La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/05/2006 | FRANCE | N°271351

France | France, Conseil d'État, 3eme sous-section jugeant seule, 05 mai 2006, 271351


Vu, la requête enregistrée le 19 août 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE L'EURE ; le PREFET DE L'EURE demande au Conseil d' Etat :

1°) d'annuler le jugement du 26 juillet 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 2 juillet 2004 décidant la reconduite à la frontière de M. Bilal A et la décision du même jour fixant le pays de destination de la reconduite ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Rouen ;>
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des d...

Vu, la requête enregistrée le 19 août 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DE L'EURE ; le PREFET DE L'EURE demande au Conseil d' Etat :

1°) d'annuler le jugement du 26 juillet 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 2 juillet 2004 décidant la reconduite à la frontière de M. Bilal A et la décision du même jour fixant le pays de destination de la reconduite ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Rouen ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Touvet, Maître des Requêtes,

- les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;

Sur la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière :

Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée en vigueur à la date de la décision litigieuse : Le représentant de l'Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...) ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Bilal A, de nationalité turque et d'origine kurde, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 24 mars 2004, de la décision du PREFET DE L'EURE lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'il entrait ainsi dans le champ d'application de la disposition précitée ;

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la loi du 25 juillet 1952 dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 en vigueur à la date de la décision litigeuse, Lorsqu'un étranger, se trouvant à l'intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l'asile, l'examen de sa demande d'admission au séjour relève du préfet compétent (…) - Sous réserve du respect des dispositions de l'article 33 de la convention de Genève, l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si : (…) 4° La demande d'asile (….) n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente ; qu'aux termes de l'article 10 de cette loi L'étranger admis à séjourner en France bénéficie du droit à s'y maintenir jusqu'à la notification de la décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la commission des recours. Il dispose d'un délai d'un mois à compter de la notification du refus de renouvellement ou du retrait de son autorisation de séjour pour quitter volontairement le territoire français. L'étranger présent sur le territoire français dont la demande d'asile entre dans l'un des cas visés aux 2° à 4° de l'article 8 bénéficie du droit à se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides, lorsqu'il s'agit d'une décision de rejet. En conséquence, aucune mesure d'éloignement (….) ne peut être mise à exécution avant la décision de l'office ;

Considérant que, pour annuler l'arrêté du PREFET DE l'EURE du 2 juillet 2004 prononçant la reconduite à la frontière de M. A, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur ce que celui-ci, à la suite du rejet par l'office français de protection des réfugiés et apatrides, le 25 mai 2004 de sa nouvelle demande d'admission au statut de réfugié, avait saisi, le 14 juin 2004, la commission des recours des réfugiés qui n'avait pas encore statué alors que cette seconde demande, en l'absence de contestation sérieuse de l'authenticité des documents présentés et notamment d'un jugement produit à l'audience rendu par la cour de sûreté de l'Etat de la ville d'Erzurum et par lequel l'intéressé a été condamné par défaut le 3 février 2004 à 4 ans et demi d'emprisonnement pour avoir mené des actions au nom du PKK, ne peut être considérée comme ayant eu pour seul objet de faire échec, dans un but dilatoire à une mesure d'éloignement ;

Considérant que, toutefois, le PREFET DE l'EURE fait valoir en appel que, la nouvelle demande de M.A visant à faire échec à une mesure d'éloignement, il avait saisi l'office français de protection des réfugiés et apatrides selon la procédure prioritaire prévue à l'article 9 de la loi du 25 juillet 1952 modifiée ; qu'il ressort des pièces du dossier que la demande de M. A constitue sa seconde demande d'admission au statut de réfugié ; qu'elle a été présentée après que celui-ci a fait l'objet d'une première mesure d'éloignement et a d'ailleurs été rejetée par l'office français de protection des réfugiés et apatrides pour défaut de moyen nouveau ; que le document produit à l'audience qui s'est tenue au tribunal administratif le 26 juillet 2004 intitulé jugement de condamnation de M. A rendu par la cour de sûreté de l'Etat de la ville d'Erzurum le 3 février 2004, soit deux ans après son départ de Turquie, ne présente pas de garanties d'authenticité suffisante ; que, dans ces conditions, le PREFET DE L'EURE est fondé à soutenir que la demande de M. A relevait des dispositions précitées du 4° de l'article 8 de la loi du 25 juillet 1952 et qu'il pouvait prononcer sa reconduite à la frontière, dès lors que l'office français de protection des réfugiés et apatrides l'avait rejetée pour irrecevabilité en l'absence d'élément nouveau sans attendre que la commission des recours des réfugiés se soit prononcée ; que le président de la commission des recours des réfugiés, par une ordonnance du 15 juin 2005, a d'ailleurs donné acte à M. A de son désistement présenté le 6 juin 2005 ; que, par suite, le PREFET DE L'EURE est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé pour annuler son arrêté sur la saisine, par M. A, de la commission des recours des réfugiés ;

Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen présenté par M. A devant le tribunal administratif ;

Considérant que le moyen tiré de ce que M. A courrait des risques importants s'il devait retourner en Turquie ne saurait être utilement invoqué à l'appui d'un recours dirigé contre l'arrêté attaqué qui n'indique pas le pays vers lequel l'intéressé doit être reconduit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE L'EURE est fondé à demander l'annulation du jugement du 26 juillet 2004 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 2 juillet 2004 décidant la reconduite à la frontière de M. A ;

Sur la légalité de la décision désignant le pays de destination :

Considérant que si M. A fait valoir que la décision fixant la Turquie comme pays de destination aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article 27 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, il n'apporte au soutien de cette allégation aucun autre élément que le jugement mentionné ci-dessus et qui, ainsi qu'il a été dit, ne présente pas de garanties suffisantes d'authenticité ; qu'ainsi le moyen invoqué ne peut être retenu ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE L'EURE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 19 mai 2004 décidant la reconduite à la frontière de M. A à destination de la Turquie ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, verse à M. A la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 26 juillet 2004 du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Rouen par M. Bilal A est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au PREFET DE L'EURE, à M. Bilal A et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.


Synthèse
Formation : 3eme sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 271351
Date de la décision : 05/05/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 mai. 2006, n° 271351
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : M. Martin Laprade
Rapporteur public ?: M. Séners

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2006:271351.20060505
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award