Vu la requête, enregistrée le 2 mars 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE (ENS) représentée par son représentant légal, sise 45, rue d'Ulm à Paris (75005) ; l'ENS demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 11002849 du 26 février 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a suspendu les effets de la décision du 21 février 2011 de la directrice de l'ENS, a enjoint à la directrice de l'ENS de réexaminer la demande de salle présentée par M. C, M. B, M. A, Mme D et Mme E dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'ordonnance, et a rejeté les conclusions de l'ENS présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la requête présentée par M. C et autres ;
3°) de mettre à la charge de M. C et autres le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite ; qu'il n'existe pas d'atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de réunion dès lors que la décision de la directrice n'interdit pas la manifestation envisagée et que les organisateurs ont toujours la possibilité de les organiser dans d'autres lieux, plus adaptés à la tenue d'une réunion politique publique ; que la manifestation qu'il est projeté d'organiser au sein de l'ENS risque, dans le contexte actuel de tensions, de générer des troubles à l'ordre public ;
Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 3 mars 2011, présenté par M. C et autres ; ils soutiennent que la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la réunion s'inscrit dans le cadre d'une action internationale organisée les 8, 9 et 10 mars ; qu'il existe une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales de réunion et d'expression ; que les réunions planifiées ne portent pas atteinte aux activités d'enseignement et ne sont pas de nature à troubler l'ordre public ; que le maintien de l'ordre peut être assuré par des mesures de police ; que les risques liés aux réunions sont limités si celles-ci sont organisées dans le cadre de la seule communauté normalienne ; qu'il existe une obligation positive à la charge de l'Etat, garant de l'ordre public, de permettre l'expression en réunion des opinions minoritaires ;
Vu enregistrées le 3 mars 2011, les observations, présentées par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 3 mars 2011 présenté par M. C et autres ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'éducation ;
Vu le décret n° 87-695 du 26 août 1987 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE et, d'autre part, M. Bernard C, M. Nicolas B, M. Baptiste A, Mme Narimane D et Mme Lila E, ainsi que la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
Vu le procès-verbal de l'audience du 4 mars 2011 à 11 h 30, au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE ;
- les représentants de l'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE ;
- Me Boulloche, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. C, M. B, M. Dericqebourg, Mme D et Mme E ;
- Mme E ;
- le représentant de M. C, M. B, M. Dericqebourg, Mme D et Mme E ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) " ; qu'au sens de ces dispositions, les libertés d'expression et de réunion des usagers du service public de l'enseignement supérieur constituent des libertés fondamentales ;
Considérant qu'aux termes du décret du 26 août 1987 relatif à l'École normale supérieure : " L'École normale supérieure constitue un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel. Son siège est à Paris. Elle est soumise aux dispositions de la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur et aux textes pris pour son application sous réserve des dérogations prévues au présent décret. " ; qu'aux termes de l'article L. 141-6 du code de l'éducation, issu de la loi du 26 janvier 1984 : " le service public de l'enseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions ... " ; qu'aux termes de l'article L. 811-1 du même code : " les usagers du service public de l'enseignement supérieur disposent de la liberté d'information et d'expression à l'égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d'enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l'ordre public. / Des locaux sont mis à leur disposition. Les conditions d'utilisation de ces locaux sont définies, après consultation du conseil des études et de la vie universitaire, par le président ou le directeur de l'établissement et contrôlées par lui " ; qu'enfin aux termes de l'article 18 du règlement intérieur de l'École normale supérieure, " lorsque des usagers, hors du cadre des fonctions de l'École, souhaitent inviter dans les locaux de l'École des personnes extérieures, sans lien avec l'activité de l'École, à l'occasion notamment, d'une réunion ou d'une manifestation, l'accord préalable de la direction doit être demandé au moins une semaine avant la date d'une réunion se déroulant dans des conditions d'usage normal des locaux " ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE, comme tout établissement d'enseignement supérieur, doit veiller à la fois à l'exercice des libertés d'expression et de réunion des usagers du service public de l'enseignement supérieur et au maintien de l'ordre dans les locaux comme à l'indépendance intellectuelle et scientifique de l'établissement, dans une perspective d'expression du pluralisme des opinions ;
Considérant que par l'ordonnance attaquée du 26 février 2011 dont l'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE fait appel, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, après avoir estimé que la condition d'urgence était satisfaite, a jugé que le refus de la directrice de l'Ecole de mettre à disposition du " collectif Palestine ENS " une salle de réunion les 8, 9 et 10 mars 2011 portait, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion, a suspendu les effets de cette décision et enjoint à l'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE de réexaminer la demande de salle dans un délai de trois jours à compter de la notification de son ordonnance ;
Considérant que, si les élèves de l'ENS ont droit à la liberté d'expression et de réunion dans l'enceinte de l'École, cette liberté ne saurait permettre des manifestations qui, par leur nature, iraient au-delà de la mission de l'école, perturberaient le déroulement des activités d'enseignement et de recherche, troubleraient le fonctionnement normal du service public ou risqueraient de porter atteinte à l'ordre public ; qu'il incombait à la directrice de l'ENS, en vue de donner ou de refuser son " accord préalable " à la mise à disposition d'une salle, de prendre toutes mesures nécessaires pour à la fois veiller au respect des libertés dans l'établissement, assurer l'indépendance de l'école de toute emprise politique ou idéologique et maintenir l'ordre dans ses locaux, aux fins de concilier l'exercice de ces pouvoirs avec le respect des principes rappelés ci-dessus ;
Considérant qu'en l'espèce, la salle est demandée en vue de tenir une série de réunions publiques, même si au cours de l'audience les organisateurs ont proposé de réserver les réunions aux " membres de la communauté normalienne ", destinées à se faire l'écho de la campagne internationale " Israeli Apartheid Week " qui se déroulera au même moment dans plusieurs pays ; qu'en refusant la mise à disposition d'une salle en vue de l'accueil de telles manifestations, pour ne pas associer dans l'opinion publique son établissement à une campagne politique internationale en faveur du boycott des échanges scientifiques et économiques avec un État, la directrice de l'École normale supérieure, qui a pris en compte à la fois la liberté de réunion et la prévention des risques de troubles à l'ordre public et de contre-manifestations, n'a pas, en l'état de l'instruction, porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion des élèves alors que les débats de ladite campagne internationale pouvaient se tenir dans tout autre lieu ayant vocation à accueillir ce type de réunion et que l'École avait proposé une solution alternative sous forme de l'organisation dans ses locaux d'une journée d'études avec débat public et contradictoire sur le Proche Orient ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris s'est fondé sur le motif que le refus de mise à disposition d'une salle portait, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion dans une institution vouée à la réflexion ; que l'école est par suite fondée à en demander l'annulation ainsi que le rejet de la demande des intéressés ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de M. C, M. B, M. A, Mme D et Mme E la somme que demande l'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE ;
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance en date du 26 février 2011 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. C, M. B, M. A, Mme D et Mme E devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de l'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à l'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE, à M. Bernard C, M. Nicolas B, M. Baptiste A, Mme Narimane D, à Mme Lila E et à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.