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30/11/2012 | FRANCE | N°363553

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 30 novembre 2012, 363553


Vu la requête, enregistrée le 25 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société ENI Spa, dont le siège social est 1, piazzale Enrico Mattei à Rome (100144) en Italie, représentée par son représentant légal ; la société ENI Spa demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la délibération de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 26 juillet 2012 autorisant la société GRTgaz à mener à son terme l'appel

au marché pour la création de capacités d'entrée depuis la Suisse vers la ...

Vu la requête, enregistrée le 25 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société ENI Spa, dont le siège social est 1, piazzale Enrico Mattei à Rome (100144) en Italie, représentée par son représentant légal ; la société ENI Spa demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la délibération de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du 26 juillet 2012 autorisant la société GRTgaz à mener à son terme l'appel au marché pour la création de capacités d'entrée depuis la Suisse vers la France au point d'interconnexion d'Oltingue, en ce que cette délibération retient un tarif de 400 €/MWh/j/an pour les capacités fermes conditionnelles si les souscriptions sont de 75 GWh/j ou de 300 €/MWh/j/an si les souscriptions sont de 100 CGW/j ;

elle soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors, d'une part, que les tarifs maximum fixés par la délibération contestée s'appliqueront à la société ENI Spa à compter du 1er avril 2013, et, d'autre part, que les conditions de la consultation du marché de la société GRTgaz prévoient que chaque soumissionnaire accepte, au moment du dépôt de son offre, de manière inconditionnelle et irrévocable, les termes et conditions du mémorandum d'information, lesquels visent notamment les conditions tarifaires arrêtées par la CRE ;

- il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ;

- c'est à tort que la délibération contestée met, pour la capacité ferme et conditionnelle, les coûts d'investissement uniquement à la charge des souscripteurs au lieu de les faire peser sur l'ensemble des opérateurs ;

- la délibération méconnaît les dispositions de l'article L. 452-1 du code de l'énergie dès lors que le niveau de tarification correspond à un plafond et non à un coût précis, et n'a pas été arrêté sur la base de critères publics, objectifs et non discriminatoires ;

- la délibération méconnaît les principes de libre concurrence et de non discrimination ;

- elle méconnaît les dispositions des articles L. 111-91 et suivants du code de l'énergie garantissant le principe de libre accès aux installations de transport de gaz ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des coûts d'investissement ;

Vu la décision dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation de cette décision ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2012, présenté pour la société GRTgaz, dont le siège social est situé 6, rue Raoul Nordling à Bois-Colombes (92270), représentée par son représentant légal en exercice, qui conclut au rejet de la requête ; elle soutient que :

- la délibération contestée constitue une mesure préparatoire qui n'a ni pour objet ni pour effet de fixer les tarifs relatifs au point d'entrée litigieux, qui seront ultérieurement fixés par la CRE en application des dispositions des articles L. 452-1 et suivants du code de l'énergie et que, par suite, la délibération ne fait pas grief aux acteurs du marché ;

- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la société requérante n'établit pas que la délibération contestée préjudicierait de manière grave et immédiate à sa situation ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 23 novembre 2012, présenté par la Commission de régulation de l'énergie, qui conclut au rejet de la requête ; elle soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la société requérante a, d'une part, fait une appréciation erronée de la délibération du 26 juillet 2012 et, d'autre part, ne démontre pas une atteinte grave et immédiate à sa situation;

- aucun des moyens soulevés n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 28 novembre 2012, présenté par la société ENI Spa, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que :

- sa requête est recevable dès lors que la délibération de la CRE en date du 26 juillet 2012 fait grief ;

- le tarif litigieux pèsera sur les coûts de la société ENI Spa de façon telle qu'il créera une distorsion de concurrence et que, la procédure d'appel au marché ayant été engagée par GRTgaz, il en découle une situation d'urgence ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le règlement (CE) n° 715/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les conditions d'accès aux réseaux de transport de gaz naturel et abrogeant le règlement (CE) n° 1775/2005 ;

Vu la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE ;

Vu le code de l'énergie ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société ENI Spa et, d'autre part, la Commission de régulation de l'énergie, la société GRTgaz et la société FluxSwiss ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 29 novembre 2012 à 11 heures, au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Boré, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société ENI SPA ;

- les représentants de la société ENI Spa ;

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société GTRgaz ;

- Me Odent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société FluxSwiss ;

-le représentant de la société FluxSwiss ;

- les représentants de la Commission de régulation de l'énergie ;

et à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Considérant qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 16 du règlement du 13 juillet 2009 concernant les conditions d'accès aux réseaux de transport de gaz naturel, relatif aux principes des mécanismes d'attribution des capacités et procédures de gestion de la congestion en ce qui concerne les gestionnaires de réseau de transport : " 2. Le gestionnaire de réseau de transport met en oeuvre et publie des mécanismes non discriminatoires et transparents d'attribution des capacités qui : a) fournissent des indices économiques appropriés permettant d'exploiter la capacité technique de manière efficace et maximale, facilitent les investissements dans les nouvelles infrastructures et facilitent les échanges transfrontaliers de gaz naturel (...) " ; qu'aux termes du paragraphe 5 du même article : " 5. Les gestionnaires de réseau de transport évaluent régulièrement la situation sur le marché en termes de demande de nouveaux investissements. Lorsqu'ils planifient de nouveaux investissements, les gestionnaires de réseau de transport évaluent la demande du marché et tiennent compte de la sécurité d'approvisionnement " ;

3. Considérant que la société GRTgaz, gestionnaire de réseau de transport de gaz en France, a envisagé de créer de nouvelles capacités au point d'entrée sur le réseau gazier français d'Oltingue, afin de créer un corridor Sud-Nord permettant l'acheminement de gaz depuis l'Italie vers la France à travers la Suisse ; que les sociétés GRTgaz et FluxSwiss ont organisé conjointement, le 5 juin 2012, un appel au marché en vue du développement de capacités d'entrée depuis la Suisse vers la France au point d'interconnexion d'Oltingue ; que cette démarche vise à faire évaluer la demande des acteurs du marché pour un investissement sur les réseaux de transport, en leur proposant de souscrire des capacités sur une durée de 15 ans ; que cet appel au marché propose aux opérateurs de développer deux types de capacités, correspondant à des investissements différents, soit, d'une part, une capacité dite " conditionnelle ferme " à hauteur de 100 GWh/j, correspondant à des investissements évalués à 258 millions d'euros, et, d'autre part, une capacité dite " interruptible ", à hauteur de 100 GWh/j, correspondant à des investissements évalués à 11 millions d'euros ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 134-2 du code de l'énergie : " Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires, la Commission de régulation de l'énergie précise, par décision publiée au Journal officiel, les règles concernant ; 1° Les missions des gestionnaires de réseaux de transport et de distribution de gaz naturel en matière d'exploitation et de développement de ces réseaux ; (...) 4° Les conditions d'utilisation des réseaux de transport et de distribution de gaz naturel et des installations de gaz naturel liquéfié y compris la méthodologie d'établissement des tarifs d'utilisation de ces réseaux et de ces installations et les évolutions tarifaires (...) " ; qu'il résulte des dispositions combinées du paragraphe 1 de l'article 13 du règlement du 13 juillet 2009 et du paragraphe 6 de l'article 41 de la directive du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel que les tarifs appliqués par les gestionnaires de réseau de transport et approuvés par les autorités de régulation pour le raccordement et l'accès aux réseaux nationaux sont transparents, tiennent compte de la nécessaire intégrité du réseau et de la nécessité de l'améliorer, reflètent les coûts supportés, et sont appliqués de façon non discriminatoire ; que l'article 13 du règlement du 13 juillet 2009 prévoit par ailleurs que les Etats membres ont la faculté de décider que les tarifs peuvent être fixés selon des modalités faisant appel au marché, pour autant que ces modalités et les recettes qu'elles génèrent soient approuvées par les autorités de régulation ;

5. Considérant que, par délibération en date du 26 juillet 2012 prise sur le fondement de l'article L. 134-2 du code de l'énergie, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a autorisé la société GRTgaz à mener à son terme l'appel au marché pour la création de capacités d'entrée au point d'interconnexion d'Oltingue, a approuvé les règles d'allocation des capacités proposées par la société GRTgaz et a prévu, que, compte tenu du calendrier prévisionnel du projet, les conditions de rémunération que la CRE envisageait d'appliquer aux investissements de ce projet seraient celles définies dans le cadre du prochain tarif d'utilisation des réseaux de transport de gaz, ou ATRT5 ; que la société ENI Spa demande la suspension de l'exécution de cette délibération en tant qu'elle aurait retenu, pour les capacités " fermes conditionnelles " un tarif de 400 euros/MWh/j/an si les souscriptions sont de 75 GWh/j, ou de 300 euros/MWh/j/an si les souscriptions sont de 100 GWh/j ;

6. Considérant que la délibération contestée relève que le rapport coûts/bénéfices du projet de développement de capacités d'entrées fermes " conditionnelles " à Oltingue n'est pas favorable ; que " le projet développe relativement peu de capacités (100 GWh/j), alors qu'il engendre des surcoûts d'investissement importants " ; qu'en " l'état actuel des analyses, les scénarios justifiant l'utilité de cet investissement pour les consommateurs sont trop aléatoires pour que ses coûts soient mutualisés dans le tarif de transport " ; qu'en " conséquence, la CRE considère que les souscriptions de capacité devront couvrir le coût annuel du projet pendant quinze ans ", ce qui " entraîne un tarif maximum de 400 euros/MWh/j/an si les souscriptions sont de 75 GWh/j pendant quinze ans, de 300 euros/MWh/j/an si les souscriptions sont de 100 GWh/j sur la même durée " ; que la délibération précise que " ces tarifs pourraient être revus à la baisse si le coût du projet venait à être réduit, si le projet bénéficiait de subventions européennes ou si des analyses ultérieures montraient que le rapport coûts/bénéfices du projet est positif pour les consommateurs de gaz " ;

7. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés peut prononcer la suspension d'une décision administrative à la condition notamment que l'urgence le justifie ; que cette condition doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; que, lorsque sont invoqués pour justifier une situation d'urgence les effets anti concurrentiels d'une décision administrative, de tels effets doivent être caractérisés et susceptibles d'affecter durablement la structure concurrentielle du marché en cause ;

8. Considérant que, pour justifier de l'urgence, la société requérante indique, d'une part, que la délibération prévoit que les conditions de rémunération que la CRE envisage d'appliquer aux investissements de ce projet seront celles définies dans le cadre du prochain tarif d'utilisation des réseaux de transport, ou ATRT5, dont l'entrée en vigueur aura lieu le 1er avril 2013, et que ces nouveaux tarifs, qui ont fait l'objet d'une consultation publique lancée par la CRE le 26 juillet 2012, doivent être adoptés d'ici la fin de l'année 2012 ; qu'ainsi, en l'absence d'élément nouveau, les tarifs maximum fixés dans la délibération contestée en date du 26 juillet 2012 s'appliqueraient à la société ENI Spa à compter du 1er avril 2013 ; que la société fait valoir, d'autre part, que les conditions de la consultation du marché de la société GRTgaz prévoient que chaque soumissionnaire accepte, au moment du dépôt de son offre, de manière inconditionnelle et irrévocable, les termes et conditions du mémorandum d'information ; que la société soutient enfin que le tarif litigieux pèsera sur les coûts de la société ENI Spa de façon telle qu'il créera une distorsion de concurrence, et que, la procédure d'appel au marché ayant été engagée par la société GRTgaz, il en découle une situation d'urgence ;

9. Considérant, en premier lieu, que la délibération contestée n'a pas entendu fixer par elle-même les tarifs qui seront applicables pour l'utilisation des nouvelles capacités envisagées, mais a seulement entendu indiquer, à titre d'information, le montant maximum qui pourrait être retenu par la CRE lorsque la tarification de l'infrastructure sera établie ; qu'une telle tarification ne pourra être adoptée, le cas échéant, que conformément aux dispositions des articles L. 452-1 et suivants du code de l'énergie ; qu'au demeurant, la fixation du tarif des capacités fermes conditionnelles d'entrée à Oltingue ne saurait intervenir qu'au terme d'un processus de mise en oeuvre du projet d'investissement par la société GRTgaz soumis à plusieurs conditions, tenant notamment au succès de la consultation de marché et à l'approbation ultérieure du programme d'investissement et de travaux présenté par la société GRTgaz ; qu'il résulte de l'instruction comme des indications apportées à l'audience que le tarif en cause ne devrait être fixé, après mise en oeuvre d'une consultation, par la CRE, qu'au cours de l'année 2016, pour une entrée en service de l'installation en 2018 ;

10. Considérant, en second lieu, que si la consultation de marché mise en oeuvre par la société GRTgaz en juin 2016 demande aux utilisateurs potentiels de la nouvelle infrastructure de s'engager sur l'utilisation de capacités, dans l'hypothèse où l'infrastructure serait réalisée, et se réfère, pour le tarif applicable aux capacités proposées dans le cadre de l'appel au marché, à une fourchette tarifaire ayant vocation à être précisée par la CRE dans la délibération contestée, il demeure que la société requérante ne sera tenue de procéder aux versements financiers correspondant à ces engagements, en tout état de cause, qu'à compter de la mise en service de l'installation, prévue en 2018, et n'est tenue à aucun débours immédiat du fait de la souscription des engagements de capacités ;

11. Considérant, en troisième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que la circonstance que le tarif indicatif évalué par la CRE pèserait, s'il était confirmé en 2016, sur les coûts de la société ENI Spa, serait constitutive d'une distorsion de concurrence, dès lors, d'une part, que la société ENI Spa, acteur important sur le marché français du gaz, dispose d'ores et déjà d'un accès au réseau français de distribution via d'autres points d'accès et, d'autre part, que la réalisation de capacités nouvelles au point d'entrée d'Oltingue constitue un investissement significatif qui doit être couvert par la tarification à venir ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante n'établit pas que la délibération contestée aurait pour effet de porter une atteinte grave et immédiate à sa situation ; que, dans ces conditions, il n'est pas justifié de l'urgence à la suspendre dans l'attente du jugement de l'affaire au fond ; que, par suite, il y a lieu de rejeter la requête de la société ENI Spa ;

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la société ENI Spa est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société ENI Spa, à la société GTRgaz, à la société Fluxswiss et à la Commission de régulation de l'énergie.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 363553
Date de la décision : 30/11/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 nov. 2012, n° 363553
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SPINOSI ; SCP ODENT, POULET ; SCP BORE ET SALVE DE BRUNETON

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:363553.20121130
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