Vu la décision du 29 décembre 2000 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a sursis à statuer sur le recours du MINISTRE DE L'INTERIEUR jusqu'à ce que la Cour de Justice des Communautés européennes se soit prononcée sur la question préjudicielle, énoncée dans les motifs de cette décision, de savoir si les dispositions des articles 6, 8A et 48 du traité de Rome, devenus respectivement les articles 12, 18 et 39 du traité CE, le principe de proportionnalité applicable aux situations régies par le droit communautaire ainsi que les dispositions de droit dérivé prises pour assurer la mise en oeuvre du traité et, en particulier, la directive 64/221/CEE du 25 février 1964, s'opposent à ce qu'un Etat membre puisse prononcer, à l'égard d'un ressortissant d'un autre Etat membre relevant des dispositions du traité, une mesure de police administrative limitant, sous le contrôle du juge de la légalité, le séjour de ce ressortissant à une partie du territoire national lorsque des raisons d'ordre public font obstacle à son séjour sur le reste du territoire ou si, dans une telle hypothèse, la seule mesure restrictive de séjour pouvant être légalement prononcée à l'encontre de ce ressortissant consiste en une mesure d'interdiction totale du territoire prise conformément au droit national ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'arrêt du 26 novembre 2002 rendu par la Cour de Justice des Communautés européennes ;
Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne modifié ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
Vu le décret n° 46-448 du 18 mars 1946 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mary, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. X... Y,
- les conclusions de Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, dans l'arrêt du 26 novembre 2002 par lequel elle s'est prononcée sur la question dont, par décision du 29 décembre 2000, le Conseil d'Etat statuant au contentieux l'avait saisie à titre préjudiciel en application de l'article 177 du traité instituant la Communauté européenne (devenu l'article 234), la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour droit que ni l'article 48 du traité instituant la Communauté européenne (devenu, après modification, l'article 39), ni les dispositions de droit dérivé qui mettent en oeuvre la liberté de circulation des travailleurs ne s'opposent à ce qu'un Etat membre prononce, à l'égard d'un travailleur migrant ressortissant d'un autre Etat membre, des mesures de police administrative limitant le droit de séjour de ce travailleur à une partie du territoire national à condition que des motifs d'ordre public ou de sécurité publique fondés sur son comportement individuel le justifient, que, en l'absence d'une telle possibilité, ces motifs ne puissent conduire, en raison de leur gravité, qu'à une mesure d'interdiction de séjour ou d'éloignement de l'ensemble du territoire national et que le comportement que l'Etat membre concerné vise à prévenir, donne lieu, lorsqu'il est le fait de ses propres ressortissants, à des mesures répressives ou à d'autres mesures réelles et effectives destinées à le combattre ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que le principe de libre circulation des travailleurs posé par l'article 48 du traité instituant la Communauté européenne faisait, par principe, obstacle à ce qu'un ressortissant communautaire puisse faire l'objet, sur le fondement de l'article 2 du décret du 18 mars 1946, de mesures de surveillance spéciale conduisant l'autorité administrative à interdire à l'intéressé de résider sur une partie du territoire national, la cour administrative d'appel de Paris a, compte tenu de l'interprétation de l'article 48 donnée par la Cour de justice des communautés européennes dans l'arrêt mentionné ci-dessus, commis une erreur de droit ; qu'il y a lieu d'annuler, pour ce motif, son arrêt ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que pour prendre à l'encontre de M. X... Y, ressortissant espagnol, les mesures de police, prises sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 2 du décret n° 46-448 du 18 mars 1946, résultant d'un arrêté du MINISTRE DE L'INTERIEUR en date du 21 mars 1996 lui interdisant de résider dans trente-et-un départements et d'un arrêté du préfet des Hauts-de-Seine en date du 25 juin 1996 lui interdisant de quitter ce département sans autorisation, l'administration s'est fondée sur la circonstance que l'intéressé, condamné le 8 juillet 1991 par le tribunal de grande instance de Paris, statuant en matière correctionnelle, à dix-huit mois d'emprisonnement dont six mois avec sursis et quatre ans d'interdiction de séjour pour association de malfaiteurs ayant pour but de troubler l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, a continué d'entretenir des rapports avec des mouvements qui prônent le recours à la violence et au terrorisme ; que, d'une part, eu égard au comportement de M. X... Y, le motif d'ordre public sur lequel les auteurs des décisions attaquées se sont fondés, était en l'espèce légalement justifié ; que, d'autre part, un tel comportement de la part d'un ressortissant français appellerait une action répressive ; qu'enfin, les mesures de police administratives précitées ont été adoptées de préférence à une interdiction totale du territoire ;
Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de la méconnaissance de l'article 48 du traité instituant la Communauté européenne pour annuler les arrêtés précités du MINISTRE DE L'INTERIEUR et du préfet des Hauts-de-Seine ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par M. X... Y devant le tribunal administratif de Paris ;
Considérant que si M. X... Y soutient que les arrêtés attaqués ont pour effet de le séparer de sa famille qui réside dans la région de San Sébastian en Espagne, il ressort des pièces du dossier qu'eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, ces arrêtés, qui visent à l'éloigner pour un motif d'ordre public de la frontière espagnole, ne portent pas au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel lesdits arrêtés ont été pris ; que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut, par suite, être accueilli ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du MINISTRE DE L'INTERIEUR en date du 21 mars 1996 et l'arrêté du préfet des Hauts-de-Seine en date du 25 juin 1996 ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
Considérant que la présente décision, qui rejette les conclusions de M. X... Y tendant à l'annulation des arrêtés précités, n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions susanalysées ne peuvent être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser à M. X... Y la somme que celui-ci demande ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 18 février 1999 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 7 juillet 1997 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. X... Y devant le tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE LA SECURITE INTERIEURE ET DES LIBERTES LOCALES et à M. Aitor X... Y.