Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 avril et 15 juillet 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société en nom collectif Kimberly Clark, dont le siège est 26, rue Armengaud, BP 201 à Saint-A... (92212) ; la société en nom collectif Kimberly Clark demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 07PA01498 du 19 février 2009 de la cour administrative d'appel de Paris, réformant le jugement n° 0105534/1-1 du 28 février 2007 du tribunal administratif de Paris, en tant qu'il rejette sa demande de décharge des suppléments de droits de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période couverte par les mois de novembre et décembre 1995 et février 1996 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 61-1 et 62 ;
Vu la décision du 23 avril 2010 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société en nom collectif Kimberly Clark ;
Vu la décision n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010 du Conseil constitutionnel statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société en nom collectif Kimberly Clark ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Tanneguy Larzul, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la Snc Kimberly Clark,
- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de la Snc Kimberly Clark ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de l'arrêt du Conseil d'Etat du 3 février 1989 Compagnie Alitalia, la société anonyme Kimberley Clark Sopalin, aux droits de laquelle vient la société en nom collectif Kimberly Clark, a entrepris, sur la base de factures rectificatives émises par ses fournisseurs, de procéder à des déductions de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle estimait avoir à tort omis de pratiquer ; qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration a remis en cause, d'une part, les déductions de taxe ainsi effectuées par la société en novembre 1995, décembre 1995 et février 1996, qui correspondaient à des dépenses de réception, d'hébergement, de restaurant, et de spectacles exposées au cours de la période comprise entre le 1er janvier 1984 et le 30 septembre 1995 et étaient mentionnées sur des factures rectificatives émises en 1995 par les prestataires de la société et, d'autre part, la déduction effectuée en novembre 1995 de la taxe figurant sur des factures relatives à des dépenses de même nature émises du 1er janvier 1993 au 30 septembre 1995 ; que par un jugement du 28 février 2007, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société en nom collectif Kimberly Clark tendant à la décharge des suppléments de droits de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période en litige ainsi que des intérêts de retard correspondants ; que la société en nom collectif Kimberly Clark se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 février 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après lui avoir accordé la décharge partielle des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de factures émises du 1er janvier 1993 au 30 septembre 1995 ainsi que des intérêts de retard correspondants, a rejeté le surplus de ses conclusions ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 271 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition restant en litige, la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération, le droit à déduction prenant naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable ; qu'en vertu de l'article 269 du même code, la taxe est exigible chez le redevable lors de l'encaissement du prix ; qu'en vertu de l'article 217 de l'annexe II au même code, dans sa rédaction alors applicable, la déduction de la taxe ayant grevé les services est opérée par imputation sur la taxe due au titre du mois qui suit celui pendant lequel le droit à déduction a pris naissance ; qu'en vertu de l'article 289 du code, dans sa version alors applicable, tout assujetti doit délivrer une facture pour les services rendus à un autre assujetti faisant apparaître par taux d'imposition, le total hors taxe et la taxe mentionnée distinctement ; qu'aux termes de l'article 224 de l'annexe II au code alors applicable : " 1. Les entreprises doivent mentionner le montant de la taxe dont la déduction leur est ouverte sur les déclarations qu'elles déposent pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée. Cette mention doit figurer sur la déclaration afférente au mois qui est désigné aux articles 208 à 217. Toutefois, à condition qu'elle fasse l'objet d'une inscription distincte, la taxe dont la déduction a été omise sur cette déclaration peut figurer sur les déclarations ultérieures déposées avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'omission " ;
3. Considérant que, pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, la société soutient, en premier lieu, que la cour a omis de répondre au moyen tiré de ce que les règles de prescription du droit à déduction qui lui ont été opposées par l'administration en application de l'article 224 de l'annexe II au code général des impôts méconnaissaient les principes communautaires de neutralité et de proportionnalité ; qu'il ressort toutefois des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a jugé que le délai de prescription prévu par l'article 224 de l'annexe II au code général des impôts n'était pas contraire aux dispositions des articles 17, 18, paragraphes 2 et 3, ainsi que 21 de la sixième directive, telles qu'interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que si la société en nom collectif Kimberly Clark soutient que les dispositions réglementaires précitées de l'article 224 de l'annexe II au code général des impôts sont illégales en ce qu'elles ont été prises sur le fondement d'une habilitation par laquelle le législateur a méconnu l'étendue de sa propre compétence et porté atteinte aux droits et principes garantis par les articles 14 et 17 de la Déclaration des droit de l'homme et du citoyen de 1789 et que la cour a donc, en faisant application de ces dispositions, entaché son arrêt d'erreur de droit, le Conseil constitutionnel a, par une décision du 18 juin 2010, déclaré conformes à la Constitution les dispositions du troisième alinéa du 1 de l'article 273 du code général des impôts qui renvoient à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les délais dans lesquels doivent être opérées les déductions de taxe sur la valeur ajoutée et sur le fondement desquelles ont été prises les dispositions de l'article 224 de l'annexe II au code général des impôts ; que, par suite, le moyen de la société requérante ne peut qu'être écarté ;
5. Considérant, en troisième lieu, que le moyen tiré de ce que le délai de prescription du droit à déduction prévu par le 1 de l'article 224-1 de l'annexe II au code général des impôts méconnaitrait les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme n'a pas été soulevé devant la cour administrative d'appel de Paris ; que ce moyen n'est pas né de l'arrêt attaqué et n'est pas d'ordre public ; que, par suite, la société en nom collectif Kimberly Clark ne peut utilement soulever ce moyen pour contester le bien-fondé de l'arrêt qu'elle attaque ;
6. Considérant, enfin, que la société en nom collectif Kimberly Clark soutient que la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit en opposant le délai de prescription à l'exercice de son droit à déduction mentionné ci-dessus alors même qu'elle n'avait pas pu antérieurement mettre en oeuvre ce droit, en raison des dispositions réglementaires alors en vigueur, qui ont été depuis lors jugées illégales par la Cour de justice des communautés européennes ;
7. Considérant que les dispositions communautaires et nationales en vigueur pour la période en litige, résultant de la décision CEE du Conseil n° 89-1989 du 28 juillet 1989 et du décret n° 89-885 du 14 décembre 1989, prévoyaient, après que les dispositions nationales la régissant auparavant eurent été déclarées incompatibles avec le droit communautaire, le maintien, à titre temporaire, de l'exclusion du droit à déduction de la TVA ayant grevé les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles ; que l'invalidité de la décision du Conseil du 28 juillet 1989 autorisant la République française à appliquer ainsi une mesure dérogatoire à l'article 17 paragraphe 6 deuxième alinéa de la sixième directive 77/388/CEE en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, a été prononcée par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt Ampafrance SA du 19 septembre 2000 ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire. / Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure. / Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue " ; qu'en vertu du c) de l'article R. 196-1 du même livre, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent, pour être recevables, être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant la réalisation de l'événement qui motive la réclamation ; que les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne retenant une interprétation du droit de l'Union qui révèle directement une incompatibilité avec ce droit d'une règle applicable en France constituent un événement de nature à établir le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par la réalisation d'un événement, au sens et pour l'application de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, et de la période sur laquelle l'action en restitution peut s'exercer en application de l'article L. 190 du même livre ;
9. Considérant que si la société en nom collectif Kimberly Clark soutient que la cour, en lui opposant un délai de prescription pour la production de factures rectificatives en vue de l'exercice d'un droit à déduction qui n'était pas reconnu, a méconnu le principe général du droit tiré de ce que la prescription ne peut courir contre celui qui est dans l'impossibilité absolue d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure et qu'elle a ainsi commis une erreur de droit, un tel moyen ne peut qu'être écarté, dès lors que, ainsi que l'a relevé la cour, il résulte de la combinaison des dispositions précitées des articles L. 190 et R. 196-1 du livre des procédures fiscales, que le contribuable qui a été dans l'impossibilité de respecter les délais de prescription prévus par les dispositions du 1 de l'article 224 de l'annexe II au code général des impôts, a la possibilité d'exercer, dans les conditions qu'elles précisent, une action en restitution ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la société en nom collectif Kimberly Clark doit être rejeté ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à la société la somme qu'elle réclame sur ce fondement ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la société en nom collectif Kimberly Clark est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société en nom collectif Kimberly Clark et au ministre de l'économie et des finances.