Vu le mémoire, enregistré le 22 mars 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour l'ASSOCIATION JUSTICE POUR TOUTES LES FAMILLES, dont le siège est 14, rue Drouot à Paris (75009), représentée par son président en exercice, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; l'ASSOCIATION JUSTICE POUR TOUTES LES FAMILLES demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation du décret n° 2011-89 du 21 janvier 2011 relatif aux modalités de calcul de la part des allocations familiales suspendues ou supprimées en cas d'absentéisme scolaire, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l'absentéisme scolaire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu le code de l'éducation ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
Vu la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Laure Bédier, Maître des Requêtes,
- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
Considérant que l'article L. 131-8 du code de l'éducation, dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi du 28 septembre 2010, dispose que le directeur d'établissement saisit l'inspecteur d'académie afin que celui-ci adresse, par courrier ou à l'occasion d'un entretien, un avertissement aux personnes responsables de l'enfant qui a manqué la classe sans motif légitime ni excuses valables au moins quatre demi-journées dans le mois ; que dans le cas où, au cours d'une même année scolaire, une nouvelle absence d'au moins quatre demi-journées sur un mois est constatée en dépit de l'avertissement, l'inspecteur d'académie, après avoir mis les personnes responsables de l'enfant en mesure de présenter leurs observations et en l'absence de motif légitime ou d'excuses valables, saisit le directeur de l'organisme débiteur des prestations familiales qui suspend la part des allocations familiales due au titre de l'enfant ; que le versement des allocations est rétabli rétroactivement lorsque l'inspecteur d'académie a signalé au directeur de l'organisme débiteur des prestations familiales qu'aucun défaut d'assiduité sans motif légitime ni excuses valables n'a été constaté pendant une période d'un mois ;
Considérant, en premier lieu, que si l'exigence constitutionnelle résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 implique la mise en oeuvre d'une politique de solidarité nationale en faveur de la famille, elle laisse la possibilité au législateur de choisir les mesures qui lui paraissent appropriées, notamment au travers de prestations générales ou spécifiques, directes ou indirectes, apportées aux familles tant par les organismes de sécurité sociale que par les collectivités publiques ; qu'ainsi, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le bénéfice des allocations familiales soit subordonné à une condition d'assiduité scolaire, la suspension de la part des allocations familiales due au titre de l'enfant ne pouvant être décidée qu'en l'absence de motifs légitimes ou d'excuses valables et le versement de cette part étant rétabli rétroactivement lorsque aucune absence n'a été constatée pendant une période d'un mois suivant la première suspension ;
Considérant, en deuxième lieu, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des motifs d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi ; que le versement des prestations familiales est subordonné par l'article L. 552-4 du code de la sécurité sociale au respect de l'obligation scolaire ; qu'ainsi, les familles bénéficiaires d'allocations familiales étant placées, au regard des avantages sociaux dont elles disposent du fait de leurs enfants, dans une situation différente de celles qui n'en bénéficient pas, les dispositions litigieuses de la loi du 28 septembre 2010 pouvaient, sans méconnaître le principe d'égalité, introduire une sanction de l'absentéisme scolaire propre aux familles bénéficiaires de ces allocations ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction, dès lors, d'une part, que la sanction susceptible d'être infligée est exclusive de toute privation de liberté et, d'autre part, que l'exercice de ce pouvoir de sanction est assorti par la loi de mesures destinées à assurer les droits et libertés constitutionnellement garantis ; qu'en particulier doivent être respectés les principes de la nécessité et de la légalité des peines, ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ; que, si la suspension ou la suppression des allocations familiales constitue une sanction, la décision de l'inspecteur d'académie de saisir le directeur de l'organisme débiteur des prestations familiales, qui fait suite à un premier avertissement, intervient après que les personnes responsables de l'enfant auront été mises à même de présenter leurs observations et, en vertu des dispositions combinées de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 et de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, de se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de leur choix ; qu'ainsi, les dispositions litigieuses de la loi du 28 septembre 2010 ne sauraient être regardées comme portant atteinte aux articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
Considérant, en quatrième lieu, que si l'association soutient que la procédure prévue par les dispositions législatives litigieuses ne garantit pas l'impartialité de l'autorité amenée à prendre la décision de suspension des allocations familiales, l'existence invoquée des responsabilités de l'inspecteur d'académie et du directeur d'établissement dans la scolarité de l'enfant n'est pas de nature à remettre en cause cette impartialité ; qu'ainsi, en tout état de cause, la requérante ne saurait soutenir que les dispositions litigieuses de la loi du 28 septembre 2010 méconnaissent l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
Considérant, enfin, que la méconnaissance des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être utilement invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que la loi du 28 septembre 2010 porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'ASSOCIATION JUSTICE POUR TOUTES LES FAMILLES.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION JUSTICE POUR TOUTES LES FAMILLES, au Premier ministre, au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative et au ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.