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19/10/2001 | FRANCE | N°238204

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 19 octobre 2001, 238204


Vu la requête enregistrée le 14 septembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE CAPRAL dont le siège est 18, rue du Colonel Guide à Nice (06300) représentée par son gérant en exercice ; la SOCIETE CAPRAL demande au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre l'exécution de l'avis publié au Journal officiel du 2 juin 2001 par lequel le ministre de l'emploi et de la solidarité a interdit l'emploi des appareils dénommés "Boulder-Buster" ;

la société soutient qu'elle est l'importateur et le distributeur exclusif d'un appareil

de chantier dénommé "Boulder-Buster" destiné à la fragmentation de blocs...

Vu la requête enregistrée le 14 septembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE CAPRAL dont le siège est 18, rue du Colonel Guide à Nice (06300) représentée par son gérant en exercice ; la SOCIETE CAPRAL demande au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre l'exécution de l'avis publié au Journal officiel du 2 juin 2001 par lequel le ministre de l'emploi et de la solidarité a interdit l'emploi des appareils dénommés "Boulder-Buster" ;

la société soutient qu'elle est l'importateur et le distributeur exclusif d'un appareil de chantier dénommé "Boulder-Buster" destiné à la fragmentation de blocs ; que l'interdiction d'emploi de ces appareils lui porte un préjudice grave et immédiat dans la mesure où 50 % de son chiffre d'affaires est réalisé par la vente de ces appareils et qu'aucune limitation dans le temps de l'interdiction d'emploi édictée par l'avis attaqué n'est prévue ; que des doutes sérieux existent quant à la légalité de cet avis ; que son signataire n'étant pas connu il doit être regardé comme émanant d'une autorité incompétente ; qu'à supposer que la législation sur les explosifs civils s'applique à l'appareil en cause seul le ministre chargé des mines pourrait en interdire l'emploi ; que l'avis attaqué ne comporte pas de motivation, la seule mention d'un accident ne pouvant en tenir lieu ; qu'il n'est pas possible de savoir si le motif de l'interdiction est la non conformité de l'appareil à des normes de sécurité ou la simple absence d'un agrément ; qu'au fond, l'interdiction prononcée paraît reposer sur des textes qui ne sont pas applicables, l'appareil en cause ne pouvant être qualifié de "produit explosif" ; que son utilisation ne produit aucun des "effets dynamiques analogues à ceux des produits explosifs" ; que, dès lors, il n'entre pas dans le champ d'application de l'article 2 du règlement général des industries extractives ; que la seule composante du matériel susceptible de justifier l'application de la réglementation sur les explosifs civils est la cartouche ; que celle-ci a fait l'objet d'une certification CE en date du 12 mai 1999 ; que l'avis attaqué méconnaît la portée juridique de cette certification ; que, selon le décret du 28 novembre 1996 qui, en particulier, transpose la directive n° 93/15/CEE du Conseil du 5 avril 1993, les produits bénéficiant du marquage CE sont présumés conformes aux exigences essentielles de sécurité ; que l'apposition du marquage CE dans un pays de la communauté européenne produit les mêmes effets qu'une autorisation nationale ; que l'avis attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en tant qu'il prononce une interdiction générale et sans limite de temps ; que l'accident invoqué pour justifier cette interdiction s'est produit en raison des conditions anormales d'utilisation de l'appareil ;

Vu l'avis dont la suspension est demandée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2001, présenté par le ministre de l'emploi et de la solidarité qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la publication de l'avis sous le seul timbre du ministre de l'emploi et de la solidarité résulte d'un usage du Journal officiel ; que l'avis contesté a été établi en accord avec les services compétents du ministère de l'industrie ; que l'avis est suffisamment motivé dès lors que l'interdiction de l'appareil est justifiée par une infraction avérée à la réglementation de sécurité ; que cet appareil, destiné à fractionner des blocs de roches, produit des effets dynamiques analogues à ceux des explosifs ; qu'il est donc soumis aux prescriptions prévues par le décret du 27 mars 1987 ; que si la cartouche détonante a fait l'objet d'une certification CE, l'appareil lui-même n'est pas certifié ; que la conformité d'un élément n'est pas de nature à attester celle de l'appareil dans son ensemble ; qu'en tout état de cause les Etats conservent la possibilité d'établir des mesures de protection plus strictes pour préserver la santé des travailleurs ; qu'en l'absence des arrêtés spécifiques requis par le règlement général des mines l'appareil ne peut être utilisé ; que l'étendue de l'interdiction est justifiée par les accidents survenus ; que la société requérante reconnaît que l'appareil, dont il ne lui appartient pas de déterminer elle-même les conditions d'utilisation, est dangereux ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 1er octobre 2001, présenté par la société Capral qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que le ministre de l'emploi et de la solidarité reconnaît n'avoir pas compétence pour prononcer seul l'interdiction résultant de l'avis contesté ; qu'aucune urgence ne justifie qu'il soit passé outre aux règles de compétence et de motivation ; que l'avis n'a pas le caractère d'une simple information ; que si l'appareil "Boulder-Buster" a la même finalité que les explosifs il n'en a pas les mêmes effets ; qu'il ne produit ni détonation, ni onde de choc, ni effet de souffle, ni chaleur, ni projection ; que les précautions d'emploi recommandées par le fabricant ne sauraient être regardées comme établissant le caractère dangereux de l'appareil dans des conditions normales d'utilisation ; que l'appareil "Boulder-Buster" n'a reçu la certification CE que pour la cartouche car il n'a pas été considéré dans son ensemble par l'organiseur certificateur des explosifs comme constituant lui-même un produit explosif ; que les mesures plus strictes que les Etats membres ont en droit d'édicter doivent être compatibles avec les normes européennes ; qu'en admettant même que des arrêtés spécifiques aient été nécessaires pour préciser les règles d'utilisation de ce type de matériel, l'absence d'une telle réglementation ne saurait justifier l'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie que constitue l'interdiction totale édictée par l'avis contesté ; que l'administration est saisie du problème depuis trois ans et que son retard à édicter la réglementation jugée nécessaire est fautif ; que les dangers inhérents à une utilisation de l'appareil dans des conditions anormales ne sauraient justifier une interdiction générale et absolue ;

Vu le mémoire, enregistré le 11 octobre 2001, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que l'utilisation de l'appareil "Boulder-Buster" est subordonnée, en vertu de l'article 2, paragraphes 4 et 5, du décret du 22 octobre 1992 portant règlement général des industries extractives, à l'intervention d'un arrêté du ministre chargé des mines ; que la société Capral n'a pas entrepris les démarches nécessaires à cette fin ; que si l'appareil n'est pas lui-même un produit explosif il met en oeuvre de tels produits, ce qui nécessite une autorisation particulière ; que la certification CE dont se prévaut la société ne concerne que les cartouches et non l'appareil lui-même ; que la circonstance que les conditions de mise sur le marché d'un produit ou appareil sont conformes au décret du 28 novembre 1996 qui transpose la directive du 5 avril 1993 n'implique pas que son emploi soit autorisé conformément à la réglementation nationale ; que, même si l'appareil n'était pas dangereux, le seul fait que sa mise en oeuvre ne soit pas conforme aux textes applicables justifie l'interdiction prononcée ; qu'il est exact que le statut juridique des appareils "Boulder-Buster" a été soulevé dès 1999 et que les directions régionales de l'industrie ont été placées devant le fait accompli de leur utilisation ; que la société Capral n'a pas donné suite aux demandes de renseignements qui lui ont été faites par les services compétents ; que plusieurs accidents se sont produits et justifient l'interdiction prononcée ;

Vu le nouveau mémoire en réplique, enregistré le 15 octobre 2001, présenté pour la société Capral qui persiste dans les conclusions de sa requête par les mêmes moyens ; elle soutient en outre que le ministre chargé des mines doit être regardé comme ayant acquiescé au moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte contesté ; que les textes invoqués pour justifier cette mesure ne sont pas applicables à un appareil dont l'utilisation ne produit ni onde de choc ou de pression, ni bruit, ni projection et qui a pour but de fissurer des matériaux mais non de les faire exploser ; que l'organisme qui a accordé le certificat CE a analysé l'ensemble de l'appareil ; que l'avis contesté méconnaît la portée de la certification CE ; que la mise sur le marché d'un produit implique que son emploi n'est pas interdit ; qu'aucun danger avéré ne justifie l'étendue de l'interdiction qui est disproportionnée ; que les risques résultant d'une utilisation anormale de l'appareil ne peuvent justifier cette interdiction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de la consommation ;

Vu la directive n° 9315/CEE du Conseil du 5 avril 1993 relative à l'harmonisation des dispositions concernant la mise sur le marché et le contrôle des explosifs à usage civil ;

Vu le décret n° 80-331 du 7 mai 1980 portant règlement général des industries extractives et les décrets n° 92-1164 du 22 octobre 1992, n° 94-785 du 2 septembre 1994 et n° 95-694 du 3 mai 1995 qui l'ont complété ou modifié ;

Vu le décret n° 87-231 du 27 mars 1987 concernant les prescriptions particulières de protection relatives à l'emploi des explosifs dans les travaux du bâtiment, les travaux publics et les travaux agricoles ;

Vu le décret n° 90-153 du 16 février 1990 portant diverses dispositions relatives au régime des produits explosifs ;

Vu le décret n° 96-1046 du 28 novembre 1996 modifiant le décret n° 90-153 du 16 février 1990 portant diverses dispositions relatives au régime des produits explosifs et le décret n° 71-753 du 10 septembre 1971 pris pour l'application de l'article 1er de la loi du 3 juillet 1970 portant réforme du régime des poudres et substances explosives ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Capral, d'autre part, le ministre de l'emploi et de la solidarité et le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 16 octobre 2001 à 10 heures à laquelle ont été entendus :

- Me Barthélemy, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Capral,

- M. Jean-Paul Campani, gérant de la société Capral,

- les représentants du ministre de l'emploi et de la solidarité,

- le représentant du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : "Quand une décision administrative (...) fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision" ;

Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, la société Capral demande la suspension de l'exécution d'un avis aux "fabricants, vendeurs, importateurs et utilisateurs des appareils dénommés "Boulder-Buster" ou d'appareils similaires", publié au Journal officiel du 2 juin 2001 sous le timbre du ministère de l'emploi et de la solidarité, interdisant l'emploi de ces appareils ;

Considérant que, pour démontrer l'existence d'une situation d'urgence justifiant la suspension demandée, la société Capral fait valoir qu'elle est l'importateur exclusif pour la France de l'appareil dénommé "Boulder-Buster" dont la vente représentait, jusqu'à l'interdiction prononcée par l'avis en cause, plus de la moitié de son chiffre d'affaires et que cette interdiction compromet à brève échéance l'existence même de l'entreprise ; que cette décision porte ainsi une atteinte grave et immédiate à sa situation ; que si l'administration soutient, en défense, que l'emploi de ces appareils présente des dangers pour la sécurité des travailleurs qui les utilisent, elle ne fait état que de trois accidents, dont un bénin, dont il résulte de l'instruction qu'ils sont imputables à une imprudence ou à un usage de l'outil dans des conditions non conformes aux prescriptions du fabricant ; que, si regrettables que soient ces accidents, ils ne sont pas à eux seuls, eu égard au nombre d'appareils en service en France depuis 1996, notamment dans un certain nombre de services publics pour l'exécution de travaux en milieu rocheux ou sous-marin, de nature à établir que l'interdiction prononcée répond à un impératif de sécurité publique qui serait compromis par la mesure de suspension demandée ; que, dans ces conditions, la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie ;

Considérant qu'en l'état de l'instruction les moyens tirés, d'une part, de l'incompétence de l'auteur de l'acte, d'autre part, de ce que l'article 2, paragraphes 4 et 5 du règlement général des industries extractives sur lequel est exclusivement fondée l'interdiction prononcée, ne peut la justifier légalement, sont de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision en cause ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'en suspendre l'exécution ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution de l'avis publié au Journal officiel du 2 juin 2001 interdisant l'emploi des appareils "Boulder-Buster" ou d'appareils similaires est suspendue.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE CAPRAL, au ministre de l'emploi et de la solidarité et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 238204
Date de la décision : 19/10/2001
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-03 Procédure. Procédures d'urgence.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 oct. 2001, n° 238204
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP VIER, BARTHELEMY

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2001:238204.20011019
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