Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 8 janvier 1986 et 7 mai 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Marcel X..., agissant en qualité de tuteur des enfants mineurs Florence et Sandra X..., demeurant ... et pour la MUTUELLE ASSURANCE DES COMMERCANTS ET INDUSTRIELS DE FRANCE (MACIF), dont le siège est ... ; ils demandent que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 13 novembre 1985 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à verser : d'une part à M. Marcel X..., en qualité de tuteur de Sandra et Florence X..., une indemnité en réparation du préjudice moral et physique qu'elles ont subi lors de l'accident de la circulation survenu le 6 avril 1979 à leurs parents sur la route nationale n° 10, dans la commune de Chaunay (Vienne) ; d'autre part, à la MUTUELLE ASSURANCE DES COMMERCANTS ET INDUSTRIELS DE FRANCE (MACIF) les indemnités qu'elle a dû payer aux consorts Y..., qui se trouvaient dans le second véhicule accidenté, et envers lesquels le conducteur du premier véhicule, M. Paul X..., a été reconnu civilement responsable,
2°) condamne l'Etat à leur verser les indemnités demandées, augmentées des intérêts et des intérêts des intérêts portant sur lesdites sommes,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Sauzay, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Boré, Xavier, avocat de M. Marcel X... et de la MUTUELLE ASSURANCE DES COMMERCANTS ET INDUSTRIELS DE FRANCE,
- les conclusions de M. Toutée, Commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant que le 6 avril 1979, vers 22 h 30, une automobile conduite par M. Paul X... qui circulait en compagnie de son épouse et de ses deux enfants Florence et Sandra, sur la route nationale n° 10 entre Poitiers et Bordeaux, est entrée en collision avec une automobile conduite par M. Y... qui circulait en compagnie de son épouse, sur la même route, dans la direction opposée à celle que suivait M. X... ; qu'il résulte de l'instruction qu'au moment de l'accident M. X... roulait sur la voie gauche d'une chaussée à deux voies sur laquelle la circulation s'effectuait provisoirement à double sens en attendant la prochaine mise en service d'une deuxième chaussée à deux voies aménagée de l'autre côté d'une barrière centrale de sécurité ;
Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, compte tenu de la configuration de la route, qui pouvait laisser croire que la chausée à deux voies sur laquelle s'est produit l'accident était réservée à une circulation à sens unique, comme semblaient l'indiquer la présence d'une barrière centrale de sécurité et la matérialisation sur le sol de ces deux voies par une ligne de peinture blanche discontinue, les panneaux réglementaires qui avaient été mis en place pour signaler un double sens de circulation et interdire le dépassement ne constituaient pas une signalisation suffisante surtout à l'égard d'usagers circulant de nuit ; que d'ailleurs l'insuffisance de cette signalisation avait été relevée par les services de la gendarmerie à la suite de deux accidents qui s'étaient produits sur la même portion de route au cours des deux mois précédents ; que, dans ces conditions, la preuve de l'entretien normal de la voie publique ne peut être regardée comme rapportée ; qu'ainsi c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a écarté toute responsabilité de l'Etat ;
Considérant toutefois que M. X... a commis une grave imprudence en circulant sans nécessité à gauche ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'ensemble des circonstances de l'affaire en mettant à la charge de l'Etat le quart des conséquences dommageables de l'accident ;
Sur la réparation due à Sandra et Florence X... :
Considérant, d'une part, que la fraction de leurs revenus que M. X..., qui est décédé lors de l'accident, et Mme X..., qui a succombé un mois plus tard des suites de ses blessures, consacraient à chacune de leurs deux filles doit être évaluée à 15 %, soit, à la date de la présente décision, 31 200 F par an ; que le capital correspondant au paiement de cette somme jusqu'à l'âge de 20 ans s'élève à 280 800 F pour Florence X..., et à 405 600 F pour Sandra X... ;
Considérant, d'autre part, qu'il sera fait une juste appréciation de la douleur morale et des troubles de toute nature dans leurs conditions d'existence éprouvées par Florence et Sandra X... du fait du décès de leurs parents en évaluant ces chefs de préjudice à 60 000 F ; qu'il sera fait une exacte appréciation des troubles résultant du dommage corporel subi par Sandra X... qui a été blessée dans l'accident en lui allouant de ce chef une indemnité de 20 000 F ;
Considérant en revanche que Florence et Sandra X..., à qui est accordée une indemnité pour les troubles de toute nature éprouvés dans leurs conditions d'existence du fait du décès de leurs parents, ne peuvent pas prétendre à une indemnité complémentaire pour les souffrances physiques personnellement endurées par Mme X... avant son décès ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les préjudices subis par Florence et Sandra X... s'élèvent respectivement à 340 800 F et 485 600 F ; que compte tenu du partage de responsabilité, l'Etat doit être condamné à payer une indemnité de 85 200 F à Florence X... et une indemnité de 121 400 F à Sandra X... ;
Sur les droits de la MUTUELLE ASSURANCE DES COMMERCANTS ET INDUSTRIELS DE FRANCE (M.A.C.I.F.) :
Considérant que la MUTUELLE ASSURANCE DES COMMERCANTS ET INDUSTRIELS DE FRANCE, qui assurait M. Paul X..., a versé d'une part 1 009 981 F à M. Y... et 81 143 F à Mme Y..., en réparation des préjudices subis par eux à la suite de l'accident dont ils ont été les victimes, d'autre part 130 076,61 F à la caisse mutuelle régionale Poitou-Charente, correspondant au remboursement des prestations que celle-ci a versées à M. et Mme Y... ; que ces sommes ne sont pas contestées ; qu'il y a lieu, compte tenu du partage des responsabilités, de condamner l'Etat à payer à la MUTUELLE ASSURANCE DES COMMERCANTS ET INDUSTRIELS DE FRANCE une indemnité de 305 300 F ;
Sur les intérêts :
Considérant que les requérants demandent que les intérêts leur soient accordés à compter du 29 mai 1985, date du dépôt devant le tribunal administratif du mémoire dans lequel ils ont chiffré les indemnités réclamées à l'Etat ; qu'il y a lieu de faire droit à leur demande ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 7 mai 1986, date à laquelle il n'était pas dû au moins une année d'intérêts ; qu'elle a été demandée à nouveau le 20 avril 1989, date à laquelle il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément à l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette deuxième demande ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 13 novembre 1985 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer : 1°) à Florence X... la somme de 85 200 F ; 2°) à Sandra X..., la somme de 121 400 F ; 3)° à la MUTUELLE ASSURANCE DES COMMERCANTS ET INDUSTRIELS DE FRANCE (M.A.C.I.F.), la somme de 305 300 F. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 29 mai 1985. Les intérêts échus le 20 avrl 1989 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Marcel X..., à Mlles Florence et Sandra X..., à la MUTUELLE ASSURANCE DES COMMERCANTS ET INDUSTRIELS DE FRANCE, à la caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines et au ministre de l'équipement, du logement, des transports et de l'espace.