence de l'inspection du travail est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du syndicat SUD travail-affaires sociales est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au syndicat SUD travail-affaires sociales et au ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social.