Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 septembre et 23 décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE, dont le siège est au 15 esplanade Brillaud de Laujardière à Caen Cedex 4 (14050) ; la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 07VE02366 du 7 juillet 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement du 2 mai 2007 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant ses demandes tendant à la restitution des cotisations minimales de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2003 pour un montant de 113 722 euros et, d'autre part, à la décharge de cette imposition ;
2°) réglant l'affaire au fond, de prononcer le dégrèvement partiel des cotisations minimum de taxe professionnelle à concurrence de l'exclusion du calcul de la valeur ajoutée, d'une part, des produits sur titres de placement et d'investissement liés à la gestion de ses fonds propres pour les impositions dues au titre de 2003 et, d'autre part, des intérêts sur créances douteuses s'agissant de l'année 2003 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu la loi n° 80-10 du 10 janvier 1980 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Marc Sanson, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Defrenois, Levis, avocat de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE,
- les conclusions de M. Pierre Collin, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Defrenois, Levis, avocat de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE ;
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
Considérant que la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE soutient que les dispositions de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, qui aboutissent à traiter différemment, au regard du calcul de la cotisation minimale de taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée, les produits issus de la gestion des fonds propres des établissements de crédit et les titres de portefeuille de la généralité des entreprises, sans que cette différence de traitement soit en rapport avec les objectifs de la loi, méconnaissent le principe constitutionnel d'égalité ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1447 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'imposition en litige : I. La taxe professionnelle est due chaque année par les personnes physiques ou morales qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée (...) ; qu'aux termes de l'article 1647 E du même code, alors en vigueur : I. La cotisation de taxe professionnelle des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 7 600 000 euros est au moins égale à 1,5 % de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie au II de l'article 1647 B sexies (...) ; qu'enfin, aux termes de l'article 1647 B sexies du même code, dans sa rédaction applicable à l'imposition en litige : (...) II. 1. La valeur ajoutée (...) est égale à l'excédent hors taxe de la production sur les consommations de biens et services en provenance de tiers (...). / Pour la généralité des entreprises, la production de l'exercice est égale à la différence entre : / D'une part, les ventes, les travaux, les prestations de services ou les recettes ; les produits accessoires ; les subventions d'exploitation ; les ristournes, rabais et remises obtenus ; les travaux faits par l'entreprise pour elle-même ; les stocks à la fin de l'exercice ; / Et, d'autre part, les achats de matières et marchandises, droits de douane compris ; les réductions sur ventes ; les stocks au début de l'exercice. / Les consommations de biens et services en provenance de tiers comprennent : les travaux, fournitures et services extérieurs, à l'exception des loyers afférents aux biens pris en crédit-bail, ou des loyers afférents à des biens, visés au a du 1° de l'article 1467, pris en location par un assujetti à la taxe professionnelle pour une durée de plus de six mois ou des redevances afférentes à ces biens résultant d'une convention de location-gérance, les frais de transports et déplacements, les frais divers de gestion (...) / 3. La production des établissements de crédit, des entreprises ayant pour activité exclusive la gestion des valeurs mobilières est égale à la différence entre : / D'une part, les produits d'exploitation bancaires et produits accessoires ; / Et, d'autre part, les charges d'exploitation bancaires (...) ; qu'il résulte des dispositions qui précèdent que, si pour la généralité des redevables de la taxe professionnelle, il n'y a pas lieu de prendre en compte, pour la détermination de la valeur ajoutée, les produits et charges liés à la gestion des titres de participation, ces derniers doivent être inclus dans le calcul de la valeur ajoutée des établissements de crédit mentionnés au 3 du II de l'article 1647 B sexies du code général des impôts en tant qu'ils contribuent au produit net bancaire de ces établissements ; qu'en instituant ce régime particulier de détermination de la valeur ajoutée par la loi du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale, le législateur a entendu assurer, pour cette dernière catégorie de contribuables, une imposition à la taxe professionnelle qui soit en rapport avec la capacité contributive de redevables pour lesquels les titres de participation détenus peuvent être pris en compte au titre des fonds propres pour la détermination du respect des obligations prudentielles qui leur incombent et contribuent ainsi au produit net bancaire ; qu'eu égard à cette spécificité dans le mode d'exercice de leur activité, les établissements de crédit se trouvent dans une situation différente de la généralité des assujettis à la taxe professionnelle au regard de l'objet de la loi, justifiant la différence de traitement que celle-ci avait instituée, qui n'est pas de nature à créer une rupture caractérisée de l'égalité entre contribuables ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article 1647 B sexies du code général des impôts porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;
Sur les autres moyens du pourvoi :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ;
Considérant que, pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE soutient qu'en jugeant que les revenus des titres de portefeuille relevaient de l'activité ordinaire d'un établissement de crédit alors même qu'ils étaient réalisés à partir des fonds propres de la Caisse et non à partir des fonds collectés auprès des clients pour en déduire que ces revenus ont été régulièrement pris en compte par l'administration fiscale pour la détermination de la production de l'exercice en application des dispositions du 3. du II de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, la cour administrative d'appel de Versailles a méconnu la portée de ces dispositions ; qu'elle a également méconnu la portée des articles L. 512-42 et L. 512-45, R. 511-12 et R. 512-12 du code monétaire et financier ; qu'en jugeant que l'administration était fondée à inclure dans le calcul de la valeur ajoutée les produits de l'emploi des fonds propres, sans prendre en compte parallèlement le coût de la gestion desdits fonds propres, la cour a méconnu la portée des dispositions de l'article 1647 B sexies du code général des impôts ; qu'en jugeant que la différence de traitement entre la généralité des entreprises et les établissements de crédit au regard du calcul de la valeur ajoutée pour l'application de la cotisation minimum de taxe professionnelle est fondée sur un critère objectif et rationnel en rapport avec les buts de la loi et n'est, par suite, pas incompatible avec les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit et de qualification juridique des faits ; qu'en jugeant que les établissements de crédit se trouvaient dans une situation objectivement différente de celle des autres entreprises pour lesquelles les dispositions de l'article 1647 B sexies n'ont pas prévu de base de calcul spécifique, la cour a insuffisamment motivé son arrêt ; que la cour n'a pas répondu à son moyen tiré de ce que les mentions de l'instruction 4 B-2-04 du 30 juillet 2004 relatives aux règles de comptabilisation des créances douteuses au regard de l'article 38-2 du code général des impôts méconnaissaient les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ; qu'en jugeant que l'absence de prise de position de la part de l'administration sur la contradiction entre le droit comptable et le droit fiscal pour la détermination des cotisations minimales de taxe professionnelle n'a pas eu pour effet de créer une rupture d'égalité entre les établissements bancaires qui se trouvaient face à la même situation que la caisse requérante, la cour a commis une erreur de droit ;
Considérant qu'aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de saisir le Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE.
Article 2 : Le pourvoi de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE.
Une copie sera adressée pour information au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.