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30/12/2013 | FRANCE | N°368527

France | France, Conseil d'État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 30 décembre 2013, 368527


Vu la requête, enregistrée le 14 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Electricité de France (EDF), dont le siège est 22-30, avenue de Wagram à Paris (75008) ; la société EDF demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 3 de la délibération n° CT 7-2-2012 du 6 décembre 2012 du conseil territorial de la collectivité de Saint-Martin modifiant l'article 1585 P du code général des impôts de la collectivité de Saint-Martin relatif à la taxe de consommation sur les produits pétroliers ;
>2°) de mettre à la charge de la collectivité de Saint-Martin la somme de 5 000 euro...

Vu la requête, enregistrée le 14 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Electricité de France (EDF), dont le siège est 22-30, avenue de Wagram à Paris (75008) ; la société EDF demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 3 de la délibération n° CT 7-2-2012 du 6 décembre 2012 du conseil territorial de la collectivité de Saint-Martin modifiant l'article 1585 P du code général des impôts de la collectivité de Saint-Martin relatif à la taxe de consommation sur les produits pétroliers ;

2°) de mettre à la charge de la collectivité de Saint-Martin la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu le code des douanes ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code général des impôts de la collectivité de Saint Martin ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thierry Carriol, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

1. Considérant que, par la délibération n° CT 2-7-2012 du 6 décembre 2012, publiée au Journal officiel de la collectivité de Saint-Martin du 15 janvier 2013, le conseil territorial de Saint-Martin a modifié l'article 1585 P du code général des impôts applicable dans l'île et relatif à la taxe de consommation sur les produits pétroliers, dont le gazole, exigible lors de l'importation de ces produits ; qu'en vertu du 4 de cet article, le taux est fixé à 0,23 euros par litre de gazole consommé pour alimenter les moteurs fixes des établissements industriels, à l'exclusion des pompes électrogènes de secours, et 0,06 euros pour les autres usages ; que la société Electricité de France (EDF), après avoir déposé un recours gracieux contre la délibération du 6 décembre 2012, demande au Conseil d'Etat l'annulation de l'article 3 de cette délibération qui procède au relèvement du prix du litre de gazole qu'elle importe de 0,06 à 0,23 euros ;

Sur les fins de non-recevoir opposées à la requête par la collectivité de St-Martin :

2. Considérant qu'aux termes de l'article LO 6343-1 du code général des collectivités territoriales : " Les actes mentionnés à l'article LO 6351-2 (...) relevant du domaine de la loi peuvent être contestés par la voie d'un recours motivé porté devant le Conseil d'Etat dans les deux mois qui suivent leur publication au Journal officiel de Saint-Martin " ;

3. Considérant que, sauf les cas où des dispositions législatives ou réglementaires ont organisé des procédures particulières, toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai ; qu'il en est de même pour des délibérations prises par les collectivités régies par l'article 74 de la Constitution, y compris celles qui interviennent dans des matières législatives ;

4. Considérant qu'il ne résulte ni des articles LO 6351-2 et LO 6314-3 du code général des collectivités territoriales ni d'aucune autre disposition, et alors même que l'article LO 6343-4 du même code prévoit que le Conseil d'Etat se prononce dans les trois mois de sa saisine sur la conformité au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux de la France et des principes généraux du droit des actes mentionnés à l'article LO 6351-2 relevant du domaine de la loi, que le législateur organique ait entendu organiser une procédure particulière excluant tout recours administratif préalable contre les délibérations du conseil territorial de Saint-Martin, quelle qu'en soit la teneur ; que, dès lors, le recours gracieux d'EDF contre la délibération du 6 décembre 2012, signé par une personne habilitée à agir au nom de cette société et reçu par la collectivité de Saint-Martin le 6 février 2013, a eu pour effet d'interrompre le délai de recours contentieux ; que, par suite, sa requête est recevable ;

Sur la légalité de la délibération attaquée :

5. Considérant qu'aux termes de l'article LO 6313-4 du code général des collectivités territoriales : " Les lois, ordonnances et décrets intervenus avant l'entrée en vigueur de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer dans des matières qui relèvent de la compétence des autorités de la collectivité peuvent être modifiés ou abrogés, en tant qu'ils s'appliquent à Saint-Martin, par les autorités de la collectivité selon les procédures prévues par le présent livre. / Lorsqu'elles usent de la faculté qui leur est offerte par le premier alinéa, les autorités de la collectivité doivent prononcer l'abrogation expresse de la disposition législative ou réglementaire précédemment en vigueur et procéder à l'édiction formelle d'une nouvelle disposition. " ;

6. Considérant que le 8° du I de l'article 3 de la délibération attaquée précise que la taxe instituée par les 1° à 7° du I du même article " se substitue à la taxe spéciale de consommation prévue à l'article 266 quater du code des douanes appliquée selon les dispositions dérogatoires prévues au 4 dudit article " ; que, ce faisant, le conseil territorial a seulement entendu éviter le cumul de deux impositions ; que, contrairement à ce qui est soutenu, la délibération attaquée, qui modifie une précédente délibération intervenue en la matière, n'a ni pour objet ni pour effet d'abroger l'article 266 quater du code des douanes ou même le seul 4° de celui-ci ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article LO 6313-4 du code général des collectivités territoriales ne peut qu'être écarté ;

7. Considérant que, dans l'exercice des compétences qu'elle tient de ces dispositions, la collectivité de Saint-Martin a augmenté le taux de la taxe applicable à la consommation de gazole importé sur le territoire de l'île, porté de 0,06 euros à 0,23 euros par litre, à la suite du protocole d'accompagnement financier de la collectivité conclu avec l'Etat en vue d'assainir la situation des finances publiques de la collectivité, mais a limité cette hausse aux seuls établissements industriels, définis au dernier alinéa du 4 de l'article 1585 P du code général des impôts applicable à Saint-Martin, qui utilisent ce carburant dans des moteurs fixes ; que cette limitation du champ de l'augmentation aux seuls établissements industriels utilisant du gazole comme carburant de moteurs fixes et l'exclusion qui s'ensuit des autres utilisateurs, notamment les utilisateurs de véhicules automobiles, vise à tenir compte tant de la différence de situation, quant aux conditions d'usage du produit pétrolier en cause, entre les établissements industriels et les autres utilisateurs que de la concurrence des stations services situées dans la partie néerlandaise de l'île, afin d'éviter la perte de recettes fiscales qu'entraînerait une trop forte hausse du taux applicable à ces utilisateurs, en les dissuadant de s'approvisionner sur le territoire de la collectivité de Saint-Martin, à l'encontre de l'objectif que celle-ci poursuit ; que, par ailleurs, l'exclusion des groupes électrogènes de secours du champ d'application du taux de la taxe à 0,23 euros par litre vise à éviter la complexité de gestion de cette taxe pour les distributeurs de carburant et les difficultés qui en seraient issues dans le contrôle de l'impôt ; qu'ainsi, la délibération attaquée opère des distinctions entre consommateurs de produits pétroliers fondées sur des critères objectifs et rationnels en fonction de l'objectif d'assainissement de ses finances publiques que la collectivité poursuit ;

8. Considérant qu'un établissement industriel utilisant des moteurs fixes soumis à la taxation du gazole à 0,23 euros est défini comme un établissement " dont l'activité nécessite d'importants moyens techniques, non seulement lorsque cette activité consiste dans la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers, mais aussi lorsque le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre, fût-ce pour les besoins d'une autre activité, est prépondérant " ; qu'il ne peut être déduit de cette définition, aux contours suffisamment larges et non personnalisés, que le conseil territorial de Saint-Martin n'ait entendu, par la délibération attaquée, soumettre à la taxe que la société requérante ; qu'il apparaît d'ailleurs que d'autres entreprises de l'île de Saint-Martin sont également susceptibles d'entrer dans le champ de cette définition ;

9. Considérant, enfin, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le taux retenu, qui correspond au demeurant au plafond que la loi du 13 décembre 2000 avait fixé pour une taxe de ce type, ferait peser sur la société requérante une charge excessive ou revêtirait, de manière générale, un caractère confiscatoire ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de ce que la délibération du 6 décembre 2012 du conseil territorial de Saint-Martin méconnaît pas le principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la collectivité de Saint-Martin qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société EDF la somme de 3 000 euros à verser à la collectivité de Saint-Martin, au titre de ces mêmes dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société Electricité de France est rejetée.

Article 2 : La société Electricité de France versera à la collectivité de Saint-Martin une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Electricité de France, à la collectivité de Saint-Martin et au ministre des outre-mer.


Synthèse
Formation : 10ème et 9ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 368527
Date de la décision : 30/12/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 déc. 2013, n° 368527
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thierry Carriol
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:368527.20131230
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