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02/05/2001 | FRANCE | N°232997

France | France, Conseil d'État, Ordonnance du juge des referes (mme aubin), 02 mai 2001, 232997


Vu le recours du MINISTRE DE L'INTERIEUR enregistré au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat le 26 avril 2001 ; le ministre demande :



1°) l'annulation de l'ordonnance du 6 avril 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur la demande de M. et Mme C... A... , a enjoint au préfet de la Haute-Garonne, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de délivrer aux époux A... et à leur cinq enfants, sous réserve que leur présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public, un

titre provisoire de séjour valable jusqu'à ce qu'il ait été statué par...

Vu le recours du MINISTRE DE L'INTERIEUR enregistré au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat le 26 avril 2001 ; le ministre demande :

1°) l'annulation de l'ordonnance du 6 avril 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur la demande de M. et Mme C... A... , a enjoint au préfet de la Haute-Garonne, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de délivrer aux époux A... et à leur cinq enfants, sous réserve que leur présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public, un titre provisoire de séjour valable jusqu'à ce qu'il ait été statué par l'autorité compétente sur leur demande de reconnaissance du statut de réfugié ;

2°) le rejet de la demande présentée par M. et Mme A... devant le tribunal administratif de Toulouse ;

le ministre soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie ; que les époux A... ont été munis d'autorisations provisoires de séjour dès leur demande d'asile dont l'office français de protection des réfugiés et apatrides a été saisi ; que le traitement de la demande des intéressés relevant, en vertu des stipulations de la convention de Dublin, des autorités espagnoles, ils ont été avisés le 5 mars 2001 qu'ils seraient réadmis en Espagne ; que les époux A... ont été mis à même de présenter leur demande d'asile dans le strict respect des engagements internationaux de la France et de la législation interne ; qu'ils ont matériellement été hébergés dans un centre d'accueil où ils sont domiciliés ; que, dans ces conditions, la délivrance d'un titre de séjour les autorisant à circuler en France ne présente aucun caractère d'urgence ; que le comportement de l'administration à l'égard de la famille A... ne peut être regardé comme constitutif d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; que le droit des intéressés de solliciter le statut de réfugié n'a pas été méconnu ; qu'en mettant en oeuvre la procédure de réadmission prévue par les accords de Dublin en application du 1 de l'article 10 de la loi du 25 juillet 1952, le préfet n'a porté aucune atteinte à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile et son corollaire le droit au séjour du demandeur pendant le temps nécessaire à l'instruction de sa demande ; qu'en l'espèce, au surplus, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a considéré à tort que l'invocation par les demandeurs du préambule constitutionnel ferait échec à l'application des accords de Dublin ; que la loi constitutionnelle du 25 novembre 1993 a inséré dans la Constitution un article 53-1 nouveau qui, né de la volonté du constituant d'assurer la pleine application des accords de Schengen et Dublin, implique que chaque pays fasse confiance aux autres parties pour traiter comme il le ferait lui-même une demande d'admission au statut de réfugié politique ; que si l'obligation résultant du préambule de la Constitution en ce qui concerne le droit d'asile subsiste, elle n'implique un examen de la demande d'asile par la France et un droit au séjour en France que dans la mesure où la responsabilité de l'instruction de la demande incombe à la France en vertu des accords internationaux ; que l'article 29 de la loi du 11 mai 1998 ne saurait être interprété comme impliquant que l'invocation du préambule constitutionnel confère un droit automatique au séjour, sous peine de faire perdre tout effet utile à la convention de Dublin ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2001, présenté pour M. et Mme A... qui concluent au rejet du recours et à ce que l'Etat soit condamné à leur payer une somme de 15 000 F au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; ils soutiennent qu'en décidant leur réadmission vers l'Espagne en application de la convention de Dublin, le préfet de la Haute-Garonne a fait obstacle à l'exercice par eux du droit fondamental d'asile garanti par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution ; que la définition du réfugié donnée par la convention de Genève et à laquelle se réfèrent les conventions de Schengen et Dublin ne coïncide pas avec celle du préambule de la Constitution de 1946, reprise par l'article 53-1 de la Constitution de 1958 ; que tous les Etats signataires des accords de Schengen et Dublin n'ont pas constitutionnalisé le droit d'asile ; que la loi du 11 mai 1998 n'a eu ni pour objet ni pour effet de supprimer la distinction entre l'asile constitutionnel qui reste de la compétence exclusive des autorités françaises et le statut de réfugié ; que, dès lors qu'un étranger demande à bénéficier de l'asile constitutionnel, sa demande doit être examinée par l'office français de protection des réfugiés et apatrides ; que l'urgence de la situation résulte de ce que, après l'expiration de la validité du premier document valant autorisation provisoire de séjour, aucun autre titre n'a été remis aux époux A... qui n'ont été informés qu'indirectement de la procédure de réadmission vers l'Espagne engagée à leur encontre ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, ensemble la loi n 54-290 du 17 mars 1954 autorisant sa ratification ;

Vu le protocole relatif au statut des réfugiés signé à New York le 31 janvier 1967, ensemble la loi n 70-1076 du 25 novembre 1970 autorisant l'adhésion de la France à ce protocole ;

Vu la convention signée à Dublin le 15 juin 1990 relative à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée auprès d'un Etat membre des communautés européennes ;

Vu la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990 ;

Vu l'ordonnance n 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu la loi n 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur, d'autre part, M. et Mme A... ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 30 avril 2001 à 11 heures à laquelle ont été entendus :

- les représentants du ministre de l'intérieur,

- Me Roger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. et Mme A... ;

Considérant que M. A... , ressortissant algérien, son épouse, de nationalité russe, et leur cinq enfants sont entrés en France, venant d'Espagne, en septembre 2000 et ont sollicité le statut de réfugiés en invoquant les persécutions dont ils faisaient l'objet en Algérie, en raison principalement de la nationalité de Mme A... ; qu'ils ont été munis des documents valant autorisations provisoires de séjour leur permettant de faire valoir leurs droits auprès de l'office français de protection des réfugiés et apatrides ; que, par un courrier du 7 novembre 2000, l'office leur a fait savoir que l'examen de leur demande était susceptible, en vertu des stipulations de la convention de Dublin relative à la détermination de l'Etat responsable du traitement d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres des communautés européennes, de relever des autorités espagnoles et que son instruction était suspendue dans l'attente de la détermination des autorités compétentes pour la traiter ; que, le 5 mars 2001, le préfet de la Haute-Garonne a fait savoir aux époux A... , par l'intermédiaire d'une organisation humanitaire intervenue en leur faveur, que l'examen de leur demande d'admission au statut de réfugié relevait des autorités de l'Etat qui leur avait délivré un visa d'entrée et qu'il engageait la procédure destinée à leur réadmission en Espagne ; que, par des courriers du 3 avril 2001 adressés, d'une part, au préfet de la Haute-Garonne, d'autre part, à l'office français de protection des réfugiés et apatrides, M. et Mme A... ont alors soutenu qu'ils sollicitaient l'asile en leur qualité de "personnes persécutées en raison de leur action en faveur de la liberté", qu'en conséquence seules les autorités françaises étaient compétentes pour se prononcer sur leur demande et qu'ils devaient être autorisés à demeurer en France jusqu'à ce que l'office français de protection des réfugiés et apatrides l'ait examinée ; que, par l'ordonnance attaquée du 6 avril 2001, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer aux époux A... et à leurs enfants un titre de séjour valable jusqu'à ce qu'il ait été statué par les autorités françaises compétentes sur leur demande d'admission au statut de réfugié ;

Considérant qu'aux termes de l'article 53-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 : "La République peut conclure avec les Etats européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d'asile et de protection des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile qui leur sont présentées./ Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif" ; que les deuxième, troisième et septième alinéas de l'article 2 de la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile disposent que : "La qualité de réfugié est reconnue par l'office [français de protection des réfugiés et apatrides] à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ainsi qu'à toute personne sur laquelle le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés exerce son mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut tel qu'adopté par l'Assemblée générale des Nations unies le 14 décembre 1950 ou qui répond aux définitions de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. / Toutes les personnes visées à l'alinéa précédent sont régies par les dispositions applicables aux réfugiés en vertu de la convention de Genève du 28 juillet 1951 précitée. / (...) L'office n'est pas compétent pour connaître de la demande présentée par un demandeur d'asile à l'égard duquel le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police, fait application du 1 de l'article 10 de la présente loi" ; que les troisième et quatrième alinéas de l'article 10 de la même loi disposent enfin que : "Sous réserve du respect des dispositions de l'article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 précitée, modifiée par le protocole de New York du 31 janvier 1967, l'admission en France d'un demandeur d'asile ne peut être refusée que si : 1 L'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat, en application des stipulations de la Convention de Dublin du 15 juin 1990 relative à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée auprès d'un Etat membre des Communautés européennes, ou du chapitre VII du titre II de la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, ou d'engagements identiques à ceux prévus par la convention de Dublin souscrits avec d'autres Etats conformément à la déclaration annexée au procès-verbal de la conférence de signature de la convention du 15 juin 1990, à compter de leur entrée en vigueur" ;

Considérant que le droit constitutionnel d'asile et son corollaire le droit de sollciter le statut de réfugié et de demeurer en France le temps nécessaire à l'examen de la demande constituent pour les étrangers une liberté fondamentale pour la sauvegarde de laquelle le juge des référés peut, en cas d'urgence, ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, toutes mesures nécessaires lorsque, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs l'administration y a porté une atteinte grave et manifestement illégale ; qu'une telle atteinte ne saurait toutefois résulter de la seule circonstance qu'il a été fait application des dispositions précitées du 1 de l'article 10 de la loi du 25 juillet 1952 à un étranger qui a présenté une demande d'asile dont l'examen relève de la compétence d'un autre Etat et de ce que, alors même que l'intéressé se prétend "persécuté pour son action en faveur de la liberté", sans d'ailleurs étayer sa demande sur ce point, les autorités françaises n'ont pas usé du droit que leur accorde le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution et n'ont pas décidé de traiter elles-mêmes la demande ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir qu'en estimant que l'engagement d'une procédure de réadmission vers l'Espagne des époux A... et de leurs enfants constituait une atteinte grave et manifestement illégale à l'exercice par eux de la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile et en enjoignant au préfet de la Haute-Garonne de leur délivrer un titre de séjour valable jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande par les autorités françaises, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a fait une application erronée des règles constitutionnelles, conventionnelles et législatives applicables et à demander en conséquence l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

Sur les conclusions des époux A... tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer aux époux A... la somme qu'ils demandent en remboursement des frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 6 avril 2001 du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. et Mme A... au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse et leurs conclusions sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. et Mme C... A... , au préfet de la Haute-Garonne et au ministre de l'intérieur.

Fait à Paris, le 2 mai 2001

Signé : Marie-Eve Aubin


Synthèse
Formation : Ordonnance du juge des referes (mme aubin)
Numéro d'arrêt : 232997
Date de la décision : 02/05/2001
Type d'affaire : Administrative

Analyses

PROCEDURE - PROCEDURES D'URGENCE - Référé tendant au prononcé de mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale (article L - 521-2 du code de justice administrative) - a) Liberté fondamentale - Existence - Droit constitutionnel d'asile et droit de solliciter le statut de réfugié et de demeurer en France le temps nécessaire à l'examen de la demande - b) Atteinte - Absence - Application des dispositions du 1° de l'article 10 de la loi du 25 juillet 1952 à un étranger ayant présenté une demande d'asile dont l'examen relève de la compétence d'un autre Etat alors même qu'il se prétend "persécuté pour son action en faveur de la liberté".

54-03 a) Le droit constitutionnel d'asile et son corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié et demeurer en France le temps nécessaire à l'examen de la demande constituent pour les étrangers une liberté fondamentale pour la sauvegarde de laquelle le juge des référés peut, en cas d'urgence, ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, toutes mesures nécessaires lorsque, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, l'administration y a porté une atteinte grave et manifestement illégale.

54-03 b) Une telle atteinte ne saurait toutefois résulter de la seule circonstance qu'il a été fait application des dispositions du 1° de l'article 10 de la loi du 25 juillet 1952 à un étranger qui a présenté une demande d'asile dont l'examen relève de la compétence d'un autre Etat et de ce que, alors même que l'intéressé se prétend "persécuté pour son action en faveur de la liberté", les autorités françaises n'ont pas usé du droit que leur accorde le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution et n'ont pas décidé de traiter elles-mêmes la demande.


Publications
Proposition de citation : CE, 02 mai. 2001, n° 232997
Publié au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Président : Mme Aubin, juge des référés

Origine de la décision
Date de l'import : 26/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2001:232997.20010502
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