Vu 1°, sous le n° 358701, la requête, enregistrée le 20 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Electricité de France, dont le siège est 22-30 avenue de Wagram à Paris (75008), représentée par son président directeur général ; la société Electricité de France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 de la délibération du conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélemy n° 2012-003 CT du 24 février 2012 relative à la création d'une taxe sur les installations électriques et de télécommunications aériennes - modifications du code des contributions ;
2°) de mettre à la charge de la collectivité de Saint-Barthélemy la somme de 5000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°, sous le n° 359137, la requête, enregistrée le 4 mai 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société Orange, anciennement dénommée France Télécom, dont le siège est 78 rue Olivier de Serres à Paris (75015), représentée par sa directrice juridique " France " ; la société Orange demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 de la délibération du conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélemy n° 2012-003 CT du 24 février 2012 relative à la création d'une taxe sur les installations électriques et de télécommunications aériennes - modifications du code des contributions ;
2°) de mettre à la charge de la collectivité de Saint-Barthélemy la somme de 10000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 34 et 74 ;
Vu le code général des collectivités territoriales, notamment ses articles L.O. 6211-1 et suivants ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Labrune, Auditeur,
- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la Société Électricité de France, et à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la collectivité de Saint-Barthélemy ;
1. Considérant que les requêtes des sociétés Electricité de France et Orange sont dirigées contre la même délibération du 24 février 2012 par laquelle le conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélemy a créé une taxe sur les installations électriques et de télécommunications aériennes en insérant dans le code des contributions de Saint-Barthélemy un article 143 aux termes duquel : " Il est institué sur le territoire de Saint-Barthélemy une taxe sur les infrastructures électriques et de télécommunications aériennes. Cette taxe, perçue au profit de la Collectivité de Saint-Barthélemy, est due par les opérateurs d'énergie électrique et de télécommunications utilisant un mode de transport aérien par câbles (ou lignes). Le montant de la taxe est de deux (2) euros par mètre linéaire de câbles (ou lignes). La taxe est annuelle et doit être versée dans son intégralité avant le 30 juin de chaque année. Le réseau électrique aérien ''basse tension'' appartenant à la Collectivité de Saint-Barthélemy n'est pas soumis à cette taxe " ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : " La loi fixe les règles concernant (...) l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures (...) " ; qu'aux termes de l'article 74 de la Constitution : " Les collectivités d'outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la République. Ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l'assemblée délibérante, qui fixe : (...) - les compétences de cette collectivité ; (...) La loi organique peut également déterminer, pour celles de ces collectivités qui sont dotées de l'autonomie, les conditions dans lesquelles : - le Conseil d'État exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu'elle exerce dans le domaine de la loi ; - l'assemblée délibérante peut modifier une loi promulguée postérieurement à l'entrée en vigueur du statut de la collectivité, lorsque le Conseil constitutionnel, saisi notamment par les autorités de la collectivité, a constaté que la loi était intervenue dans le domaine de compétence de cette collectivité ; (...) " ;
3. Considérant que la collectivité de Saint-Barthélemy est, en vertu de l'article L.O. 6211-1 du code général des collectivités territoriales, une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution et dotée de l'autonomie ; qu'il résulte des dispositions combinées des articles L.O. 6214-3, L.O. 6243-1, L.O. 6243-4 et L.O. 6251-2 de ce même code que le Conseil d'Etat, saisi d'un recours contentieux contre un acte du conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélemy intervenant dans le domaine de la loi, statue sur la conformité de cet acte au regard de la Constitution, des lois organiques, des engagements internationaux de la France et des principes généraux du droit ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L.O. 6214-3 du code général des collectivités territoriales : " La collectivité fixe les règles applicables dans les matières suivantes : 1° Impôts, droits et taxes dans les conditions prévues à l'article LO 6214-4 ; (...) 5° Environnement, y compris la protection des espaces boisés ; (...)" ; qu'aux termes de l'article L.O. 6214-4 de ce même code : " (...) III.-Sans préjudice de l'exercice par la collectivité de sa compétence en matière d'impôts, droits et taxes, l'Etat peut instituer des taxes destinées à être perçues à l'occasion de l'exécution des missions d'intérêt général qui lui incombent dans le cadre de ses compétences (...) " ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que la collectivité de Saint-Barthélemy est seule compétente pour instituer, dans les conditions prévues à l'article L.O. 6214-4, une imposition à laquelle sont assujetties indifféremment toutes les personnes, physiques ou morales, ayant leur domicile fiscal à Saint-Barthélemy ; que s'il résulte des dispositions précitées du III de l'article L.O. 6214-4 du code général des collectivités territoriales que l'Etat est seul compétent pour instituer des impositions destinées à être perçues à l'occasion de l'exécution des missions d'intérêt général qui lui incombent dans le cadre de ses compétences à Saint-Barthélemy, la collectivité de Saint-Barthélemy dispose d'une compétence exclusive pour instituer une imposition spécifique dans les matières pour lesquelles elle est compétente en vertu de l'article L.O. 6214-3 du même code ;
5. Considérant, d'une part, que la collectivité de Saint-Barthélemy est compétente en matière d'environnement en vertu du 5° de l'article L.O. 6214-3 du code général des collectivités territoriales ; que, d'autre part, l'imposition contestée, dont le but est d'inciter à l'enfouissement des câbles aériens, poursuit un objet environnemental ; qu'il suit de là que, contrairement à ce soutiennent les requérants, la collectivité de Saint-Barthélemy était compétente pour instituer, par la délibération attaquée, une taxe sur les installations aériennes électriques et de télécommunications, alors même que cette taxe porte, notamment, sur des installations de télécommunications et que l'Etat est compétent en matière de télécommunications ;
6. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de la Constitution qu'il appartient à une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution et dotée de l'autonomie d'épuiser l'étendue de la compétence qui lui a été confiée par le législateur organique lorsque, intervenant dans un domaine réservé, en métropole, au législateur par l'article 34 de la Constitution, elle définit un régime juridique et ne diffère pas son entrée en vigueur ; qu'il revient, en effet, à une telle collectivité, lorsqu'elle exerce des compétences qui relèvent, en principe, du domaine de la loi, d'assortir les éventuelles mises en cause des droits et principes constitutionnellement protégés des garanties de nature à permettre que ces mises en cause soient conformes à la Constitution ;
7. Considérant qu'il s'ensuit que, lorsqu'elle définit, dans le cadre de ses compétences, une imposition, la collectivité de Saint-Barthélemy doit déterminer de manière complète et suffisamment précise, son assiette, son taux, ainsi que ses modalités de recouvrement, lesquelles comprennent les règles régissant le contrôle, le recouvrement, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition ;
8. Considérant que la délibération attaquée, qui a, ainsi qu'il a été dit au point 1, inséré un article 143 dans le code des contributions de Saint-Barthélemy, se borne à prévoir que la taxe sur les infrastructures électriques et de télécommunications aériennes qu'elle institue est annuelle et doit être versée dans son intégralité, par les opérateurs d'énergie électrique et de télécommunications qui y sont assujettis, avant le 30 juin de chaque année, à raison de deux euros par mètre linéaire de câble ; que si certains articles du même code, en particulier l'article 191, définissent des règles régissant le recouvrement des droits et taxes, il ne résulte pas de la combinaison de ces dispositions que la collectivité de Saint-Barthélemy ait déterminé de manière complète et suffisamment précise les éléments constitutifs de cette imposition, notamment en ce qui concerne ses redevables, compte tenu de l'imprécision de la notion d'opérateurs d'énergie électrique et de télécommunications, son assiette, en particulier la date à laquelle il convient de se placer pour déterminer le métrage linéaire qui supporte la taxe, ainsi que ses modalités de recouvrement, dès lors que ne sont précisées ni l'autorité chargée du recouvrement de la taxe ni si celle-ci est recouvrée par voie de rôle émis par l'administration ou par versement spontané des redevables après auto liquidation ; qu'il suit de là que la collectivité de Saint-Barthélemy a méconnu l'étendue de sa compétence ; que, dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, les articles 2, 3 et 4 de la délibération attaquée doivent être annulés ;
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la collectivité de Saint-Barthélemy le versement aux sociétés Electricité de France et Orange de la somme de 3 000 euros chacune, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur leur fondement par la collectivité de Saint-Barthélemy, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la société Orange ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 de la délibération du conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélemy du 24 février 2012 sont annulés.
Article 2 : La collectivité de Saint-Barthélemy versera aux sociétés Electricité de France et Orange la somme de 3 000 euros chacune au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la collectivité de Saint-Barthélemy présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Electricité de France, à la société Orange, à la collectivité de Saint-Barthélemy, au représentant de l'Etat à Saint-Barthélemy et au ministre des outre-mer.