Vu l'ordonnance n° 1001324 du 2 février 2011, enregistrée le 7 février 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la 3ème chambre du tribunal administratif d'Amiens, avant qu'il soit statué sur la demande du DEPARTEMENT DE LA SOMME tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite du Premier ministre rejetant sa demande d'indemnisation du fait de la sous-compensation par l'Etat de certains transferts, créations et extensions de compétence, d'autre part, au versement d'une somme de 36,33 millions d'euros pour les années 2002 et 2008 au titre des charges nettes exposées par le département en matière d'allocation personnalisée d'autonomie, d'allocation de revenu minimum d'insertion et pour la prise en charge des techniciens et ouvriers de services et, enfin au versement d'une somme de 900 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du retard de l'Etat à prendre les mesures d'application de la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l'enfance, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 232-21 du code de l'action sociale et des familles issu de l'article 1er de la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001, de l'article 4 de la loi n° 2003-1200 du 18 décembre 2003, de l'article 59 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, de l'article 12 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, de l'article 2 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, de l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles, de l'article 7 de la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008, de l'article 51 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008, et de l'article 135 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 ;
Vu le mémoire, enregistré le 10 décembre 2010 au greffe du tribunal administratif d'Amiens, présenté pour le DEPARTEMENT DE LA SOMME, représenté par le président du conseil général, domicilié Hôtel du département, 53, rue de la République à Amiens (80026), en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 61-1 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu le code de l'action sociale et des familles, notamment ses articles L. 14-10-6 et L. 262-24 ;
Vu la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001, notamment son article 1er ;
Vu la loi n° 2003-1200 du 18 décembre 2003, notamment son article 4 ;
Vu la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, notamment son article 59 ;
Vu la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004, notamment son article 12 ;
Vu la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, notamment son article 2 ;
Vu la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008, notamment ses articles 3 et 7 ;
Vu la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008, notamment son article 51 ;
Vu la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009, notamment son article 135 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2001-447 DC du 18 juillet 2001 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2003-1200 DC du 18 décembre 2003 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2003-489 DC du 29 décembre 2003 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean Lessi, Auditeur,
- les observations de la SCP Boutet, avocat du DEPARTEMENT DE LA SOMME,
- les conclusions de Mme Claire Landais, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boutet, avocat du DEPARTEMENT DE LA SOMME ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
Sur les dispositions relatives aux allocations de revenu minimum d'insertion et de revenu de solidarité active :
Considérant que l'article 4 de la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité prévoit la compensation par l'Etat du transfert de l'allocation de revenu minimum d'insertion aux départements, ainsi que des charges supplémentaires induites par la création du revenu minimum d'activité et la réforme alors envisagée de l'allocation spécifique de solidarité, au moyen de l'attribution de ressources constituées d'une partie du produit d'un impôt perçu par l'Etat, dans les conditions fixées par loi de finances ; que l'article 59 de la loi du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 dispose que, s'agissant de la compensation du transfert de l'allocation de revenu minimum d'insertion, ces ressources sont composées d'une part du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers et sont équivalentes au montant des dépenses exécutées par l'Etat en 2003 au titre de l'allocation de revenu minimum d'insertion et de l'allocation de revenu de solidarité prévue à l'article L. 522-14 du code de l'action sociale et des familles alors en vigueur ; que ce même article précise les modalités selon lesquelles doit être arrêté le montant définitif de la compensation versée par l'Etat au double titre, d'une part, du transfert aux départements de la charge de l'allocation de revenu minimum d'insertion et, d'autre part, de la contribution au financement des charges supplémentaires induites par la création du revenu minimum d'activité et la réforme alors envisagée de l'allocation spécifique de solidarité ; que l'article 2 de la loi du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 arrête le montant définitif de la compensation versée par l'Etat aux départements à ces deux titres ; que l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles issu de l'article 3 de la loi du 1er décembre 2008 prévoit, d'une part, que les départements continuent à assumer la charge du financement de la part de l'allocation de revenu de solidarité active correspondant à l'ancienne allocation de revenu minimum d'insertion, tandis que le surplus est pris en charge par le fonds national des solidarités actives ; que l'article 7 de la même loi détermine notamment les modalités de compensation des charges supplémentaires induites, pour les départements, par l'intégration des bénéficiaires de l'allocation parent isolé dans le champ de la prestation de revenu de solidarité active et prévoit que la compensation de la part de l'allocation de revenu de solidarité active correspondant à l'ancienne allocation de revenu minimum d'insertion reste assurée dans les conditions prévues par l'article 4 de la loi du 18 décembre 2003 ; que l'article 51 de la loi du 27 décembre 2008 arrête à titre provisoire, dans les conditions prévues à l'article 7 de la loi du 1er décembre 2008, le montant de la compensation due aux départements pour l'année 2009 à raison de l'intégration des bénéficiaires de l'allocation parent isolé dans le champ de la prestation de revenu de solidarité active ; que l'article 135 de la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 ouvre, dans certains conditions, le bénéfice du revenu de solidarité active aux personnes âgées de dix-huit à vingt-cinq ans ;
Considérant, en premier lieu, que le Conseil constitutionnel, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, a déclaré l'article 135 de la loi du 30 décembre 2009 conforme à la Constitution ; qu'aucun changement dans les circonstances de fait ou de droit n'en justifie le réexamen ;
Considérant, en deuxième lieu, d'une part, que les autres dispositions législatives contestées sont, au sens et pour l'application de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, applicables au litige dont est saisi le tribunal administratif d'Amiens, relatif au refus du Premier ministre d'indemniser le DEPARTEMENT DE LA SOMME pour le préjudice qu'il estime avoir subi en raison de l'insuffisante compensation par l'Etat des dépenses exposées par lui entre 2002 et 2008 au titre, notamment, des allocations de revenu minimum d'insertion et de revenu de solidarité active ;
Considérant, d'autre part, que les dispositions de l'article 2 de la loi du 30 décembre 2005, des articles 3 et 7 de la loi du 1er décembre 2008 et de l'article 51 de la loi du 27 décembre 2008, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que si le Conseil constitutionnel, dans les motifs et le dispositif de ses deux décisions n° 2003-487 DC du 18 décembre 2003 et n° 2003-489 DC du 29 décembre 2003, a déclaré respectivement l'article 4 de la loi du 18 décembre 2003 et l'article 59 de la loi du 30 décembre 2003 conformes à la Constitution, l'évolution défavorable des charges exposées par les départements au titre de l'allocation de revenu minimum d'insertion depuis la date de ce transfert, amplifiée par une dynamique moindre des ressources disponibles pour en assurer le financement, revêt le caractère d'un changement dans les circonstances de fait de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel ;
Considérant, enfin, que les moyens tirés de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment, d'une part, de ce que l'article 4 de la loi du 18 décembre 2003, l'article 59 de la loi du 30 décembre 2003 et l'article 2 de la loi du 30 décembre 2005 méconnaissent désormais le principe de libre administration des collectivités territoriales énoncé à l'article 72 de la Constitution et que vise également à garantir le quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution et, d'autre part, de ce que les articles 3 et 7 de la loi du 1er décembre 2008 ainsi que l'article 51 de la loi du 27 décembre 2008 ne comportent pas de garanties suffisantes permettant de prévenir toute dénaturation du principe de libre administration et seraient ainsi, compte tenu, en outre, de la situation différenciée des départements au regard de l'évolution des charges liées à l'exercice de leur compétence en matière d'allocation de revenu minimum d'insertion et de revenu de solidarité active, contraires au principe énoncé à l'article 72-2 de la Constitution, soulèvent une question nouvelle ;
Sur les dispositions relatives à l'allocation personnalisée d'autonomie :
Considérant, en premier lieu, que le Conseil constitutionnel, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2001-447-DC du 18 juillet 2001, a déclaré l'article 1er de la loi du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie, qui porte notamment sur la fixation du concours versé aux départements par le Fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie au titre des charges exposées par eux au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie, conforme à la Constitution ; que le département de la Somme ne peut utilement soutenir que l'introduction dans la Constitution de l'article 72-2 par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, en ce que cet article énonce à son quatrième alinéa le principe selon lequel toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi, serait constitutive d'un changement dans les circonstances de droit justifiant un réexamen de la disposition législative contestée, dès lors que ces nouvelles dispositions constitutionnelles, eu égard à leur objet, ne sont applicables qu'aux lois postérieures à leur date d'entrée en vigueur ; que, de même, aucun changement dans les circonstances de fait intervenu entre cette décision et l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions issues de la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées applicables à la compensation des charges exposées par les départements au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie, qui ont substitué de nouvelles modalités de compensation à celles qui résultaient des dispositions de la loi du 20 juillet 2001, n'est de nature à justifier que la conformité à la Constitution de ces dernières dispositions, en particulier au principe de libre administration des collectivités territoriales énoncé à son article 72, soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel ;
Considérant, en deuxième lieu, que le II de l'article 12 de la loi du 30 juin 2004 prévoit que le concours prévu à l'article 11 de cette loi, destiné à la prise en charge par la Caisse nationale de solidarité d'une partie du coût de l'allocation personnalisée d'autonomie, est réparti entre les différents départements en fonction de quatre critères, nombre de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans, montant des dépenses d'allocation personnalisée d'autonomie, potentiel fiscal, nombre de bénéficiaires du revenu minimum d'insertion, pondérés dans des conditions fixées par voie réglementaire ; qu'il précise, en outre, que " le rapport entre, d'une part, les dépenses réalisées au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie de chaque département après déduction du montant ainsi réparti et, d'autre part, leur potentiel fiscal ne peut être supérieur à un taux fixé par voie réglementaire ", le surplus des dépenses étant alors intégralement pris en charge par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie ; que les sommes consacrées à la prise en charge de ce surplus viennent en déduction des concours alloués aux départements dont les dépenses restent inférieures à ce même seuil ; que ces dispositions ont été codifiées à l'article L. 14-10-6 du code de l'action sociale et des familles par l'article 55 de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances ;
Considérant, d'une part, que ces dispositions sont, au sens et pour l'application de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, applicables au litige dont est saisi le tribunal administratif d'Amiens ;
Considérant, d'autre part, que ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;
Considérant, enfin, que le département de la Somme soutient notamment, d'une part, que l'ensemble de ces dispositions ne comportaient pas initialement de garanties suffisantes permettant de prévenir toute entrave à l'exercice de la libre administration de nombre de départements et, d'autre part, qu'en raison de l'évolution défavorable des charges exposées par eux au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie, amplifiée par une dynamique moindre des ressources disponibles pour en assurer le financement, et compte tenu, en outre, de la situation différenciée des départements au regard de l'évolution de ces charges, elles ne seraient désormais plus de nature à garantir l'absence d'entrave à leur libre administration ; qu'elles méconnaitraient, par suite, le principe énoncé à l'article 72 de la Constitution ; que ce moyen soulève une question nouvelle qui présente, en outre, un caractère sérieux ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée par le DEPARTEMENT DE LA SOMME en tant qu'elle porte sur l'article L. 232-21 du code de l'action sociale et des familles issu de l'article 1er de la loi du 20 juillet 2001 et sur l'article 135 de la loi du 30 décembre 2009 ; qu'en revanche, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée en tant qu'elle porte, d'une part, sur l'article 4 de la loi du 18 décembre 2003, l'article 59 de la loi du 30 décembre 2003, l'article 2 de la loi du 30 décembre 2005, l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles issu de l'article 3 de la loi du 1er décembre 2008, l'article 7 de cette même loi, l'article 51 de la loi du 27 décembre 2008 et, d'autre part, sur les dispositions de l'article 12 de la loi du 30 juin 2004, reprises à l'article L. 14-10-6 du code de l'action sociale et des familles ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif d'Amiens en tant qu'elle porte sur l'article L. 232-21 du code de l'action sociale et des familles issu de l'article 1er de la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 et sur l'article 135 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009.
Article 2 : La question de la conformité à la Constitution de l'article 4 de la loi n° 2003-1200 du 18 décembre 2003, de l'article 59 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, de l'article 2 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, de l'article L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles issu de l'article 3 de la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008, de l'article 7 de cette même loi et de l'article 51 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008, ainsi que des dispositions de l'article 12 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004, reprises à L. 14-10-6 du code de l'action sociale et des familles, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DE LA SOMME, à la ministre des solidarités et de la cohésion sociale, au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, au ministre du travail, de l'emploi et de la santé et au Premier ministre.
Copie en sera adressée au tribunal administratif d'Amiens.