Vu le pourvoi, enregistré le 10 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour l'association French Data Network, dont le siège est au 10, rue du Croissant, à Paris (75002) ; l'association French Data Network demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2011-264 du 11 mars 2011 modifiant le décret n° 2010-236 du 5 mars 2010 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel autorisé par l'article L. 331-29 du code de la propriété intellectuelle dénommé " Système de gestion des mesures pour la protection des oeuvres sur internet " ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu le code des postes et des communications électroniques, notamment son article L. 36-5 ;
Vu la loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Thierry Carriol, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Delphine Hédary, rapporteur public ;
1. Considérant que l'association French Data Network demande au Conseil d'Etat l'annulation du décret du 11 mars 2011 modifiant et complétant certaines dispositions du décret du 5 mars 2010 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Système de gestion des mesures pour la protection des oeuvres sur internet " dont la création est autorisée par l'article L. 331-29 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l'article 5 de la loi du 28 octobre 2009 ;
Sur l'exception tirée de l'illégalité du décret du 5 mars 2010 :
2. Considérant que l'association French Data Network soutient que le décret du 11 mars 2011 est illégal par voie de conséquence de l'annulation du décret du 5 mars 2010 à l'encontre duquel elle a introduit un recours fondé sur le moyen tiré du défaut de consultation de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ; que ce recours ayant été rejeté par une décision n° 339279 du 19 octobre 2011 du Conseil d'Etat, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le défaut de consultation de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ;
3. Considérant qu'eu égard à son objet relatif à un traitement de données à caractère personnel, le décret attaqué ne concerne pas les communications électroniques au sens des dispositions de l'article L. 36-5 au code des postes et des télécommunications électroniques ; que ses dispositions pouvaient, en conséquence, être adoptées sans avis préalable de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ;
Sur la légalité de l'article 2 du décret au regard de l'étendue de l'habilitation législative ;
4. Considérant que l'association requérante soutient que le pouvoir réglementaire ne pouvait sans excéder l'habilitation qu'il tenait du législateur pour autoriser la création du traitement automatisé, étendre celui-ci notamment aux mesures prévues par les articles R. 331-35 à R. 331-46 du code de la propriété intellectuelle ;
5. Considérant que l'article L. 331-29 du code de la propriété intellectuelle a autorisé la création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel portant sur les personnes et mesures régissant la protection des droits sur internet ; que, contrairement à ce que soutient l'association requérante, les dispositions de l'article L. 331-29 ne sauraient être interprétées comme limitant l'habilitation qu'elles consentent à la mise en oeuvre des seules missions définies par les dispositions législatives de l'article L. 331-25 du code de la propriété intellectuelle ;
Sur la légalité de l'article 3 du décret relatif à l'effacement des données ;
6. Considérant que l'article 3 du décret attaqué, modifiant l'article 3 du décret du 5 mars 2010, dispose que les données à caractère personnel et informations enregistrées dans le traitement sont effacées un an après la date de la transmission de la délibération constatant l'infraction au procureur de la République si celui-ci n'a pas fait connaître les suites données à la procédure, mais dès que le procureur de la République fait connaître à la commission que la juridiction n'a pas prononcé de peine à l'issue d'une procédure ; que, par elle même, la conservation de ces données, visant à rendre possible l'atteinte des objectifs visés par la loi, et pour une durée limitée, ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence ; que s'il résulte de ces dispositions que la durée de conservation des données peut atteindre un an dans le cadre défini par les dispositions du 4° de l'article 3 du décret du 5 mars 2010 tel que modifié par l'article 3 du décret attaqué, cette différence n'a pas pour effet de rendre impossible les poursuites tant que la prescription, de trois années révolues en matière de délit en vertu de l'article 8 du code de procédure pénale, et d'une année révolue pour les contraventions en application de l'article 9 du même code, n'est pas éteinte ; que cette différence n'a aucune incidence sur la culpabilité éventuelle des personnes concernées ; qu'elle n'emporte aucune automaticité entre la durée de conservation des données et le prononcé, le cas échéant, d'une sanction pénale par l'autorité judiciaire ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait le principe de la présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne peut qu'être écarté ;
Sur la légalité de l'article 4 du décret et la transmission d'une information aux organismes de défense professionnelle et aux sociétés de perception et de répartition des droits ;
7. Considérant que le III de l'article 4 du décret du 5 mars 2010 créé par le décret attaqué prévoit que les organismes de défense professionnelle et les sociétés de perception et de répartition des droits sont destinataires d'une information relative à la saisine du procureur de la République ; que la transmission de ces informations a été expressément autorisée par l'article L. 331-29 du code de la propriété intellectuelle ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les auteurs du décret ont excédé la compétence qu'ils tenaient de la loi ne peut qu'être écarté ;
Sur la légalité de l'article 5 du décret modifiant l'annexe du décret du 5 mars 2010 ;
8. Considérant que la circonstance que le décret autorise à collecter les informations relatives aux sanctions dont se rendent passibles les fournisseurs d'accès à internet est prévue par la loi est sans incidence sur les règles régissant les peines auxquelles s'exposent les utilisateurs méconnaissant les droits visés ; que, contrairement à ce que soutient l'association requérante, la collecte de ces informations n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet d'établir l'existence d'une infraction à laquelle les abonnés à un service de communication en ligne sont susceptibles de s'exposer ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'article 5 du décret ferait porter sur les abonnés les conséquences des comportements de leur fournisseurs d'accès à un service de communication en ligne et instituerait de façon illégale une responsabilité du fait d'autrui ne peut qu'être écarté ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association French Data Network n'est pas fondée à demander l'annulation du décret attaqué ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association French Data Network est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association French Data Network, au Premier ministre et à la ministre de la culture et de la communication.