Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er mars 1993 et 24 juin 1993 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Zehra X... demeurant chez M. X...
... ; Mme X... demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement en date du 15 janvier 1993 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de refus de titre de séjour contenue dans la lettre du préfet de la Moselle en date du 24 juillet 1992 ;
2°) annule ladite décision ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 8 ;
Vu l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée, dans sa rédaction issue de la loi du 2 août 1989 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Touraine-Reveyrand, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Ryziger, avocat de Mme X...,
- les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme : "1° - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, 2° - il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier et notamment des documents produits devant le Conseil d'Etat, que Mme X..., ressortissante turque venue en France en 1979 à l'âge de 12 ans, dans le cadre d'un regroupement familial, a quitté la France en 1985 et y est revenue après son divorce à l'âge de 24 ans, rejoignant ainsi ses parents, et ses frères et soeurs, qui résident tous régulièrement en France ; que, si elle est alors entrée irrégulièrement sur le territoire français, elle a immédiatement cherché à régulariser sa situation ; qu'elle vit, avec ses quatre enfants, tous scolarisés, dont l'un né en France de père inconnu, au sein de sa famille ; qu'elle n'a aucun lien familial en Turquie, où vit son ex-mari, qui s'est désintéressé de ses enfants, ainsi que sa belle famille ; que son propre père a créé une entreprise commerciale lui offrant des perspectives d'emploi ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, la décision du préfet de la Moselle susvisée a porté une atteinte à sa vie familiale disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et, par suite, méconnu les dispositions précitées de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme ; que, dès lors, Mme X... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision susvisée du préfet de la Moselle ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 15 janvier 1993 et la décision du préfet de la Moselle du 24 juillet 1992 sont annulés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Zehra X... et au ministre de l'intérieur.