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10/04/2009 | FRANCE | N°304803

France | France, Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 10 avril 2009, 304803


Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 avril et 16 juillet 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE BATZ-SUR-MER, représentée par son maire ; la COMMUNE DE BATZ-SUR-MER demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 14 novembre 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté sa requête tendant d'une part, à l'annulation du jugement du 29 juillet 2004 du tribunal administratif de Nantes annulant l'arrêté du 18 février 2000 par lequel le maire de Batz-sur-Mer a mis en demeure la sociÃ

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Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 avril et 16 juillet 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE BATZ-SUR-MER, représentée par son maire ; la COMMUNE DE BATZ-SUR-MER demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 14 novembre 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté sa requête tendant d'une part, à l'annulation du jugement du 29 juillet 2004 du tribunal administratif de Nantes annulant l'arrêté du 18 février 2000 par lequel le maire de Batz-sur-Mer a mis en demeure la société Total Raffinage Distribution, le société Total International Limited, et en tant que de besoin, la société Totalfina, d'éliminer ou de faire éliminer la totalité des déchets provenant des cuves du pétrolier "Erika", d'autre part, au rejet de la demande présentée par la société Total Raffinage Distribution devant le tribunal administratif de Nantes;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les requêtes des sociétés Total Raffinage Distribution, Total International Limited et Totalfina

3°) de mettre solidairement, à la charge des sociétés Total Raffinage Distribution, Total International Limited et Totalfina, le versement de la somme de 6000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975 relative aux déchets ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Dominique Guihal chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la COMMUNE DE BATZ SUR MER et de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Total SA et autres,

- les conclusions de Mme Isabelle de Silva, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la COMMUNE DE BATZ SUR MER et à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Total SA et autres ;

Considérant que la société Total Raffinage Distribution, devenue Total France, puis Total Raffinage Marketing, a vendu du fioul lourd à la société Total International Limited, laquelle en a cédé 30.000 tonnes à la société italienne Enel et fait affréter le pétrolier Erika pour assurer le transport de cette marchandise ; que le navire a fait naufrage le 12 décembre 1999 au large des côtes bretonnes ; qu'une partie importante de la cargaison s'est répandue à la mer et a provoqué une pollution du littoral atlantique du Finistère à la Vendée ; que par un arrêté du 18 février 2000, le maire de Batz-sur-mer (Loire-Atlantique) a, sur le fondement des articles 2 et 3 de la loi du 15 juillet 1975, mis en demeure la société Total raffinage distribution, la société Total International Limited, ainsi que la société Totalfina, holding des précédentes, d'éliminer ou de faire éliminer les déchets provenant des cuves de l'Erika et de procéder à la remise en état des lieux ; que le tribunal administratif de Nantes a fait droit aux conclusions aux fins d'annulation de cet arrêté présentées par la société Total Raffinage Distribution ; que la requête formée contre ce jugement par la COMMUNE DE BATZ-SUR-MER a été rejetée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 14 novembre 2006 contre lequel la commune a formé un pourvoi ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la directive du 15 juillet 1975 relative aux déchets : "Aux fins de la présente directive, on entend par :/ (...) b) producteur : toute personne dont l'activité a produit des déchets ('producteur initial') et/ou toute personne qui a effectué des opérations de prétraitement, de mélange ou autres conduisant à un changement de nature ou de composition de ces déchets;/ c) détenteur : le producteur des déchets ou la personne physique ou morale qui a les déchets en sa possession"; qu'aux termes de l'article 8 de cette directive : "Les Etats membres prennent les dispositions nécessaires pour que tout détenteur de déchets :/ - les remette à un ramasseur privé ou public ou à une entreprise qui effectue les opérations visées aux annexes II A ou II B ou/ - en assure lui-même la valorisation ou l'élimination en se conformant aux dispositions de la présente directive"; que suivant l'article 15 de la même directive : "Conformément au principe du pollueur-payeur, le coût de l'élimination des déchets doit être supporté par :/ - le détenteur qui remet des déchets à un ramasseur ou à une entreprise visée à l'article 9/ et/ou - les détenteurs antérieurs ou le producteur du produit générateur de déchets"; qu'il découle de l'interprétation de ces dispositions par l'arrêt C-188/07 du 24 juin 2008 de la Cour de justice des communautés européennes que les hydrocarbures accidentellement déversés en mer à la suite d'un naufrage, mélangés à l'eau et aux sédiments et dérivant jusqu'au littoral, constituent des déchets dont le détenteur est le propriétaire du navire qui était, en fait, en possession des hydrocarbures immédiatement avant qu'ils ne deviennent des déchets et qui peut donc, pour cette raison, être considéré comme les ayant produits, que le vendeur des hydrocarbures et affréteur du navire les transportant peut être regardé comme producteur des déchets, au sens de l'article 1er, sous b), de la directive 75/442 et, ce faisant, comme un "détenteur antérieur" tenu de supporter le coût de l'élimination des déchets s'il a contribué au risque de survenance de la pollution, enfin qu'en vertu du principe du pollueur-payeur, le producteur du produit générateur de déchets, s'il a contribué à ce même risque, doit être tenu de supporter la partie des frais qui n'aurait pas été prise en charge soit par le propriétaire du navire et/ou par l'affréteur, soit par le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, mais qu'il ne saurait se voir imposer la réalisation matérielle des opérations de valorisation ou d'élimination ;

Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 15 juillet 1975, repris à l'article L 541-2 du code de l'environnement : "Toute personne qui produit ou détient des déchets, dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l'air et les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et d'une façon générale à porter atteinte à la santé de l'homme et à l'environnement, est tenue d'en assurer ou d'en faire assurer l'élimination conformément aux dispositions prévues par la présente loi, dans des conditions propres à éviter lesdits effets"; qu'aux termes de l'article 3 de la même loi, devenu l'article L 541-3 du code de l'environnement : "Au cas où les déchets sont abandonnés, déposés ou traités contrairement aux dispositions de la présente loi et des règlements pris pour leur application, l'autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d'office l'élimination desdits déchets aux frais du responsable" ;

Considérant que le responsable, au sens de ce dernier texte, tel qu'interprété à la lumière des dispositions précitées de la directive du 15 juillet 1975, s'entend des seuls détenteurs et producteurs des déchets ;

Considérant que la société Total Raffinage Distribution qui, au moment du naufrage, n'était ni possesseur, ni vendeur de la cargaison, ni propriétaire ou affréteur du navire qui la transportait, ne pouvait, en sa seule qualité de producteur du produit générateur des déchets, être tenue de procéder aux opérations matérielles de dépollution, peu important que son comportement ait ou non contribué à la survenance du sinistre ; que l'arrêt attaqué, qui retient que cette société n'était pas susceptible de faire l'objet de la mise en demeure contestée, au motif que le déversement du fioul n'était pas imputable à son comportement mais résultait d'un naufrage provoqué par une tempête est entaché d'erreur de droit et doit, dès lors, être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L 821-2 du code de justice administrative ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant que le jugement du tribunal administratif de Nantes doit être interprété comme ayant annulé l'arrêté contesté en ses seules dispositions qui font grief à la société Total raffinage distribution, c'est-à-dire, celles qui la mettent en demeure d'éliminer ou de faire éliminer les déchets provenant des soutes de l'Erika, répandus ou stockés sur le territoire de la commune, et de remettre les lieux en état ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, il résulte des articles 2 et 3 de la loi du 15 juillet 1975, transposant la directive du 15 juillet 1975 sur les déchets, telle qu'interprétée par l'arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 24 juin 2008, qu'il convient de distinguer la réalisation matérielle des opérations de valorisation ou d'élimination, qui sont à la charge des seuls détenteur et producteur des déchets, de la prise en charge financière de ces opérations, susceptible d'être imposée, conformément au principe du pollueur-payeur, non seulement au détenteur et au producteur, mais encore aux personnes qui, par leur comportement, sont à l'origine des déchets, qu'elles soient anciennes détentrices des déchets ou productrices du produit générateur des déchets ; qu'il s'en déduit que le producteur des produits générateurs des déchets, même s'il peut être tenu d'une obligation subsidiaire de prise en charge financière, ne saurait, en cette seule qualité, faire l'objet de la mise en demeure prévue par l'article 3 de la loi du 15 juillet 1975 ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, la société Total Raffinage Distribution, producteur du fioul, n'était ni le détenteur ni le producteur des déchets résultant du déversement de la cargaison ; que, dès lors, la COMMUNE DE BATZ-SUR-MER n'est pas fondée à se plaindre de ce que l'arrêté municipal du 18 février 2000 a été annulé par le tribunal administratif de Nantes en tant qu'il mettait cette société en demeure d'éliminer ou de faire éliminer les résidus d'hydrocarbures provenant des cuves de l'Erika ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, d'une part, que ces dispositions font obstacle à ce que la société Total Raffinage Distribution, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à verser à la COMMUNE DE BATZ-SUR-MER la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que, d'autre, part, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'accueillir la demande formée par la société Total Raffinage Distribution en application de ces mêmes dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 14 novembre 2006 est annulé.

Article 2 : La requête d'appel de la COMMUNE DE BATZ-SUR-MER est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la COMMUNE DE BATZ-SUR-MER et de la société Total Raffinage Marketing tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE BATZ-SUR-MER et à la société Total Raffinage Marketing.

Copie en sera adressée pour information au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.


Synthèse
Formation : 6ème et 1ère sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 304803
Date de la décision : 10/04/2009
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-05-07 NATURE ET ENVIRONNEMENT. AUTRES MESURES PROTECTRICES DE L'ENVIRONNEMENT. COLLECTE, TRAITEMENT ET ÉLIMINATION DES DÉCHETS. - DÉCHETS (ART. L. 541-2 ET L. 541-3 DU CODE DE L'ENVIRONNEMENT) - 1) QUALIFICATION - HYDROCARBURES DÉVERSÉS EN MER DÈS LORS QU'ILS SONT MÉLANGÉS À L'EAU ET AUX SÉDIMENTS ET DÉRIVENT JUSQU'AU LITTORAL [RJ1] - 2) OPÉRATIONS DE VALORISATION OU D'ÉLIMINATION - A) RÉALISATION MATÉRIELLE - PRISE EN CHARGE INCOMBANT AUX SEULS DÉTENTEUR ET PRODUCTEUR DE DÉCHETS - CONSÉQUENCE - ABSENCE DE RESPONSABILITÉ DU PRODUCTEUR DES PRODUITS GÉNÉRATEURS DE DÉCHETS - B) ESPÈCE - HYDROCARBURES ACCIDENTELLEMENT DÉVERSÉS EN MER À LA SUITE D'UN NAUFRAGE - SOCIÉTÉ N'ÉTANT NI DÉTENTEUR NI PRODUCTEUR DES DÉCHETS - CONSÉQUENCE - ABSENCE D'OBLIGATION DE PRISE EN CHARGE DE LA RÉALISATION MATÉRIELLE DES OPÉRATIONS DE VALORISATION ET D'ÉLIMINATION - COMPORTEMENT DE LA SOCIÉTÉ AYANT PU CONTRIBUER À LA SURVENANCE DU SINISTRE - CIRCONSTANCE SANS INCIDENCE.

44-05-07 1) Au sens des articles L. 541-2 et L. 541-3 du code de l'environnement (anciennement art. 2 et 3 de la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975), les hydrocarbures accidentellement déversés en mer à la suite d'un naufrage constituent des déchets quand ils sont mélangés à l'eau et aux sédiments et dérivent jusqu'au littoral.,,2) a) Pour l'application de ces dispositions, qui transposent la directive 75/442/CEE du Conseil du 15 juillet 1975 telle qu'interprétée par l'arrêt de la CJCE du 24 juin 2008 [RJ1], la réalisation matérielle des opérations de valorisation et d'élimination des déchets est à la charge des seuls détenteur et producteur des déchets. Ainsi, le producteur des produits générateurs de déchets ne peut, en cette seule qualité, être astreint à la prise en charge matérielle de ces opérations. Il peut cependant être tenu à une obligation subsidiaire de prise en charge financière. b) La société Total raffinage distribution n'était, au moment du naufrage à la suite duquel les hydrocarbures, devenus déchets, ont été déversés, ni détenteur ni producteur de ces déchets. Elle était uniquement producteur du produit générateur des déchets. Elle ne peut dès lors être tenue de procéder aux opérations matérielles de dépollution, peu important que son comportement ait ou non contribué à la survenance du sinistre. La société pouvait toutefois être tenue, à titre subsidiaire et si elle a contribué au risque, de supporter les dépenses qui n'auraient pas été prises en charge soit par le propriétaire du navire et/ou l'affréteur, soit par le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL).


Références :

[RJ1]

Cf. CJCE, 24 juin 2008, Commune de Mesquer, aff. C-188/07 ;

Cass. 3è civ., 17 décembre 2008, Commune de Mesquer, n° 04-12.315.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 avr. 2009, n° 304803
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Vigouroux
Rapporteur ?: Mme Dominique Guihal
Avocat(s) : SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2009:304803.20090410
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