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11/10/2012 | FRANCE | N°343844

France | France, Conseil d'État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 11 octobre 2012, 343844


Vu la requête, enregistrée le 18 octobre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Yves B, demeurant ... ; il demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction 5C-1-07 du 22 janvier 2007 en tant qu'elle subordonne dans tous les cas de figure le bénéfice de l'article 150-0 D ter du code général des impôts à la détermination des conditions d'effectif, de chiffre d'affaires ou de total de bilan prévus par cet article sur la base des comptes consolidés de la société dont les titres sont cédés ;

2°) de met

tre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'...

Vu la requête, enregistrée le 18 octobre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Yves B, demeurant ... ; il demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction 5C-1-07 du 22 janvier 2007 en tant qu'elle subordonne dans tous les cas de figure le bénéfice de l'article 150-0 D ter du code général des impôts à la détermination des conditions d'effectif, de chiffre d'affaires ou de total de bilan prévus par cet article sur la base des comptes consolidés de la société dont les titres sont cédés ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 septembre 2012, présentée par M. B ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le règlement (CE) n° 70/2001 de la Commission du 12 janvier 2001 ;

Vu le code de commerce ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Anton, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

1. Considérant qu'aux termes du I de l'article 150-0 D ter du code général des impôts, définissant les modalités d'imposition des gains nets de cession à titre onéreux de valeurs mobilières et de droits sociaux réalisés par les dirigeants de sociétés faisant valoir leurs droits à la retraite, dans sa rédaction applicable à la date de l'instruction attaquée, l'abattement d'un tiers par année de détention au-delà de la cinquième année, prévu à l'article 150-0 D bis " s'applique (...) aux gains nets réalisés lors de la cession à titre onéreux d'actions, de parts ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts, acquis ou souscrits avant le 1er janvier 2006, si les conditions suivantes sont remplies :/ (...) 3° La société dont les titres ou droits sont cédés répond aux conditions suivantes :/ a) Elle emploie moins de deux cent cinquante salariés au 31 décembre de l'année précédant celle de la cession ou, à défaut, au 31 décembre de la deuxième ou de la troisième année précédant celle de la cession ;/ b) Elle a réalisé un chiffre d'affaires annuel inférieur à 50 millions d'euros au cours du dernier exercice clos ou a un total de bilan inférieur à 43 millions d'euros à la clôture du dernier exercice ;(...) " ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 74-0 Q de l'annexe II à ce code, pris pour l'application de ces dispositions : " Les conditions d'effectif, de chiffre d'affaires ou de total de bilan mentionnées aux a et b du 3° du I de l'article 150-0 D ter du code général des impôts sont déterminées sur la base des comptes de la société dont les titres ou droits sont cédés. Si cette société établit des comptes consolidés, les conditions précitées sont déterminées sur la base de ces comptes " ;

3. Considérant que M. B demande l'annulation pour excès de pouvoir du paragraphe 169 de l'instruction 5 C-1-07 du 22 janvier 2007 de la directrice de la législation fiscale commentant ces dispositions en tant qu'il prévoit que si la société, dont les titres ou les droits sont cédés, " établit des comptes consolidés, les conditions d'effectif, de chiffre d'affaires ou de total de bilan sont déterminés sur la base de ces comptes consolidés " ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des termes de l'article 150-0 D ter du code général des impôts, dont la portée doit, contrairement à ce que le requérant soutient, être éclairée par l'examen des travaux préparatoires de l'article 29 de la loi de finances rectificative pour 2005 du 30 décembre 2005 dont il est issu, que le législateur a entendu réserver le régime de faveur qu'il prévoit aux dirigeants qui procèdent à la cession des titres de sociétés satisfaisant aux conditions de seuils retenues pour la définition des petites et moyennes entreprises par le règlement (CE) n° 70/2001 de la Commission du 12 janvier 2001 concernant l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides d'Etat en faveur des petites et moyennes entreprises ; qu'il résulte de ce règlement que, pour vérifier si une société répond à cette définition, les données relatives à l'effectif, au chiffre d'affaires et au total du bilan sont déterminées sur la base, lorsqu'ils existent, des comptes consolidés ; que, par suite, les dispositions réglementaires de l'article 74-0 Q de l'annexe II au code n'ont pas illégalement ajouté à l'article 150-0 D ter en reprenant ces conditions ; que, dès lors, le moyen du requérant tiré de ce qu'en réitérant ces dispositions réglementaires, l'instruction attaquée aurait méconnu ces dispositions législatives ne peut qu'être écarté ;

5. Considérant, en second lieu, que le requérant soutient que l'instruction attaquée méconnaît les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article premier de son premier protocole additionnel ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ; qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de l'article 14 de cette convention, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;

7. Considérant que le requérant fait valoir, d'une part, que l'instruction méconnaît ces stipulations dès lors qu'elle introduit une discrimination entre les contribuables selon qu'ils ont fait le choix de détenir leurs participations soit directement dans chacune des sociétés où ils exercent leur activité professionnelle, de sorte qu'il ne sont pas alors soumis à l'obligation d'établir des comptes consolidés, soit par l'intermédiaire d'une société holding ;

8. Considérant que le requérant fait valoir, d'autre part, que l'instruction méconnaît également ces stipulations en ce qu'elle introduit une discrimination selon la forme, civile ou commerciale, de la société holding, dès lors que seules les sociétés commerciales ont l'obligation de présenter des comptes consolidés en application de l'article L. 233-16 du code de commerce et qu'une telle obligation ne pèse pas sur une société civile qui, telle une société civile de portefeuille, aurait pour objet exclusif la gestion des participations de ce dirigeant ; qu'il soutient que cette différence de traitement est sans lien avec l'objectif poursuivi par le législateur et ne repose pas sur un critère rationnel en rapport avec l'objet de la loi ;

9. Considérant qu'eu égard à l'objectif poursuivi par le législateur de réserver le bénéfice de l'article 150- 0 D ter du code général des impôts aux seules petites et moyennes entreprises, il incombe à l'administration, pour apprécier si l'entreprise dont les titres sont cédés présentent ce caractère, de prendre en compte l'ensemble des liens de dépendance existant entre cette entreprise et d'autres entreprises ; que, dans le cadre de son pouvoir de contrôle, il lui appartient ainsi, à ce titre, de tenir compte des participations détenues par cette entreprise ; que si les dispositions réglementaires de l'article 74-0 Q de l'annexe II au code général des impôts prévoient de ne recourir aux comptes consolidés d'une société dont les titres sont cédés, aux fins de vérifier si elle relève du champ d'application de l'article 150-0 D ter, que dans l'hypothèse où cette société établit de tels comptes, que ce soit ou non en vertu d'une obligation légale, l'absence de comptes consolidés, en raison du mode de détention des participations retenu par le contribuable pour exercer l'activité économique ou de la forme juridique de la société holding détenant ces participations, n'est pas à elle seule de nature à permettre à cette société de bénéficier du régime de faveur prévu par cette disposition législative ;

10. Considérant que, par suite, ces dispositions réglementaires, réitérées par l'instruction attaquée, n'impliquent pas, par elles-mêmes, que soient traitées différemment, au regard du champ d'application de la loi, les sociétés cédées en fonction de la seule publication de comptes consolidés ; que, dès lors, le moyen tiré de ce qu'elles méconnaîtraient l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er de son premier protocole additionnel doit être écarté ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre, la requête de M. B doit être rejetée, y compris ses conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. B est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Yves B et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 8ème et 3ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 343844
Date de la décision : 11/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES - REVENUS DES CAPITAUX MOBILIERS ET ASSIMILABLES - PLUS-VALUES DE CESSION DE DROITS SOCIAUX - BONI DE LIQUIDATION - MODALITÉS D'IMPOSITION DES GAINS NETS DE CESSION À TITRE ONÉREUX DE VALEURS MOBILIÈRES ET DE DROITS SOCIAUX RÉALISÉS PAR LES DIRIGEANTS DE SOCIÉTÉS FAISANT VALOIR LEURS DROITS À LA RETRAITE - RÉGIME DE FAVEUR PRÉVU PAR L'ARTICLE 150-0 D TER DU CGI - 1) OBJECTIF DU LÉGISLATEUR - RÉSERVER LE BÉNÉFICE DE CE RÉGIME AUX PME - CONSÉQUENCE - PRISE EN COMPTE PAR L'ADMINISTRATION DE L'ENSEMBLE DES LIENS DE DÉPENDANCE EXISTANT ENTRE L'ENTREPRISE DONT LES TITRES SONT CÉDÉS ET D'AUTRES ENTREPRISES - EXISTENCE - 2) ABSENCE DE COMPTES CONSOLIDÉS - CIRCONSTANCE N'ÉTANT PAS - À ELLE SEULE - DE NATURE À PERMETTRE DE BÉNÉFICIER DE CE RÉGIME DE FAVEUR.

19-04-02-03-02 1) Eu égard à l'objectif poursuivi par le législateur de réserver le bénéfice de l'article 150-0 D ter du code général des impôts (CGI) aux seules petites et moyennes entreprises (PME), il incombe à l'administration, pour apprécier si l'entreprise dont les titres sont cédés présentent ce caractère, de prendre en compte l'ensemble des liens de dépendance existant entre cette entreprise et d'autres entreprises. Dans le cadre de son pouvoir de contrôle, il lui appartient ainsi, à ce titre, de tenir compte des participations détenues par cette entreprise. 2) Si les dispositions réglementaires de l'article 74-0 Q de l'annexe II au CGI prévoient de ne recourir aux comptes consolidés d'une société dont les titres sont cédés, aux fins de vérifier si elle relève du champ d'application de l'article 150-0 D ter, que dans l'hypothèse où cette société établit de tels comptes, que ce soit ou non en vertu d'une obligation légale, l'absence de comptes consolidés, en raison du mode de détention des participations retenu par le contribuable pour exercer l'activité économique ou de la forme juridique de la société holding détenant ces participations, n'est pas à elle seule de nature à permettre à cette société de bénéficier du régime de faveur prévu par cette disposition législative.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES - PLUS-VALUES DES PARTICULIERS - PLUS-VALUES MOBILIÈRES - MODALITÉS D'IMPOSITION DES GAINS NETS DE CESSION À TITRE ONÉREUX DE VALEURS MOBILIÈRES ET DE DROITS SOCIAUX RÉALISÉS PAR LES DIRIGEANTS DE SOCIÉTÉS FAISANT VALOIR LEURS DROITS À LA RETRAITE - RÉGIME DE FAVEUR PRÉVU PAR L'ARTICLE 150-0 D TER DU CGI - 1) OBJECTIF DU LÉGISLATEUR - RÉSERVER LE BÉNÉFICE DE CE RÉGIME AUX PME - CONSÉQUENCE - PRISE EN COMPTE PAR L'ADMINISTRATION DE L'ENSEMBLE DES LIENS DE DÉPENDANCE EXISTANT ENTRE L'ENTREPRISE DONT LES TITRES SONT CÉDÉS ET D'AUTRES ENTREPRISES - EXISTENCE - 2) ABSENCE DE COMPTES CONSOLIDÉS - CIRCONSTANCE N'ÉTANT PAS - À ELLE SEULE - DE NATURE À PERMETTRE DE BÉNÉFICIER DE CE RÉGIME DE FAVEUR.

19-04-02-08-01 1) Eu égard à l'objectif poursuivi par le législateur de réserver le bénéfice de l'article 150-0 D ter du code général des impôts (CGI) aux seules petites et moyennes entreprises (PME), il incombe à l'administration, pour apprécier si l'entreprise dont les titres sont cédés présentent ce caractère, de prendre en compte l'ensemble des liens de dépendance existant entre cette entreprise et d'autres entreprises. Dans le cadre de son pouvoir de contrôle, il lui appartient ainsi, à ce titre, de tenir compte des participations détenues par cette entreprise. 2) Si les dispositions réglementaires de l'article 74-0 Q de l'annexe II au CGI prévoient de ne recourir aux comptes consolidés d'une société dont les titres sont cédés, aux fins de vérifier si elle relève du champ d'application de l'article 150-0 D ter, que dans l'hypothèse où cette société établit de tels comptes, que ce soit ou non en vertu d'une obligation légale, l'absence de comptes consolidés, en raison du mode de détention des participations retenu par le contribuable pour exercer l'activité économique ou de la forme juridique de la société holding détenant ces participations, n'est pas à elle seule de nature à permettre à cette société de bénéficier du régime de faveur prévu par cette disposition législative.


Publications
Proposition de citation : CE, 11 oct. 2012, n° 343844
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Anton
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2012:343844.20121011
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