Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 mai et 11 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société d'exploitation des commerces de Thau, dont le siège est Domaine Saint des Sources à Pinet (34850) ; la société demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'article 2 de l'arrêt n° 08MA02172-01MA01760 du 10 mars 2009 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, après avoir jugé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur ses conclusions à hauteur des dégrèvements prononcés en cours d'instance portant sur l'ensemble des pénalités et majorations, rejeté le surplus des conclusions de sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 9503283/9503284 du 19 juin 2001 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande et, d'autre part, à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 1990, 1991, 1992 et 1993, de la taxe d'apprentissage mise à sa charge au titre de l'année 1992 et enfin des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis en recouvrement au titre de la période du 3 juillet 1989 au 31 mars 1993, à l'exception de ceux de ces rappels notifiés selon la procédure de taxation d'office ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Matthieu Schlesinger, Auditeur,
- les observations de la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de la société d'exploitation des commerces de Thau,
- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, avocat de la société d'exploitation des commerces de Thau ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société d'exploitation des commerces de Thau exploitait une discothèque située sur la commune de Pinet dans l'Hérault ; que cette société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur les exercices clos en 1990, 1991, 1992 et 1993 ; qu'après avoir écarté sa comptabilité comme non probante, l'administration fiscale a reconstitué les recettes perçues par la discothèque et lui a notifié le 29 octobre 1993 des redressements portant sur l'impôt sur les sociétés au titre de ces quatre exercices, sur la valeur ajoutée au titre de la période du 3 juillet 1989 au 31 mars 1993 et sur la taxe d'apprentissage au titre de l'année 1992 ; que les impositions et taxes supplémentaires en résultant ayant été mises en recouvrement et ses réclamations rejetées par l'administration fiscale, la société a saisi le tribunal administratif de Montpellier qui, par un jugement du 19 juin 2001, a rejeté ses demandes ; que par un premier arrêt du 28 avril 2005 rectifié le 24 janvier 2006, la cour administrative d'appel de Marseille a infirmé ce jugement et prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, des rappels de droits de taxe sur la valeur ajoutée à l'exception de ceux établis selon la procédure de taxation d'office et de la taxe d'apprentissage, au motif que l'administration avait entaché d'irrégularité la procédure d'imposition en se fondant sur des éléments recueillis dans le cadre d'une perquisition conduite sur le fondement des dispositions de l'article L. 26 du livre des procédures fiscales à la seule fin de permettre un redressement fiscal ; que, par une décision n° 281852 du 17 avril 2008, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt en tant qu'il prononçait la décharge des impositions précédemment mentionnées, au motif que la cour avait entaché son arrêt de dénaturation en jugeant irrégulière la procédure d'imposition ; que la société d'exploitation des commerces de Thau se pourvoit en cassation contre l'article 2 de l'arrêt du 10 mars 2009 par lequel la cour, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a remis à sa charge les impositions restant en litige ;
Sur le pourvoi :
2. Considérant que le Conseil d'Etat statuant au contentieux ayant, par sa décision du 17 avril 2008, partiellement annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 28 avril 2005 et renvoyé l'affaire devant cette cour, celle-ci s'est trouvée de nouveau saisie de plein droit, dans la mesure de la cassation prononcée, de l'appel de la société requérante sur lequel elle s'était prononcée le 28 avril 2005 ; qu'elle devait toutefois, avant de statuer sur les conclusions restant en litige, eu égard au fait nouveau que constituait la cassation partielle de son premier arrêt et en l'absence de mémoires présentés par l'ensemble des parties à la suite de cette cassation, faire connaître à ces parties qu'en raison de ce fait nouveau il leur était loisible de produire, si elles le jugeaient utile et dans le délai fixé par la cour, les observations qu'il leur paraîtrait opportun de lui adresser ;
3. Considérant qu'il est constant que, lorsqu'a été rendu l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Marseille, les parties n'avaient pas été mises à même par cette cour de produire, le cas échéant, leurs observations à la suite de la cassation partielle du précédent arrêt ; qu'est à cet égard sans incidence la circonstance que la cour a diligenté une mesure d'instruction pour demander à l'administration l'état des dégrèvements prononcés ; que l'arrêt litigieux ayant ainsi été rendu au terme d'une procédure irrégulière, la société requérante est fondée à demander l'annulation de son article 2, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi ;
4. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée ;
Sur le fond :
En ce qui concerne la régularité de la procédure :
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 26 du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration peuvent intervenir, sans formalité préalable et sans que leur contrôle puisse être retardé, dans les locaux professionnels des personnes soumises, en raison de leur profession, à la législation des contributions indirectes ou aux législations édictant les mêmes règles en matière de procédure et de recouvrement, pour y procéder à des inventaires, aux opérations nécessaires à la constatation et à la garantie de l'impôt et généralement aux contrôles qualitatifs et quantitatifs prévus par ces législations " ; que ces dispositions étaient applicables à la société requérante en vertu du III de l'article 290 quater du code général des impôts ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la brigade de contrôle et de recherche de l'Hérault est intervenue le 28 juillet 1993, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 26 du livre des procédures fiscales, dans les locaux de la discothèque exploitée par la société requérante ; qu'ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat statuant au contentieux dans sa décision précitée du 17 avril 2008, les agents de la brigade de contrôle et de recherche ont constaté une absence totale de billetterie, en violation des dispositions de l'article 290 quater I du code général des impôts, consignée dans un procès-verbal d'infraction, et une proposition d'accord transactionnel a été adressée à la société au titre des contributions sur la billetterie de spectacle le 29 novembre 1996 afin de tirer les conséquences financières de la constatation de ces infractions ; qu'au surplus, le procès-verbal d'audition du 28 juillet 1993 n'a été mentionné dans la notification de redressement adressée à la société qu'à titre superfétatoire, la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires étant assise tant sur les documents consultés auprès du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Béziers en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales et des articles de presse que sur les témoignages et les renseignements recueillis lors des interventions sur place par le vérificateur ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, l'intervention de la brigade de contrôle et de recherche n'a pas été opérée à la seule fin de permettre des redressements fiscaux en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, au prix d'un détournement de procédure ; que les irrégularités qui affecteraient les opérations de contrôle ainsi effectuées étant, par suite, sans influence sur la régularité de la procédure d'imposition, les moyens tirés de telles irrégularités doivent également être écartés ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que tant le rejet de la comptabilité comme non probante, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que la reconstitution des recettes de la société ont été fondés non sur les éléments figurant dans le procès-verbal d'audition du 28 juillet 1993 mais sur les documents consultés auprès du juge d'instruction, les témoignages et renseignements recueillis lors des interventions sur place par le vérificateur et des articles de presse ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'ils seraient fondés sur des constatations qui ne seraient pas propres à la période vérifiée ;
8. Considérant, en troisième lieu, qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en oeuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent ; que, lorsque le contribuable en fait la demande à l'administration, celle-ci est tenue de lui communiquer les documents ou copies de documents contenant les renseignements obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés ; qu'il en va ainsi alors même que le contribuable a pu avoir connaissance de ces renseignements ou de certains d'entre eux, afin notamment de lui permettre d'en vérifier, et le cas échéant d'en discuter, l'authenticité et la teneur ;
9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la notification de redressement du 29 octobre 1993 indiquait avec suffisamment de précisions les documents obtenus de tiers, mentionnés ci-dessus, sur lesquels l'administration s'est fondée ; que, d'une part, la société a reçu une copie ou pris connaissance dans les locaux de l'administration des documents détenus par les services fiscaux ; que, d'autre part, l'administration fiscale, qui ne les détenait pas, a, à bon droit, invité la société à s'adresser à la brigade de recherche de la gendarmerie de Sète pour pouvoir prendre connaissance des témoignages que cette dernière avait recueillis ; qu'il suit de là que les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la notification de redressement et du défaut de communication des pièces doivent être rejetés ;
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions restant en litige :
10. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 290 quater du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable : " I. Dans les établissements de spectacles comportant un prix d'entrée, les exploitants doivent délivrer un billet à chaque spectateur avant l'entrée dans la salle de spectacles. (...) / II. Lorsqu'ils ne délivrent pas de billets d'entrée en application du I, les exploitants de discothèques et de cafés-dansants sont tenus de remettre à leurs clients un ticket émis par une caisse enregistreuse. (...) " ;
11. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la comptabilité présentée par la société au cours de la vérification de comptabilité était entachée de graves insuffisances ; qu'en particulier, elle ne comportait aucune billetterie, la remise d'un simple jeton à l'entrée du parking ne pouvant être regardé comme constituant un ticket de caisse au sens des dispositions précitées de l'article 290 quater du code général des impôts ; que pour une grande partie des recettes, la société n'avait pu présenter de justificatifs ou bien les justificatifs présentés comportaient des rectifications manuscrites, alors que les dispositions du 3° de l'article 286 du code général des impôts, dont elle se prévaut, n'exonèrent pas le contribuable de l'obligation de produire des justifications de nature à établir la consistance des recettes portées en comptabilité ; que diverses autres anomalies avaient été relevées, concernant le compte de caisse, les stocks et les achats ; que le moyen tiré de ce que la comptabilité aurait été écartée à tort comme dépourvue de valeur probante ne peut, dès lors, qu'être écarté ; qu'il en résulte en outre, l'imposition ayant été établie conformément à l'avis de la commission départementale des impôts, que la charge de la preuve incombe à la société requérante ;
12. Considérant, en deuxième lieu, que pour reconstituer le résultat de la société, l'administration fiscale a, d'une part, fixé le nombre de clients par soirée à partir d'une estimation du nombre de véhicules stationnés et, d'autre part, déterminé la recette unitaire moyenne par client à partir du montant du droit d'entrée et d'une estimation de la consommation d'alcool ; que la société, qui se borne à contester les hypothèses retenues par l'administration pour en démontrer le caractère surévalué, n'établit pas que la méthode serait viciée dans son principe ou même qu'elle serait excessivement sommaire ;
13. Considérant, en troisième lieu, que la société conteste la remise en cause par l'administration de certaines dépenses, pour lesquelles elle produit plusieurs factures, qu'elle avait comptabilisées dans ses charges ; que toutefois, s'agissant des factures d'électricité correspondant à un second abonnement au nom de la société, l'administration a pu considérer, alors que seul un premier abonnement portait la mention " night-club " et en l'absence d'explication de la société, qu'elles ne correspondaient pas à des dépenses exposées pour l'exploitation de la discothèque ; que toutes les autres factures litigieuses sont libellées à un autre nom que celui de la société requérante, celle-ci se bornant à affirmer qu'elles auraient fait l'objet d'une compensation ou d'un remboursement ou résulteraient d'une erreur, sans l'établir ;
14. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande " ;
15. Considérant que l'administration justifie de l'insuffisance de déclaration des salaires versés par la société requérante à ses employés au titre de l'année 1992, cette dernière restant dès lors redevable d'une somme de 900 francs au titre de la taxe d'apprentissage ; qu'ainsi c'est à bon droit que le tribunal a fait droit à la demande de compensation présentée par l'administration sur le fondement de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales et maintenu le redressement initial de 701 francs notifié au titre de la taxe d'apprentissage afférente à cette année ;
16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 1990, 1991, 1992 et 1993, de la taxe d'apprentissage mise à sa charge au titre de l'année 1992 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis en recouvrement au titre de la période du 3 juillet 1989 au 31 mars 1993, à l'exception de ceux de ces rappels notifiés selon la procédure de taxation d'office ;
Sur les conclusions présentées par la société requérante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative devant la cour administrative d'appel de Marseille et devant le Conseil d'Etat :
17. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes demandées par la société requérante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 10 mars 2009 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la requête présentée par la société d'exploitation des commerces de Thau devant la cour administrative d'appel de Marseille tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 1990, 1991, 1992 et 1993, de la taxe d'apprentissage mise à sa charge au titre de l'année 1992 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis en recouvrement au titre de la période du 3 juillet 1989 au 31 mars 1993, à l'exception de ceux de ces rappels notifiés selon la procédure de taxation d'office, sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société d'exploitation des commerces de Thau sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société d'exploitation des commerces de Thau et au ministre de l'économie et des finances.