Vu la requête, enregistrée le 17 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'EARL DE COMMENIAN, dont le siège est situé à Commenian à Lavernose (31410), représentée par son gérant en exercice, et pour l'EARL DE CANDELON, dont le siège est situé Villa de Candelon à Auvillar (82340) ; les entreprises requérantes demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) de suspendre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 16 mars 2012 par lequel le ministre de l'agriculture, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire a interdit la mise en culture des variétés de semence de maïs issues de la lignée de maïs génétiquement modifié MON 810 sur le territoire national jusqu'à l'adoption des mesures mentionnées au 3 de l'article 54 du règlement (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2002 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elles soutiennent qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ; qu'en considérant que l'avis rendu le 8 décembre 2011 par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) mettait en évidence que la culture du maïs " MON 810 " serait manifestement susceptible de présenter un risque grave pour l'environnement, l'arrêté contesté est entaché d'inexactitude matérielle des faits ; qu'en tout état de cause, eu égard à l'ensemble des données scientifiques disponibles, l'interdiction de la mise en culture du maïs " MON 810 " résulte d'une erreur manifeste d'appréciation ; que cette mesure est insuffisamment motivée ; qu'en ne démontrant pas l'existence d'un risque grave et évident pour la santé humaine, animale ou l'environnement, l'arrêté litigieux méconnaît les dispositions de l'article 34 du règlement CE du 22 septembre 2003 ; que la décision contestée est entachée d'erreur de droit dès lors que l'interdiction de mise en culture ne fait pas partie des " mesures de gestion " recommandées par l'AESA ; que la condition d'urgence est remplie ; que l'arrêté litigieux leur porte un préjudice économique grave et immédiat ; qu'il met en péril l'équilibre économique de toute la filière maïs française ; qu'en favorisant indirectement l'utilisation de traitements insecticides, l'interdiction de la mise en culture du maïs " MON 810 " porte une atteinte grave et immédiate à la santé humaine et à l'environnement ;
Vu l'arrêté dont la suspension de l'exécution est demandée ;
Vu la copie de la requête à fin d'annulation dirigée contre cet arrêté ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2012, présenté par le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la requête doit être rejetée dès lors qu'elle est dirigée contre un acte dont le Conseil d'Etat n'est pas compétent pour connaître en premier ressort ; que la condition d'urgence n'est pas remplie ; que les requérantes ne font état d'aucun élément de nature à justifier le caractère suffisamment grave de l'atteinte portée à leurs intérêts économiques et financiers ; que le caractère grave et immédiat du prétendu préjudice porté à toute la filière maïs française n'est pas démontré ; que l'arrêté contesté, qui est sans rapport avec la réglementation relative aux pesticides, ne porte atteinte ni à la santé humaine ni à l'environnement ; qu'à l'inverse, la suspension de l'exécution de la décision litigieuse mettrait en péril l'intérêt immédiat de la filière apicole et plus largement la préservation de l'environnement ; qu'il n'existe aucun doute quant à la légalité de l'arrêté contesté ; qu'il satisfait aux conditions prévues par l'article 34 du règlement CE du 22 septembre 2003 ; que l'avis du 8 décembre 2011 de l'AESA a mis en évidence que la mise en culture du maïs " Bt11 ", et, dès lors, celle du maïs " MON 810 " étaient susceptibles de présenter un risque important pour l'environnement en l'absence de mise en oeuvre de mesures de réduction de ce risque ; que l'arrêté contesté n'est entaché d'aucune erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'aucune mesure de gestion et de surveillance, relevant de la compétence de l'Union européenne, n'est encore intervenue ;
Vu l'intervention et le mémoire, enregistrés les 18 avril et 4 mai 2012, présentés par l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF), représentée par son président en exercice, dont le siège est situé 26 rue des Tournelles à Paris (75004), par lesquels elle conclut au rejet de la requête ainsi qu'au versement, mis à la charge des entreprises requérantes, de la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient qu'elle a un intérêt à agir tel qu'il justifie qu'elle soit admise à se constituer partie à l'instance ; que la filière apicole qu'elle représente a un intérêt majeur au maintien de l'arrêté contesté ; que le Conseil d'Etat est incompétent pour connaître en premier ressort de la décision litigieuse qui relève, en tant que mesure individuelle suspendant une autorisation de mise sur le marché d'un produit phytopharmaceutique, de la compétence du tribunal administratif aux termes des dispositions de l'article R. 312-10 du code de justice administrative ; que la requête est irrecevable faute de remplir les conditions de l'article L. 521-1 de ce code ; que la condition d'urgence n'est pas remplie ; qu'aucune preuve des faits allégués par les requérantes n'est versée aux débats ; que la situation économique préjudiciable dont se prévalent les requérantes résulte de leur propre fait ; qu'il y a urgence à ne pas suspendre l'exécution de la décision contestée ; qu'il n'existe aucun doute sérieux quant à la légalité de cette décision ;
Vu l'intervention, enregistrée le 3 mai 2012, présentée pour les Amis de la Terre France, la Confédération paysanne, la Fédération française d'apiculteurs professionnels, la Fédération nationale d'agriculture biologique, France nature environnement, Nature et progrès et Réseau semences paysannes ; ils demandent que le Conseil d'Etat rejette la requête de l'EARL DE COMMENIAN et de l'EARL DE CANDELON ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 7 mai 2012, présenté pour l'EARL DE COMMENIAN et l'EARL DE CANDELON qui reprennent les conclusions de leur requête ; elles soutiennent en outre que le Conseil d'Etat est compétent pour connaître de leur requête dès lors qu'elle est dirigée contre un acte règlementaire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Vu la directive 90/220/CEE du 23 avril 1990 ;
Vu la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 ;
Vu le règlement (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2002 ;
Vu le règlement (CE) n° 1829/2003 du 22 septembre 2003 ;
Vu la décision de la Commission n° 98/294/CE du 22 avril 1998 ;
Vu l'arrêt en date du 8 septembre 2011 rendu par la Cour de justice de l'Union européenne dans les affaires jointes C-58/10 à C-68/10 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'EARL DE COMMENIAN et l'EARL DE CANDELON et, d'autre part, le ministre de l'agriculture, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 7 mai 2012 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Boré, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'EARL DE COMMENIAN et de l'EARL DE CANDELON ;
- les représentants de l'EARL DE COMMENIAN et de l'EARL DE CANDELON ;
- les représentants du ministre de l'agriculture, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire ;
- Me Foussard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des Amis de la Terre France, de la Confédération paysanne, de la Fédération française d'apiculteurs professionnels, de la Fédération nationale d'agriculture biologique, de France nature environnement, de Nature et progrès et de Réseau semences paysannes ;
- le représentant de la Confédération paysanne ;
- Me Brouchot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Union nationale de l'apiculture française ;
- le représentant de l'Union nationale de l'apiculture française ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 mai 2012, présentée pour l'Union nationale de l'apiculture française ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 mai 2012, présentée pour l'EARL COMMENIAN et l'EARL DE CANDELON ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 mai 2012, présentée par le ministre de l'agriculture, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire ;
Sur l'intervention des Amis de la Terre France, de la Confédération paysanne, de la Fédération française d'apiculteurs professionnels, de la Fédération nationale d'agriculture biologique, de France nature environnement, de Nature et progrès et de Réseau semences paysannes :
Considérant que les Amis de la Terre France, la Confédération paysanne, la Fédération française d'apiculteurs professionnels, la Fédération nationale d'agriculture biologique, France nature environnement, Nature et progrès et Réseau semences paysannes ont intérêt au maintien de la décision contestée ; qu'ainsi, leur intervention est recevable ;
Sur l'intervention de l'Union nationale de l'apiculture française :
Considérant que le mémoire de l'Union nationale de l'apiculture française a le caractère d'une intervention ; que cette union a intérêt au maintien de la décision contestée ; qu'ainsi, son intervention est recevable ;
Sur la demande de suspension :
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;
Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le maïs MON 810 est une variété de maïs génétiquement modifié en vue de lui donner une plus grande résistance aux insectes ravageurs de cette plante ; que l'autorisation de mise sur le marché de cet organisme génétiquement modifié (OGM) a été délivrée à la société Monsanto Europe SA le 22 avril 1998 par la Commission européenne sur le fondement des dispositions de la directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement, alors en vigueur ; que le 12 juillet 2004, cet OGM a été notifié en tant que produit existant dans les conditions énoncées à l'article 20 du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003, concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés ; que la demande de renouvellement d'autorisation de ce produit est en cours d'examen ; que, par une décision en date du 28 novembre 2011, rendue après que la Cour de justice de l'Union européenne a, par un arrêt en date du 8 septembre 2011, répondu à la question préjudicielle qu'il lui avait posée, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêté du 7 février 2008, modifié par l'arrêté du 13 février 2008, par lequel le ministre de l'agriculture et de la pêche avait interdit la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié Zea Mays L. lignée MON 810 jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande de renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché de cet organisme ; que, par l'arrêté en date du 16 mars 2012 dont la suspension est demandée, le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire a interdit sur le territoire national la mise en culture des variétés de semences de maïs issues de la lignée de maïs génétiquement modifié MON 810 jusqu'à l'adoption des mesures relevant de l'Union européenne mentionnées au 3 de l'article 54 du règlement (CE) 178/2002 du 28 janvier 2002 ;
Considérant qu'eu égard à la portée de l'arrêté contesté, la demande de suspension présentée à son encontre n'est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige dont il appartient au Conseil d'Etat de connaître en premier et dernier ressort ; qu'il appartient en conséquence au juge des référés du Conseil d'Etat de se prononcer sur la demande de suspension ;
Considérant que la société Monsanto ne commercialise pas en France le produit concerné par l'arrêté litigieux ; qu'avant l'adoption de l'arrêté litigieux, ce produit n'a été utilisé que sur une très faible part des surfaces cultivées par des agriculteurs qui, comme les deux entreprises requérantes, l'ont acheté à l'étranger ; que l'ensemencement du maïs est, à cette période de l'année, largement réalisé ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que, pour les deux entreprises requérantes, les difficultés qui découlent de l'application de l'arrêté dont elles demandent la suspension seraient telles qu'elles feraient apparaître une situation d'urgence ; qu'ainsi l'exécution de cet arrêté ne porte pas atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation des entreprises requérantes ou aux intérêts qu'elles entendent défendre pour constituer une situation d'urgence ; que, la condition d'urgence n'étant pas remplie, la demande de suspension ne peut être accueillie ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de l'EARL DE COMMENIAN et de l'EARL DE CANDELON, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peut qu'être rejetée ; qu'enfin l'Union nationale de l'apiculture française, qui est intervenante, n'a pas la qualité de partie au litige ; que les conclusions qu'elle présente sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative ne peuvent donc qu'être rejetées ;
O R D O N N E :
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Article 1er : Les interventions des Amis de la Terre France, de la Confédération paysanne, de la Fédération française d'apiculteurs professionnels, de la Fédération nationale d'agriculture biologique, de France nature environnement, de Nature et progrès, de Réseau semences paysannes et de l'Union nationale de l'apiculture française sont admises.
Article 2 : La requête de l'EARL DE COMMENIAN et de l'EARL DE CANDELON est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de l'Union nationale de l'apiculture française tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à l'EARL DE COMMENIAN, à l'EARL DE CANDELON, au ministre de l'agriculture et de l'agroalimentaire ainsi qu'aux Amis de la Terre France, à la Confédération paysanne, à la Fédération française d'apiculteurs professionnels, à la Fédération nationale d'agriculture biologique, à France nature environnement, à Nature et progrès, à Réseau semences paysannes et à l'Union nationale de l'apiculture française.