Vu le pourvoi, enregistré le 23 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par lequel le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt n° 10PA01140 du 22 mars 2012 de la cour administrative d'appel de Paris rejetant son recours contre le jugement n° 0502777/2 du 16 novembre 2009 par lequel le tribunal administratif de Paris a accordé à la société Caixa Geral de Depositos la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt, assorties de majorations, auxquelles cette société avait été assujettie au titre des exercices clos en 1996 et 1997 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention du 14 janvier 1971 entre la France et le Portugal tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Frédéric Béreyziat, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Tiffreau, Corlay, Marlange, avocat de la société Caixa geral de depositos ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité de la succursale française de la société Caixa Geral de Depositos (CGD), établissement bancaire de droit portugais, l'administration fiscale a estimé que cette succursale avait été insuffisamment dotée en capital par son siège et que cette sous-capitalisation l'avait contrainte, pour exercer son activité dans des conditions normales par rapport à des banques indépendantes, à recourir à l'emprunt dans des proportions excessives ; que le service a déterminé, par référence à la pratique constatée au niveau du siège, le montant théorique des capitaux qui auraient dû selon lui être apportés par le siège à sa succursale afin de permettre à cette dernière d'exercer son activité dans de telles conditions, puis calculé la somme des intérêts que la succursale aurait été dispensée de verser à son siège ou à des établissements tiers, si elle avait bénéficié d'un tel apport, en appliquant le taux d'intérêt constaté sur le marché monétaire à la différence entre, d'une part, ce montant théorique de fonds propres et, d'autre part, celui effectivement inscrit dans les comptes de la succursale en fin d'exercice ; que le service a alors réintégré ces intérêts dans les résultats de la société imposables en France à l'impôt sur les sociétés au titre de l'activité de la succursale puis mis à la charge de la société, du chef de ce redressement, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt, assorties de majorations, au titre des exercices clos en 1996 et 1997 ; que pour fonder légalement ces impositions, l'administration fiscale a d'abord soutenu, au stade de la procédure de redressement contradictoire, que les intérêts litigieux caractérisaient un transfert indirect de bénéfices au profit du siège portugais de la société, au sens de l'article 57 du code général des impôts ; qu'elle a ensuite soutenu, pour rejeter la réclamation contentieuse formée par la société, que ces intérêts n'avaient pas été acquittés dans l'intérêt de la succursale, au sens et pour l'application de l'article 39 du code général des impôts ; qu'elle invoque désormais, devant le juge de l'impôt saisi par la société, l'application du principe de territorialité de l'impôt prévu par l'article 209-I du même code et par les stipulations de l'article 7 de la convention fiscale franco-portugaise du 14 janvier 1971 ; que, par un jugement du 16 novembre 2009, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des suppléments d'imposition litigieux ; que le ministre chargé du budget se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 22 mars 2012 de la cour administrative d'appel de Paris rejetant l'appel qu'il a interjeté de ce jugement ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45, 53 A à 57 et 302 septies A bis et en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions (...) " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la succursale française de la société CGD constituait, au sens des dispositions citées ci-dessus du code général des impôts, une entreprise exploitée en France, dont les bénéfices pouvaient être imposés entre les mains de cette société, assujettie à l'impôt sur les sociétés en France en vertu des articles 205 et 206 de ce code ; que les termes de ces dispositions selon lesquels il est " uniquement tenu compte des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ", ainsi que les règles fixées par les articles 34 à 45, 53 A à 57, 237 ter A et 302 septies A bis du même code, autorisaient notamment l'administration, dans le cadre de son pouvoir de contrôle des déclarations de résultats de cette succursale, à remettre en cause la déduction d'intérêts versés, selon les circonstances, au siège de la société, à d'autres établissements stables de cette dernière ou à des tiers, en rémunération de prêts que les intéressés auraient consentis à la succursale, pour des motifs tirés, le cas échéant, de la non-conformité de l'objet des prêts à l'activité en France de la succursale ou du caractère excessif de la rémunération de ces prêts ; que toutefois, ni ces termes ni ces règles n'autorisaient l'administration fiscale à apprécier le caractère normal du choix opéré par le siège de la société de financer l'activité de sa succursale en la laissant recourir à l'emprunt, plutôt qu'en lui apportant des fonds propres, ni à en tirer, le cas échéant, de quelconques conséquences fiscales ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes des stipulations de l'article 7 de la convention fiscale franco-portugaise du 14 janvier 1971 : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable. 2. Lorsqu'une entreprise d'un Etat contractant exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé, il est imputé, dans chaque Etat contractant, à cet établissement stable, les bénéfices qu'il aurait pu réaliser s'il avait constitué une entreprise distincte et séparée exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues et traitant en toute indépendance avec l'entreprise dont il constitue un établissement stable (...) " ;
5. Considérant, d'une part, que les stipulations du 1 de l'article 7 cité ci-dessus ont pour objet et pour effet de restreindre le droit que les autorités françaises tirent du I de l'article 209 du code général des impôts d'imposer les bénéfices résultant de l'exploitation en France de la succursale d'une société étrangère, en limitant ce droit à l'imposition des seuls bénéfices imputables à cette succursale ; que les stipulations du 2 du même article ont pour objet et pour effet d'imposer aux mêmes autorités que, pour déterminer ces derniers bénéfices, soit admise la déduction de l'ensemble des dépenses exposées, en France ou à l'étranger, aux fins poursuivies par la succursale ;
6. Considérant, d'autre part, qu'il n'y a pas lieu, pour interpréter les stipulations de l'article 7 citées ci-dessus, de se référer aux commentaires formulés par le comité fiscal de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) sur l'article 7 de la convention-modèle établie par cette organisation, dès lors que ces commentaires sont postérieurs à l'adoption des stipulations en cause ; que, dans leur rédaction applicable aux faits de l'espèce, ces stipulations doivent s'entendre comme autorisant l'Etat de la succursale à imputer à cette dernière les bénéfices que l'intéressée aurait réalisés si, au lieu de traiter avec le reste de l'entreprise, elle avait traité avec des entreprises distinctes aux conditions et aux prix du marché ordinaire ; qu'en revanche, ces stipulations n'ont pas pour objet ni, par suite, pour effet de permettre à cet Etat d'imputer à la succursale les bénéfices qui seraient résultés de l'apport à l'intéressée de fonds propres d'un montant différent de celui qui, inscrit dans les écritures comptables produites par le contribuable, retrace fidèlement les prélèvements et apports réalisés entre les différentes entités de l'entreprise ; qu'en particulier, l'administration fiscale ne saurait substituer à ce dernier montant les fonds propres dont la succursale aurait dû être dotée, en vertu de la réglementation applicable ou au regard, notamment, de l'encours des risques auxquelles elle est exposée, si elle avait joui de la personnalité morale ;
7. Considérant qu'il suit de là que les termes du I de l'article 209 du code général des impôts soumettant à l'impôt sur les sociétés les " bénéfices dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions " ne pouvaient, pas davantage que les termes et règles mentionnés au point 3, avoir pour effet d'attribuer aux autorités fiscales françaises l'imposition de bénéfices établis conformément aux redressements litigieux ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la cour administrative d'appel de Versailles n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que le principe de territorialité découlant des dispositions du I de l'article 209 du code général des impôts combinées aux stipulations de l'article 7 de la convention fiscale franco-portugaise, ne pouvait avoir pour objet ou pour effet de permettre à l'administration fiscale d'apprécier le caractère normal du choix opéré par le siège d'une société étrangère et consistant à financer l'activité de sa succursale française en laissant cette dernière recourir pour partie à l'emprunt, plutôt que d'assurer la totalité de ce financement par un apport de fonds propres, ni de tirer de cette appréciation de quelconques conséquences fiscales ; que, dès lors, le ministre chargé du budget n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros à verser à la société Caixa Geral de Depositos au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre délégué, chargé du budget est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société Caixa Geral de Depositos une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à la société Caixa Geral de Depositos.