Vu le recours du MINISTRE DE L'INTERIEUR, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 30 mars 2001 et tendant à l'annulation de l'ordonnance du 9 mars 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a ordonné au préfet des Bouches-du-Rhône de restituer sans délai, sous astreinte de 1 000 F par jour de retard, les passeports et cartes nationales d'identité retirés à M. D... B..., à son épouse et à leurs enfants ;
le ministre soutient qu'à l'occasion de la transcription d'un jugement sur les registres d'état-civil, il est apparu que deux personnes, nées en 1948 dans l'ancienne Cochinchine, portaient le même nom de D... B... et utilisaient le même acte de naissance, l'une demeurant à Fresnes, l'autre à Martigues ; qu'à la suite d'une procédure engagée par M. B... H... le tribunal de grande instance de Nantes, par un jugement du 2 décembre 1999, a ordonné l'établissement en faveur de M. B... I... d'un nouvel acte de naissance ne comportant la mention d'aucune filiation ; que, dans ces conditions, sa nationalité ne pouvant plus être déterminée, l'autorité administrative a demandé à M. B..., à sa femme et à leurs enfants de remettre leurs documents d'identité, désormais sans valeur ; que l'ordonnance qui enjoint au préfet de restituer ces documents aux intéressés n'est pas suffisamment motivée, notamment en ce qui concerne la condition d'urgence ; qu'aucun texte n'astreint les ressortissants français à détenir une carte d'identité ; que la privation de documents d'identité ne porte atteinte ni à la liberté d'aller et venir, ni au droit de mener une vie familiale normale, ni au droit à la sécurité ; que l'administration ne saurait avoir commis une illégalité en exigeant la restitution des documents en cause à des personnes dont la nationalité française n'est pas établie, qui n'ont pas engagé de démarches pour l'obtenir et qui ne justifient pas de la possession d'état de Français;
Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 avril 2001, présenté pour M. D... B..., Mme J... A... épouse B..., M. F... B..., Mlle E... B..., M. G... B..., M. K... B... et Mlle C... B... demeurant ensemble Quartier Croix Sainte, lotissement n 3, les Tartanes à Martigues (13500) et tendant au rejet du recours ; ils soutiennent que le fait de les avoir privés de leurs documents d'identité les place dans une situation extrêmement précaire et porte atteinte à leur liberté d'aller et venir ; qu'il y a une urgence évidente à mettre fin à cette situation ; que ni l'article 30 du code civil ni aucun autre texte ne peut justifier la confiscation opérée par l'administration ; que, contrairement à ce que soutient le ministre, ils ont entrepris des démarches afin d'établir leur nationalité qu'ils devront prouver lors du renouvellement de leurs documents d'identité ; qu'en tout état de cause, M. B... jouit depuis 24 ans au moins de la possession d'état de Français ; que ni lui-même ni aucun membre de sa famille ne menace la sécurité nationale ou la s reté publique, circonstance qui seule pourrait justifier un refus de passeport ; que la mesure prescrite n'excède pas les limites fixées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 2 avril 2001, présenté par le ministre de l'intérieur qui persiste dans les conclusions de son recours par les mêmes moyens ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique M. D... B... et consorts et le ministre de l'intérieur ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 2 avril 2001 à 14 heures à laquelle a été entendu :
- Me Louis Boré, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des consorts B... ;
Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité quant au délai du recours du ministre de l'intérieur :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative: "Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...)" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après qu'il est apparu que deux personnes, l'une demeurant à Fresnes, l'autre à Martigues, portaient le même nom de D... B... et utilisaient le même acte de naissance relatif à un enfant de sexe masculin né le 24 juillet 1948 à An-Binh, Cantho (Cochinchine), le tribunal de grande instance de Nantes, par un jugement du 2 décembre 1999, a décidé l'établissement en faveur de M. D... B... résidant à Martigues d'un nouvel acte de naissance relatif à un enfant de sexe masculin né le 1er janvier 1948 à An-Binh, Cantho (Cochinchine) et ne comportant la mention d'aucune filiation ; qu'à la suite de ce jugement, qui n'a pas été frappé d'appel, M. B... a demandé et obtenu la rectification des documents d'état-civil le concernant ainsi que sa famille ; qu'ayant été convoqué le 7 novembre 2000 au commissariat de police I..., il a été invité à "restituer" les cartes nationales d'identité et les passeports détenus par lui-même, sa femme et ses enfants ;
Considérant que la circonstance que, du fait de l'absence de mention de sa filiation sur son acte de naissance, M. B... ne pourrait plus être regardé comme possédant la nationalité française par filiation, ne saurait à elle seule légalement fonder le retrait par l'autorité administrative des cartes nationales d'indentité et des passeports de M. B..., de son épouse et de leurs enfants; qu'en procédant à ce retrait l'administration a porté une atteinte grave à la liberté personnelle et à la liberté d'aller et venir des intéressés ; qu'en estimant qu'il y avait urgence à mettre ceux-ci en possession de titres leur permettant notamment d'effectuer les actes de la vie courante et en enjoignant sous astreinte au préfet des Bouches-du-Rhône, dans l'attente des suites données aux démarches que, contrairement à ce qu'allègue le ministre, M. B... a entreprises en vue d'établir sa nationalité, de restituer aux intéressés leurs documents d'identité, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, dont l'ordonnance est suffisamment motivée, n'a pas méconnu la portée des dispositions précitées de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du 9 mars 2001 ;
O R D O N N E :
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Article 1er : Le recours du ministre de l'intérieur est rejeté.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au MINISTRE DE L'INTERIEUR, au préfet des Bouches-du-Rhône et à M. et Mme D... B... et leurs enfants.
Fait à Paris, le 2 avril 2001
Signé : Marie-Eve Aubin