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05/11/2013 | FRANCE | N°373027

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 05 novembre 2013, 373027


Vu le recours, enregistré le 28 octobre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'intérieur ; le ministre demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1305892 du 8 octobre 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative a, d'une part, suspendu l'exécution de la décision du 24 mai 2013 par laquelle le préfet du Nord a décidé la remise de M. B...aux autorités autrichiennes et, d'autre part,

enjoint au préfet du Nord de réexaminer la demande d'admission au séjou...

Vu le recours, enregistré le 28 octobre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'intérieur ; le ministre demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1305892 du 8 octobre 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative a, d'une part, suspendu l'exécution de la décision du 24 mai 2013 par laquelle le préfet du Nord a décidé la remise de M. B...aux autorités autrichiennes et, d'autre part, enjoint au préfet du Nord de réexaminer la demande d'admission au séjour de M. B... au titre de l'asile dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance attaquée et de lui assurer des conditions d'accueil décentes comprenant le logement, la nourriture et l'habillement, dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l'ordonnance ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par M. B...en première instance ;

il soutient que :

- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de fait en ce qu'elle aurait estimé à tort que le préfet du Nord n'avait pas mis le requérant en mesure de présenter des observations avant toute exécution d'office de la décision de réadmission ;

- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle aurait considéré à tort que le préfet du Nord a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile en ne permettant pas au requérant de bénéficier des conditions matérielles d'accueil décentes ;

- M. B...n'apporte pas de preuve attestant qu'il a effectué les démarches qu'il lui revenait d'effectuer afin de bénéficier de l'allocation temporaire d'attente ;

- le préfet du Nord n'a pas méconnu les dispositions des articles 4-5, 16-3 et 16-4 du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003, dès lors que M. B...n'apporte pas la preuve qu'il est demeuré plus de trois mois en dehors de l'espace Schengen ;

- le préfet du Nord n'a pas méconnu, d'une part, l'article 53-1 de la Constitution ni, d'autre part, l'article 3-2° du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003, dès lors qu'il a examiné la situation de M. B...sous l'angle de la clause de souveraineté ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2013, présenté pour M. B..., qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient que :

- le recours est irrecevable dès lors que le préfet du Nord devait faire application de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille par laquelle il lui était enjoint d'assurer à M. B...des conditions d'accueil décentes dans un délai de 5 jours ;

- le recours est irrecevable en ce qu'il a été formé hors délai ;

- l'ordonnance attaquée n'est pas entachée d'une erreur de fait dès lors que le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 prévoit un droit à présenter des observations avant l'arrêté de remise aux autorités responsables de la demande d'asile ;

- le document d'information remis par les services préfectoraux décrivant la procédure de réadmission a été remis antérieurement à la mise à exécution de la mesure de remise aux autorités autrichiennes et ne comportait pas d'explications relatives à la possibilité de formuler des observations ;

- l'ordonnance attaquée n'est pas entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet du Nord avait l'obligation de fournir des conditions matérielles d'accueil ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;

Vu le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur, d'autre part, M. B...;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 4 novembre 2013 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

- Me Poupet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;

Sur les conclusions à fin de non-lieu :

1. Considérant que la circonstance que l'administration ait pris, comme elle devait le faire, des mesures en vue d'assurer l'exécution de l'ordonnance attaquée, n'est pas de nature à rendre son appel sans objet ;

Sur la recevabilité du recours :

2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la notification de l'ordonnance attaquée au ministre de l'intérieur, seule à même de faire courir le délai d'appel à l'encontre de l'Etat, a été faite le 10 octobre 2013 ; que le délai de quinze jours imparti au ministre pour interjeter appel a donc commencé à courir le vendredi 11 octobre et est venu à expiration le vendredi 25 ; que le délai expirant ainsi le vendredi à minuit, le recours, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le lundi suivant, n'est pas tardif ;

Sur l'appel :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

4. Considérant qu'en vertu de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, adopté en application de la convention d'application de l'accord de Schengen du 19 juin 1990, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné irrégulièrement en France peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement ; que le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié ; que, s'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le 1° de cet article permet de refuser l'admission en France d'un demandeur d'asile lorsque l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A...B..., ressortissant du Kosovo, né en 1991, a déposé, le 20 mars 2013 auprès du préfet du Nord, une demande d'admission au statut de réfugié ; que le relevé de ses empreintes digitales a fait apparaître qu'il avait présenté une précédente demande en Autriche ; qu'un refus d'admission provisoire au séjour lui a en conséquence été opposé le 5 avril 2013 ; que les autorités autrichiennes ont accepté, le 30 avril, sa réadmission ; que le préfet de Nord a décidé, le 24 mai, sa remise à ces autorités ;

5. Considérant que M. B...a reçu un document, traduit en albanais, langue qu'il comprend, lui expliquant la procédure prévue par le règlement du 18 février 2003 et lui indiquant les conséquences qui s'attachent à la mise en oeuvre de cette procédure ; que la décision de remise elle-même, qui l'informait de la possibilité de présenter des observations a été traduite en anglais, langue que l'intéressé avait déclaré pouvoir parler ; que, dans ces conditions, et alors que l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'impose pas de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations avant l'adoption de la décision de remise, mais seulement avant l'exécution d'office de cette mesure, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Lille s'est fondé, pour faire droit à la demande qui lui était présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, sur une méconnaissance grave et manifeste des obligations qui incombent à l'administration pour informer les demandeurs d'asile de leurs droits dans une langue qu'ils peuvent raisonnablement comprendre ;

6. Considérant qu'il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de la demande présentée par M. B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille ;

7. Considérant, en premier lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'après la demande d'asile qu'il a présentée en Autriche le 19 septembre 2012, M. B...serait retourné dans son pays d'origine plus de trois mois, dans des conditions qui rendraient la France responsable de l'examen de sa demande d'asile, en application de l'article 16-3 du règlement du 18 février 2003 ;

8. Considérant que, s'il appartient à l'autorité compétente de procurer aux demandeurs d'asile les conditions matérielles d'accueil prévues par le code de l'action sociale et des familles, conformément aux objectifs de la directive 2003/9/CE du 7 janvier 2003, le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative en adressant une injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste de ces exigences et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation de famille ; qu'en l'espèce, M. B...a été informé des prestations auxquelles il avait droit ; qu'il a été mis en contact avec des organismes d'assistance et qu'il a pu être pris en charge au titre de l'hébergement d'urgence par plusieurs associations ; qu'eu égard aux diligences accomplies par l'administration ainsi qu'aux caractéristiques de sa situation, aucune méconnaissance grave et manifeste des obligations qu'impose le respect du droit d'asile ne peut, dans ces conditions, être retenue ;

9. Considérant enfin qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'en s'abstenant de faire usage tant de la possibilité d'examiner, sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, une demande d'asile qui ne relève pas de la France, que de la clause dérogatoire prévue par l'article 3-2°) du règlement du 18 février 2003, le préfet du Nord aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale aux obligations qu'impose le respect du droit d'asile ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que la demande présentée par M.B..., sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille doit être rejetée ; que les conclusions présentées par M. B...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être également rejetées ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille en date du 8 octobre 2013 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille et ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et à M. A...B....


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 373027
Date de la décision : 05/11/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 05 nov. 2013, n° 373027
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP DE NERVO, POUPET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2013:373027.20131105
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