Vu la requête, enregistrée le 29 novembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le PREFET DU VAL-D'OISE ; le PREFET DU VAL-D'OISE demande au Conseil d'Etat :
1° d'annuler le jugement du 19 novembre 2001 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé son arrêté du 6 novembre 2001 ordonnant la reconduite à la frontière de Mme Ange-Lucie X ;
2° de rejeter la demande présentée par Mme X devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 septembre 2003, présentée par Mme X ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Guilhemsans, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Vallée, Commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité de la demande de Mme X devant le tribunal administratif :
Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 : I L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification lorsque l'arrêté est notifié par voie administrative ou dans les sept jours lorsqu'il est notifié par voie postale, demander l'annulation de cet arrêté au président du tribunal administratif... ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme X, absente de son domicile le 2 novembre 2001 lors du passage du préposé de la poste, s'est rendue au bureau de poste le 10 novembre 2001 pour retirer la lettre recommandée notifiant l'arrêté du PREFET DU VAL-D'OISE du 6 novembre 2001 ordonnant sa reconduite à la frontière ; que le délai du recours contentieux contre cet arrêté n'a commencé à courir que du moment où le pli a été retiré ; que, par suite, la demande de Mme X, enregistrée le 16 novembre 2001 au tribunal administratif de Cergy-Pontoise a été présentée dans le délai de sept jours prévu à l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; qu'ainsi le PREFET DU VAL-D'OISE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a déclaré recevable la demande de Mme X ;
Sur la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière :
Considérant qu'aux termes du I de l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : Le représentant de l'Etat dans le département et à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l'étranger, auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait. ;
Considérant que Mme X, ressortissante haïtienne entrée en France en 1998, s'est vue refuser le 13 décembre 2000 la délivrance d'un titre de séjour ; qu'elle s'est maintenue sur le territoire national plus d'un mois à compter de la notification qui lui a été faite de cette décision ; que le PREFET DU VAL-D'OISE a pris à son encontre un arrêté de reconduite à la frontière en date du 1er août 2001, qu'elle a contesté le lendemain devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ; qu'au cours de l'instance, le préfet a abrogé l'arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de Mme X sur le fondement d'éléments nouveaux apportés dans la situation de l'intéressée, Mme X, étant alors sur le point d'accoucher ; qu'à la suite de cette abrogation, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, par un jugement du 3 août 2001, prononcé un non-lieu à statuer sur la requête de Mme X ;
Considérant que le PREFET DU VAL D'OISE a, par un arrêté en date du 6 novembre 2001, prononcé une nouvelle mesure d'éloignement à l'encontre de Mme X ; que, saisi par cette dernière, le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté au motif que le préfet ne pouvait légalement ordonner la reconduite à la frontière de l'intéressée sans prendre auparavant une nouvelle décision sur le droit de Mme X à l'obtention d'un titre de séjour ;
Considérant que l'abrogation par le PREFET DU VAL-D'OISE de son arrêté en date du 1er août 2001 ordonnant la reconduite à la frontière de Mme X pour des motifs tenant à l'existence d'éléments nouveaux survenus dans la situation de l'intéressée, n'imposait pas de prendre une nouvelle décision relative au séjour de l'intéressée préalablement au prononcé de la nouvelle mesure d'éloignement mais obligeait seulement le préfet à se livrer à un nouvel examen de la situation personnelle et familiale de l'intéressée, au vu des éléments nouveaux dont il avait connaissance, à la date du prononcé d'une nouvelle mesure d'éloignement ; qu'ainsi, en se fondant, pour annuler l'arrêté de reconduite à la frontière en date du 6 novembre 2001, sur le fait que ce dernier n'avait pas été précédé d'une nouvelle décision relative au séjour, le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a commis une erreur de droit ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme X devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise et devant le Conseil d'Etat ;
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, notamment de la motivation de l'arrêté attaqué, que le PREFET DU VAL-D'OISE, pour prendre l'arrêté de reconduite à la frontière en date du 6 novembre 2001, a procédé à un nouvel examen de la situation personnelle et familiale de l'intéressée ; que le moyen tiré de l'absence de réexamen de la situation personnelle et familiale de l'intéressée doit, dès lors, être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du III de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : Si l'arrêté de reconduite à la frontière est annulé, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues à l'article 35 bis et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas. ;
Considérant que cette disposition qui ne concerne que l'annulation par une juridiction d'un arrêté de reconduite à la frontière, ne fait pas obligation au préfet de munir l'étranger d'une autorisation provisoire de séjour lorsqu'il abroge lui-même un tel arrêté au vu d'éléments nouveaux survenus dans la situation personnelle de l'intéressé ; que, par suite, le moyen tiré par Mme X de ce que le préfet aurait méconnu les dispositions du III de l'article 22 bis précité en s'abstenant de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour après l'abrogation de l'arrêté du 1er août 2001 ne peut qu'être écarté ;
Considérant, toutefois que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment des motifs pour lesquels Mme X a quitté Haïti à l'âge de 17 ans pour rejoindre sa mère qui réside régulièrement en France depuis 1993 ainsi que quatre frères et sours plus jeunes, de la constitution par l'intéressée qui était, à la date de l'arrêté attaqué, mère de deux enfants nés en France, d'un couple stable avec un ressortissant haïtien titulaire d'une carte de résident et de l'impossibilité pour elle de bénéficier d'un soutien familial dans son pays d'origine, celle-ci est fondée à soutenir que le PREFET DU VAL-D'OISE, en ordonnant sa reconduite à la frontière, a commis une erreur manifeste d'appréciation sur les conséquences d'une telle mesure sur sa situation personnelle ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DU VAL-D'OISE n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'arrêté en date du 6 novembre 2001 ordonnant la reconduite à la frontière de Mme X ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête du PREFET DU VAL-D'OISE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au PREFET DU VAL-D'OISE, à Mme Ange-Lucie X et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.