Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juillet et 28 octobre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le SYNDICAT NATIONAL DES TECHNICIENS ET TRAVAILLEURS DE LA PRODUCTION CINEMATOGRAPHIQUE ET DE TELEVISION, dont le siège est 10, rue de Trétaigne à Paris (75018) ; le SYNDICAT NATIONAL DES TECHNICIENS ET TRAVAILLEURS DE LA PRODUCTION CINEMATOGRAPHIQUE ET DE TELEVISION demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité du 21 mai 2008, portant extension d'un avenant du 15 novembre 2007 à la convention collective nationale de la production audiovisuelle ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alain Boulanger, chargé des fonctions de Maître des requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du SYNDICAT NATIONAL DES TECHNICIENS ET TRAVAILLEURS DE LA PRODUCTION CINÉMATOGRAPHIQUE ET DE TELEVISION et de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la Fédération Communication Conseil Culture CFDT,
- les conclusions de Mlle Anne Courrèges, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du SYNDICAT NATIONAL DES TECHNICIENS ET TRAVAILLEURS DE LA PRODUCTION CINÉMATOGRAPHIQUE ET DE TELEVISION et à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la Fédération Communication Conseil Culture CFDT ;
Sur les interventions :
Considérant que la Fédération Communication, Conseil, Culture CFDT et l'Union syndicale de la production audiovisuelle, signataires de l'accord étendu par l'arrêté attaqué, ont ainsi intérêt au maintien de cet arrêté ; que leur intervention est recevable ;
Sur la légalité externe :
Considérant qu'il résulte des dispositions du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement que la sous-directrice des relations individuelles et collectives du travail, dont l'acte de nomination a été publié au Journal officiel de la République française le 16 mars 2006, avait de ce fait qualité pour signer l'acte attaqué au nom du ministre chargé du travail ; que le moyen d'incompétence soulevé par le syndicat requérant doit, par suite, être écarté ;
Sur la légalité interne :
Considérant que l'arrêté du 21 mai 2008, dont le SYNDICAT NATIONAL DES TECHNICIENS ET TRAVAILLEURS DE LA PRODUCTION CINEMATOGRAPHIQUE ET DE TELEVISION demande l'annulation, procède à l'extension de stipulations relatives aux salaires minimaux applicables aux techniciens de la production audiovisuelle fixées par un accord collectif du 15 novembre 2007 ; que si, par une décision du 13 juillet 2007, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a partiellement annulé un arrêté du 13 novembre 2000 qui procédait à l'extension d'un accord du 12 avril 2000 portant également sur les salaires minimaux applicables aux techniciens de la production audiovisuelle, il ressort clairement des pièces du dossier que les stipulations de l'accord collectif du 15 novembre 2007 sont distinctes de celles de l'accord du 12 avril 2000 ; que le SYNDICAT NATIONAL DES TECHNICIENS ET TRAVAILLEURS DE LA PRODUCTION CINEMATOGRAPHIQUE ET DE TELEVISION n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaîtrait l'autorité absolue de la chose jugée par le Conseil d'Etat dans sa décision du 13 juillet 2007 ;
Considérant que le syndicat requérant fait valoir qu'en réservant aux productions dites de fiction lourde le recours à certains emplois, qualifiés de spécialisés , dont la rémunération minimale est supérieure à celle applicable à des emplois similaires mais non qualifiés de spécialisé , l'avenant du 15 novembre 2007 introduirait une différence de traitement entre les salariés concernés fondée sur un élément sans lien avec la durée ou la valeur du travail de ces salariés, ni avec leur qualification ; que les stipulations de cet avenant méconnaîtraient ainsi le principe d'égalité et plus précisément le principe à travail égal, salaire égal rappelé par le 10° de l'article L. 2261-22 et le 8° de l'article L. 2271-1 du code du travail ; que cette question, en tant notamment que la distinction entre les fictions lourdes et les autres productions audiovisuelles repose, aux termes de l'avenant litigieux, sur un seuil de dépenses calculé par référence aux dépenses éligibles au crédit d'impôt individuel, soulève une difficulté sérieuse ;
Considérant, il est vrai, que l'arrêté litigieux ne procède à l'extension de la grille de salaires introduite par l'accord collectif du 15 novembre 2007 que sous la réserve que la différence entre salariés ayant la même qualification et accomplissant les mêmes tâches se fonde sur des critères objectifs et vérifiables en relation directe avec la valeur du travail effectué et ne contrevienne pas au principe à travail égal salaire égal ; que, toutefois, une telle réserve n'est, en tout état de cause, pas de nature à garantir l'application du principe qu'elle énonce, notamment à l'égard de salariés relevant d'employeurs différents ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la réponse à la question de la licéité des stipulations de l'accord collectif du 15 novembre 2007 qui introduisent, pour les emplois de techniciens de la production audiovisuelle de catégorie B, l'obligation de recourir à des emplois spécialisés pour les fictions lourdes définies par référence à un certain niveau de dépenses éligibles au crédit d'impôt audiovisuel, est déterminante pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat ; qu'ainsi qu'il a été dit, elle présente une difficulté sérieuse ; que lorsqu'une contestation sérieuse s'élève sur la validité ou l'interprétation d'un accord collectif, la juridiction administrative, compétemment saisie d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'arrêté ministériel d'extension est, eu égard au caractère de contrat de droit privé que présente l'accord, tenue de renvoyer à l'autorité judiciaire l'examen de cette question préjudicielle ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'Etat, de surseoir à statuer sur la requête dirigée contre l'arrêté du 21 mai 2008 jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur cette question ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de la Fédération Communication, Conseil, Culture CFDT et de l'Union syndicale de la production audiovisuelle sont admises.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête du SYNDICAT NATIONAL DES TECHNICIENS ET TRAVAILLEURS DE LA PRODUCTION CINEMATOGRAPHIQUE ET DE TELEVISION dirigée contre l'arrêté du 21 mai 2008 portant extension de l'accord du 15 novembre 2007 jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question de la licéité des stipulations de l'accord collectif du 15 novembre 2007 qui introduisent, pour les emplois de techniciens de la production audiovisuelle de catégorie B, l'obligation de recourir à des emplois spécialisés pour les fictions lourdes définies par référence à un certain niveau de dépenses éligibles au crédit d'impôt audiovisuel.
Article 3 : Le SYNDICAT NATIONAL DES TECHNICIENS ET TRAVAILLEURS DE LA PRODUCTION CINEMATOGRAPHIQUE ET DE TELEVISION devra justifier, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, de sa diligence à saisir de cette question la juridiction compétente.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT NATIONAL DES TECHNICIENS ET TRAVAILLEURS DE LA PRODUCTION CINEMATOGRAPHIQUE ET DE TELEVISION et au ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.
Copie en sera adressée pour information à l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA), au Syndicat des producteurs et créateurs d'émissions de télévision (SPECT), à la Fédération Communication Conseil Culture CFDT (F3C CFDT), au Syndicat national des techniciens et réalisateurs CGT (SNTR CGT), au Syndicat général des travailleurs de l'industrie du film CGT (SGTIF CGT), à l'Association française des producteurs de films et de programmes audiovisuels (AFPF) et à la Fédération Médias 2000 - CFE - CGC.