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04/12/2013 | FRANCE | N°356479

France | France, Conseil d'État, 4ème / 5ème ssr, 04 décembre 2013, 356479


Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 février et 11 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme A...B..., demeurant ... ; Mme B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 10974 du 5 janvier 2012 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins d'Ile-de-France du 26 mai 2012 qui lui a infligé la peine de la radiation du ta

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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 février et 11 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme A...B..., demeurant ... ; Mme B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 10974 du 5 janvier 2012 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins d'Ile-de-France du 26 mai 2012 qui lui a infligé la peine de la radiation du tableau de l'ordre et décidé que la sanction prendrait effet le 1er mai 2012, d'autre part, au rejet de la plainte de MmeF..., représentante de Mme E...D..., et du conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris ;

2°) de mettre à la charge du conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris et de Mme F...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Louis Dutheillet de Lamothe, Auditeur,

- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de MmeB..., à la SCP Boutet, avocat de Mme F...et à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins et du conseil départemental de la Ville de Paris ;

Sur la recevabilité de la plainte :

1. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 4123-2 du code de la santé publique : " Lorsqu'une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l'auteur, en informe le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme mis en cause et les convoque dans un délai d'un mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte en vue d'une conciliation. En cas d'échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l'avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte, en s'y associant le cas échéant. (...). " ;

2. Considérant que cette procédure de conciliation est instaurée afin de prévenir l'engagement de procédures disciplinaires inutiles ; qu'il résulte des dispositions précitées du code de la santé publique que la transmission d'une plainte par un conseil départemental ne saisit régulièrement la juridiction disciplinaire que si les parties ont été régulièrement convoquées à une réunion de conciliation qui n'a pas abouti ; qu'en revanche, les irrégularités qui ont pu entacher cette procédure administrative sont sans incidence sur la recevabilité de la plainte auprès de la juridiction disciplinaire de première instance et sur la régularité de la procédure juridictionnelle ;

3. Considérant que, par suite, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que le moyen tiré de ce que le principe du contradictoire avait été méconnu lors de la phase de conciliation était sans incidence sur la régularité de la décision de la chambre disciplinaire de première instance, qui est elle-même soumise au principe du contradictoire ;

4. Considérant, en second lieu, que la décision attaquée statue sur la plainte formée contre le docteur B...par MmeF..., tutrice de MmeD..., à laquelle le conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris s'est associé ; qu'en s'associant à la plainte de MmeF..., le conseil départemental a formé une plainte qui lui est propre ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la chambre disciplinaire nationale aurait à tort estimé que Mme F... avait qualité pour agir devant la juridiction disciplinaire de l'ordre des médecins au nom de Mme D...est sans incidence sur la décision attaquée dès lors que la recevabilité de la plainte du conseil départemental de la ville de Paris n'est pas contestée ;

Sur les fautes disciplinaires :

5. Considérant, en premier lieu, que la chambre nationale a relevé dans sa décision que, parallèlement au traitement psychiatrique dont Mme D...faisait l'objet, Mme B... s'était fortement impliquée dans la vie privée et quotidienne de sa patiente, soit directement, soit par l'intermédiaire de l'association " L'enfant Pingouin ", qu'elle avait créée, dont le siège était fixé à son cabinet et qu'elle présidait ; qu'en particulier, après avoir hébergé quelques temps Mme D...dans une chambre de service située dans son immeuble, Mme B... avait fait en sorte qu'à partir d'avril 2006, Mme D...réside dans un studio loué par l'association, alors que cela ne répondait pas à l'objet de cette dernière ; que l'association récupérait le loyer sous forme de dons de Mme D...et que plusieurs interventions du juge des tutelles avaient été nécessaires pour que Mme D...puisse, comme elle le souhaitait, louer le studio à son nom avant de le quitter définitivement ; que l'association, qui disposait des clés du studio, avait procuré à Mme D...l'assistance d'une tierce personne qu'elle avait recrutée ; qu'il avait également fallu une intervention du juge des tutelle pour que Mme B...remette à la disposition de Mme D...des documents personnels, dont une pièce d'identité, que cette dernière lui avait remis plus de trois ans auparavant ; qu'au surplus, Mme B...s'était opposé au curateur de sa patiente puis à sa mise sous tutelle, parfois à l'aide de menaces ; que la chambre nationale a pu, sans erreur de droit et par des motifs suffisamment étayés, en déduire que Mme B...avait commis une faute déontologique au regard des obligations rappelées à l'article R. 4127-51 du code de la santé publique en s'immisçant dans la vie de sa patiente au-delà de ce que requerrait son office thérapeutique ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu de l'article R. 4127-6 du code de la santé publique, le médecin doit respecter le droit que possède toute personne de choisir librement son médecin et doit faciliter l'exercice de ce droit ; que la chambre nationale a, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, estimé qu'il ressortait de divers témoignages, versés au dossier et mentionnés dans sa décision, que Mme B...avait " cherché à conserver durablement un lien thérapeutique et personnel avec Mme D...qui ne le souhaitait plus ", pour en déduire, sans erreur de qualification, que ces faits constituaient une faute déontologique au regard de l'obligation rappelée à l'article R. 4127-6 du code de la santé publique ;

7. Considérant, en troisième lieu, que la chambre nationale a constaté que, durant la période où elle avait pris en charge MmeD..., Mme B...avait effectué en moyenne trois consultations par semaine, cette fréquence augmentant d'ailleurs à certains moment, qu'elle avait fixé ses honoraires à 90 euros la consultation et à 150 euros en cas de visite à domicile et demandé notamment ainsi à Mme D...8 077 euros d'honoraires pour 102 consultations entre mai et décembre 2005, 3 040 euros pour 38 consultations entre le 10 février et le 30 avril 2006, et 2 857 euros pour 35 consultations entre le 1er mai et le 22 juin 2006, sans que le nombre élevé de ces consultations et visites ne soit justifié par l'état de santé de Mme D...ou par un accord qui aurait été donné par le médecin-conseil de la caisse primaire d'assurance-maladie et sans que le montant élevé des honoraires soit justifié par l'exercice de Mme B...en secteur II ou par sa notoriété ; que la chambre nationale a pu légalement en déduire, sans insuffisance de motivation, que ces faits constituaient une faute déontologique au regard des obligations rappelées à l'article R. 4127-53 du code de la santé publique, aux termes duquel " les honoraires du médecin doivent être déterminés avec tact et mesure " ;

Sur la sanction :

8. Considérant qu'eu égard à l'ensemble des griefs retenus, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins n'a pas dénaturé les faits de l'espèce et n'a pas commis d'erreur de droit en estimant qu'ils justifiaient la sanction de la radiation du tableau de l'ordre des médecins ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du conseil départemental de l'ordre des médecins de la Ville de Paris et de Mme F...qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de MmeB..., au titre des mêmes dispositions, la somme de 3 000 euros à verser à Mme F...;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de Mme B...est rejeté.

Article 2 : Mme B...versera la somme de 3 000 euros à Mme F...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B..., à Mme C...F..., au conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris et au Conseil national de l'ordre des médecins.


Synthèse
Formation : 4ème / 5ème ssr
Numéro d'arrêt : 356479
Date de la décision : 04/12/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

55-04-01-01 PROFESSIONS, CHARGES ET OFFICES. DISCIPLINE PROFESSIONNELLE. PROCÉDURE DEVANT LES JURIDICTIONS ORDINALES. INTRODUCTION DE L'INSTANCE. - CONSEIL DE L'ORDRE S'ASSOCIANT À LA PLAINTE D'UN PARTICULIER [RJ1] - PLAINTE PROPRE DU CONSEIL.

55-04-01-01 En s'associant à la plainte d'un particulier, le conseil départemental de l'ordre des médecins doit être regardé comme formant une plainte qui lui est propre. Par suite, la recevabilité de la plainte du conseil doit être appréciée indépendamment de la recevabilité de la plainte à laquelle il s'est associé.


Références :

[RJ1]

Rappr. CE, 28 décembre 2000, Drai, n° 196330, T. p. 1211.


Publications
Proposition de citation : CE, 04 déc. 2013, n° 356479
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Rapporteur public ?: M. Rémi Keller
Avocat(s) : SCP RICHARD ; SCP BOUTET ; SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:356479.20131204
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