La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/03/2014 | FRANCE | N°361779

France | France, Conseil d'État, 10ème sous-section jugeant seule, 05 mars 2014, 361779


Vu 1°, sous le n° 361779, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 9 août et 9 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société en nom collectif (SNC) Lidl, dont le siège est 35, rue Charles-Péguy à Strasbourg (67200), représentée par ses cogérants ; la SNC Lidl demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11PA04013 du 29 mai 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0916990 du 4 juillet 2011 du tribunal admi

nistratif de Paris rejetant sa demande tendant à la restitution de la retenue...

Vu 1°, sous le n° 361779, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 9 août et 9 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société en nom collectif (SNC) Lidl, dont le siège est 35, rue Charles-Péguy à Strasbourg (67200), représentée par ses cogérants ; la SNC Lidl demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11PA04013 du 29 mai 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0916990 du 4 juillet 2011 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la restitution de la retenue à la source prélevée, au titre de l'année 2008, sur les dividendes qu'elle a versés à la société de droit allemand Lidl Stiftung et Co Verwaltungs-GmbH, d'autre part, à ce que cette restitution soit prononcée ou, subsidiairement, à ce que la Cour de justice de l'Union européenne soit saisie d'une question préjudicielle;

2°) avant de statuer sur les conclusions visées au 1), de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;

3°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°, sous le n° 364256, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 décembre 2012 et 1er mars 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SNC Lidl, dont le siège est 35, rue Charles-Péguy à Strasbourg (67200), représentée par ses cogérants ; la SNC Lidl demande au Conseil d'Etat :

1) d'annuler l'arrêt n° 11PA02835 du 25 septembre 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0810037/2-3 du 5 mai 2011 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la restitution de la retenue à la source prélevée, au titre de l'année 2008, sur les dividendes qu'elle a versés à la société de droit allemand Lidl Stiftung et Co Verwaltungs-GmbH, d'autre part, à ce que cette restitution soit prononcée ou, subsidiairement, à ce que la Cour de justice de l'Union européenne soit saisie d'une question préjudicielle;

2) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment ses articles 56 et 58, ainsi que le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 63 et 65 ;

Vu la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959, notamment son article 9.2 ;

Vu le code général des impôts, notamment son article 119 bis, et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Blazy, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la Société Lidl SNC ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société en nom collectif Lidl a été assujettie, au titre des années 2005 et 2008, à des retenues à la source établies au taux de 15 pour 100, sur le fondement des dispositions combinées du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable et de l'article 9.2 de la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959, à raison des dividendes qu'elle a versés à la société de droit allemand Lidl Stiftung et Co. Verwaltungs-GmbH ; que, sous les numéros 361779 et 364256, elle se pourvoit en cassation, respectivement, contre les arrêts du 29 mai 2012 et du 25 septembre 2012 par lesquels la cour administrative d'appel de Paris, confirmant des jugements du 4 juillet 2001 et 5 mai 2011 du tribunal administratif de Paris, a rejeté ses conclusions tendant à la restitution des impositions ainsi acquittées au titre des années 2008 et 2005 ou, subsidiairement, à ce que la Cour de justice de l'Union européenne soit saisie d'une question préjudicielle sur la compatibilité de cette imposition avec le principe de libre circulation des capitaux stipulé au 1 de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne ; que ces pourvois présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites " ; qu'aux termes de l'article 58 du premier traité, devenu l'article 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. L'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; (...) 3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l'article 56 " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces stipulations, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que les désavantages pouvant découler de l'exercice parallèle des compétences fiscales des différents Etats membres ne constituent pas des restrictions interdites par le traité instituant la Communauté européenne, pour autant qu'un tel exercice ne soit pas discriminatoire ; que lorsqu'un Etat membre exerce sa compétence fiscale à l'égard de contribuables résidents et non résidents, pour que la réglementation fiscale nationale qu'il applique à ces contribuables puisse être regardée comme compatible avec les stipulations du traité relatives à la liberté de circulation des capitaux, la différence de traitement éventuellement instituée entre les contribuables selon leur Etat de résidence doit concerner des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou être justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général ; qu'en matière d'impôts directs, les situations respectives des résidents et des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables ; qu'à l'égard des mesures prévues par un Etat membre afin de prévenir ou d'atténuer l'imposition en chaîne ou la double imposition économique de bénéfices distribués par une société résidente, les actionnaires bénéficiaires résidents ne se trouvent pas nécessairement dans une situation comparable à celle d'actionnaires bénéficiaires résidents d'un autre Etat membre ; que, cependant, lorsqu'un Etat membre, de manière unilatérale ou par voie conventionnelle, assujettit à l'impôt non seulement les actionnaires résidents mais également les actionnaires non résidents pour les dividendes qu'ils perçoivent d'une société résidente, la situation des actionnaires non résidents se rapproche de celle des actionnaires résidents ; qu'en pareil cas, pour que les sociétés bénéficiaires non résidentes ne soient pas confrontées à une restriction à la liberté de circulation des capitaux prohibée, en principe, par les stipulations citées ci-dessus, l'Etat de résidence de la société distributrice doit veiller à ce que, par rapport au mécanisme prévu par son droit interne afin de prévenir ou d'atténuer l'imposition en chaîne ou la double imposition économique, les sociétés actionnaires non résidentes soient soumises à un traitement équivalent à celui dont bénéficient les sociétés actionnaires résidentes ;

4. Considérant que les moyens invoqués par la société Lidl doivent être examinés au regard de ces principes ;

Sur le pourvoi n° 364256 au titre de l'année 2008 :

En ce qui concerne le désavantage de trésorerie entre actionnaires établis en France et en Allemagne :

5. Considérant qu'aux termes du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : "2 Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par le 1 de l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) " ;

6. Considérant que, s'il peut résulter de ces dispositions un décalage dans le temps entre, d'une part, la perception de la retenue à la source afférente aux dividendes de source française payés à une société non résidente et, d'autre part, l'impôt réclamé à une société établie en France, à raison de la perception de dividendes de source française au titre de l'exercice au cours duquel les résultats de cette seconde société sont ou redeviennent bénéficiaires, ce décalage procède d'une technique différente d'imposition des dividendes perçus par les sociétés en cause, selon que celles-ci sont ou non résidentes ; que le seul désavantage de trésorerie que comporte la retenue à la source pour la société non résidente ne peut ainsi être regardé comme constituant une différence de traitement caractérisant une restriction à la liberté de circulation des capitaux ; que, dès lors, la société Lidl n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir qu'en écartant son moyen tiré de ce qu'un tel désavantage était en lui-même incompatible avec l'article 56 du Traité instituant la Communauté européenne, la cour aurait commis une erreur de droit ;

En ce qui concerne le désavantage résultant, entre actionnaires établis en Allemagne, de l'impossibilité d'imputer tout ou partie de la retenue à la source acquittée en France :

7. Considérant qu'une société établie en France, qui reçoit des dividendes versés par une société résidente et ne relève pas du régime fiscal des sociétés mères, n'est pas exonérée d'impôt en France à raison de ces dividendes ; que, si une société non résidente est exonérée d'impôt dans son Etat de résidence en raison de la législation applicable dans cet Etat et si, par suite, la retenue à la source prélevée en France à raison des dividendes que lui a versés une société établie en France constitue, pour la société non résidente, une charge définitive, le respect de la liberté de circulation des capitaux n'implique pas que la France doive, de manière unilatérale ou par voie conventionnelle, assurer la neutralisation de la charge fiscale que la société non résidente supporte du fait de la décision de l'Etat membre où elle réside d'exercer sa compétence fiscale et de ne pas la soumettre à l'impôt ; qu'en effet, ainsi qu'il est dit au point 3 de la présente décision, le désavantage pouvant résulter pour la société non résidente de l'exercice parallèle des compétences fiscales de la France et de son Etat de résidence ne constitue pas une restriction à la liberté de circulation de capitaux prohibée par le traité instituant la Communauté européenne, dès lors que cet exercice ne revêt pas un caractère discriminatoire ;

8. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a jugé, par un motif qui n'est pas contesté en cassation, que l'imposition pesant sur une société actionnaire allemande à raison des dividendes qui lui étaient versés par une société filiale établie en France n'était pas nécessairement supérieure à celle qui aurait pesé, pour le même montant de dividendes reçus, sur une société actionnaire française et que, dès lors, le mécanisme de retenue à la source prévu par les dispositions citées ci-dessus du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts et admis par la convention fiscale franco-allemande ne pouvait être regardé comme réservant, par principe, un traitement plus défavorable aux dividendes versés à une société bénéficiaire établie en Allemagne par rapport au traitement accordé aux sociétés bénéficiaires de dividendes établies en France ; qu'en statuant ainsi, la cour a implicitement mais nécessairement jugé qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'exercice des compétences fiscales de la France revêtit, en l'espèce, un caractère discriminatoire ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 7 que c'est, dès lors, sans commettre d'erreur de droit que la cour a pu en déduire qu'était inopérant le moyen dirigé contre la loi fiscale française et tiré du désavantage résultant, pour ceux des actionnaires allemands qui percevaient des dividendes de source française et du fait de l'exercice parallèle des compétences fiscales de l'Allemagne, de l'impossibilité d'imputer sur une imposition exigible en Allemagne tout ou partie de la retenue à la source acquittée en France ; que, par suite, en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour n'a pas insuffisamment motivé son arrêt ;

Sur le pourvoi n° 361779 au titre de l'année 2009 :

9. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour écarter le moyen tiré par la société Lidl de ce que le mécanisme de la retenue à la source avait pour effet de dissuader les sociétés allemandes de procéder à des investissements en France et induisait ainsi des restrictions contraires au principe de libre circulation des capitaux, la cour a relevé que les dividendes distribués par des sociétés françaises à des résidents allemands donnaient lieu à l'application d'une retenue à la source au taux de 15 p. 100, tandis que les dividendes perçus par les sociétés françaises, dès lors qu'ils n'ouvraient pas droit au bénéfice du régime mère-fille, étaient inclus dans la base taxable à l'impôt sur les sociétés au taux normal entre les mains de ces actionnaires ; que la cour a déduit de ces constatations que le mécanisme de retenue à la source prévu par le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts et admis par la convention fiscale franco-allemande ne pouvait être regardé comme réservant, par principe, un traitement défavorable aux dividendes versés à une société bénéficiaire établie en Allemagne, par rapport au traitement accordé aux dividendes versés à des sociétés bénéficiaires établies en France et que, dès lors, la circonstance qu'un investisseur allemand serait dissuadé de prendre des participations dans des sociétés françaises en raison de l'existence de la retenue à la source ne pouvait être regardée comme révélant une restriction apportée, par la loi fiscale française, au principe de la liberté de circulation des capitaux ;

10. Considérant qu'en statuant ainsi, la cour, qui n'était pas tenue de répondre à chacun des arguments invoqués devant elle, a suffisamment motivé son arrêt et n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'en effet, contrairement à ce que soutient la société Lidl, le mécanisme de retenue à la source ne constitue pas, en lui-même, une entrave à la liberté de circulation des capitaux mais procède d'une technique différente d'imposition des dividendes perçus par une société, selon qu'elle est non résidente ou résidente ; qu'en particulier, ainsi qu'il a été dit au point 6, le seul désavantage de trésorerie que peut éventuellement comporter la retenue à la source pour un actionnaire non résident, notamment lorsque ce dernier se trouve dans une situation déficitaire, ne peut être regardé comme constituant une différence de traitement caractérisant une restriction à la liberté de circulation des capitaux ; qu'il n'y a pas lieu, en l'absence de difficulté sérieuse, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur les points qui précèdent ; que la société Lidl ne peut en outre utilement faire valoir, pour la première fois en cassation, que les dividendes distribués aux sociétés bénéficiaires établies en France ne seraient soumis à l'impôt sur les sociétés que pour un montant net des charges encourues en vue de leur perception, tandis que les dividendes versés aux bénéficiaires étrangers seraient soumis à la retenue à la source sur leur montant brut ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Lidl n'est pas fondée à demander l'annulation des arrêts qu'elle attaque ; que, par voie de conséquence, les conclusions présentées dans chacun de ses pourvois au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les pourvois n° 361779 et 364256 de la société Lidl sont rejetés.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société en nom collectif Lidl et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget.


Synthèse
Formation : 10ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 361779
Date de la décision : 05/03/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 05 mar. 2014, n° 361779
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Florian Blazy
Rapporteur public ?: Mme Delphine Hedary
Avocat(s) : SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:361779.20140305
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award