Vu la requête, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Contentieux du Conseil d'Etat le 22 avril 1988, présentée par le Président de la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL), sur le fondement de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986, et tendant à ce que le Président de la Section du Contentieux du Conseil d'Etat ordonne à la société d'exploitation de la cinquième chaine "La Cinq" : 1°) de respecter au cours de son second exercice d'activité les dispositions de l'article 5 du décret n° 87-36 du 26 janvier 1987 selon lesquelles les oeuvres audiovisuelles annuellement incluses dans les programmes doivent pour 60 % au moins d'entre elles être d'origine communautaire et pour 50 % au moins être d'expression originale française ; 2°) de verser au compte de soutien de l'industrie des programmes, afin de supprimer les effets de l'insuffisance de diffusion d'oeuvres d'expression originale française au cours du premier exercice une somme d'au moins 9 millions de francs ; 3°) de respecter par étapes successives les pourcentages de diffusion d'oeuvres d'expression originale française et d'oeuvres d'origine communautaire de façon à atteindre pour l'année 1988 les pourcentages fixés par le décret du 26 janvier 1987 ;
4°) soit de verser au compte de soutien de l'industrie des programmes, à un compte spécial affecté à la chaîne auprès du centre national de la cinématographie, à titre de garantie de l'engagement pris de respecter progressivement les pourcentages de diffusion prévus par le décret du 26 janvier 1987, une somme de 37 millions de francs qui serait débloquée au profit de la chaîne et affectée par elle à la production audiovisuelle par fractions mensuelles de 4,62 millions de francs au fur et à mesure de la réalisation de ses engagements, lesdites sommes restant acquises au compte de soutien de l'industrie des programmes si ces engagements n'étaient pas tenus ; soit, de verser au même compte des sommes calculées en fonction du déficit d'oeuvres d'expression originale française ou d'origine communautaire calculé à chacun des paliers annuels, lesdites sommes devant être utilisées par la chaîne à la production de programmes dans un délai de moins de six mois ; 5°) soit de remplacer dans les programmes la diffusion d'oeuvres autres que celles émanant de la France ou d'un Etat membre de la Communauté économique européenne par celle d'oeuvres émanant de ces pays, soit de supprimer la diffusion de certaines oeuvres autres que d'origine communautaire ou d'expression originale française ; 6°) au cas où les injonctions précédentes ne seraient pas suivies d'effet de verser une astreinte calculée en proportion des infractions constatées ;
Vu la loi du 30 septembre 1986 modifiée par la loi du 27 novembre 1986 ; Vu le décret n° 87-36 du 26 janvier 1987 ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Considérant qu'aux termes des sixième et septième alinéas de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : "En cas de manquement aux obligations de la présente loi et pour l'exécution des missions de la Commission nationale de la communication et des libertés, son président peut demander en justice qu'il soit ordonné à la personne qui en est responsable de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l'irrégularité ou d'en supprimer les effets. La demande est portée devant le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, qui statue en référé et dont la décision est immédiatement exécutoire. Le président peut prendre, même d'office, toute mesure conservatoire et prononcer pour l'exécution de son ordonnance une astreinte versée au Trésor public" ; que, par requête du 22 avril 1988, le président de la Commission nationale de la communication et des libertés, a, sur le fondement de ces dispositions, saisi le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat d'une demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société "La Cinq" de respecter les dispositions de l'article 5 du décret n° 87-36 du 26 janvier 1987 pris pour l'application des articles 27-I et 70 de la loi du 30 septembre 1986, en ce qui concerne le régime de diffusion des oeuvres audiovisuelles ; Sur les interventions de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et du syndicat indépendant des artistes-interprètes : Considérant que les demandes en justice que le Président de la CNCL présente en application de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 ne sont pas au nombre des requêtes pour l'admission ou le rejet desquelles des interventions peuvent être présentées ; que, dès lors, les interventions de la SACD et du syndicat indépendant des artistes-interprètres ne sont pas recevables ;
Sur la recevabilité de la requête du Président de la CNCL : Considérant qu'il résulte des termes mêmes de l'article 42 précité de la loi du 30 septembre 1986 qu'il appartient au présient de la CNCL de saisir le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, en application des 6ème et 7ème alinéas de cet article ; que, par suite, la requête présentée par le président de la CNCL est recevable sans qu'il soit besoin de l'inviter à produire une délibération de la Commission l'habilitant à agir ;
Sur les conclusions de la demande du président de la CNCL : Considérant que l'exercice de la compétence attribuée au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat par l'article 42 de la loi comporte nécessairement le pouvoir de constater les manquements allégués dans la demande de la CNCL ; qu'il lui appartient, le cas échéant, non seulement de prescrire des mesures à caractère conservatoire, mais d'ordonner toute mesure visant à ce que le responsable du manquement mette fin à l'irrégularité ou en supprime les effets ;
Sur l'exception d'illégalité du décret du 26 janvier 1987 soulevée par la société "La Cinq" : Considérant qu'aux termes de l'article 27-I de la loi du 30 septembre 1986 : "Des décrets en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de la communication et des libertés, fixent, pour chaque catégorie de services de communication audiovisuelle diffusé par voie hertzienne terrestre ou par satellite, autres que ceux qui sont assurés par les sociétés nationales de programmes (...) 2° le régime de diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles" ; que les règles de diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles par les services de télévision en clair, par voie hertzienne terrestre ou par satellite, autres que ceux qui sont assurés par les sociétés nationales de programmes, ont été fixées par le décret n° 87-36 du 26 janvier 1987 ; qu'il résuite de l'ensemble des dispositions de la loi éclairée par les travaux préparatoires qu'en décidant à l'article 5 de ce décret que "les oeuvres cinématographiques, d'une part, les oeuvres audiovisuelles, d'autre part, annuellement incluses dans les programmes mis à la disposition du public devront : 1°) pour 60 % au moins d'entre elles, être d'origine communautaire ; 2°) pour 50 % au moins d'entre elles, être d'expression originale française", les auteurs du décret n'ont pas excédé les limites de la délégation consentie par le législateur ; que la circonstance que l'article 70 de la loi prévoit lui-même que les dispositions relatives à la diffusion des oeuvres cinématographiques incluses dans les autorisations de services de communication audiovisuelle doivent comporter l'obligation de consacrer un pourcentage majoritaire de ces diffusions à des oeuvres d'origine communautaire et à des oeuvres d'expression originale française ne fait pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire impose des obligations de même nature aux oeuvres audiovisuelles sur le fondement de l'article 27-I précité ;
Considérant que si, aux termes de l'article 7 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté Economique Européenne, "Dans le domaine d'application du présent traité (...) est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité", les dispositions précitées de l'article 5 du décret du 26 janvier 1987 n'ont ni pour objet, ni pour effet d'instituer, entre les oeuvres diffusées par les services de télévision, une discrimination fondée sur la nationalité ;
Sur l'existence des manquements allégués : Considérant, d'une part, que pour apprécier la manière dont la société "La Cinq" s'est acquittée, au cours de sa première année d'activité, couvrant la période du 1er mars 1987 au 28 février 1988, des obligations que lui impose l'article 5 du décret du 26 janvier 1987, la CNCL a, à bon droit, procédé à des calculs distincts d'une part pour les oeuvres cinématographiques qui, pour l'application des dispositions dont s'agit de la loi du 30 septembre 1986 ne sont pas comprises dans la définition des oeuvres audiovisuelles et, d'autre part, pour les oeuvres audiovisuelles seules ; que, d'autre part, elle a pu légalement estimer que constituaient des oeuvres audiovisuelles au sens de cette loi les oeuvres de fiction de toute nature, les documentaires et les oeuvres dites "vidéomusiques scénarisées" ; qu'il n'est pas établi qu'elle ait exclu de ses calculs des programmes qui, tout en n'appartenant à aucun des trois genres ci-dessus énumérés, auraient présenté dans leur conception ou leur réalisation, une part de création de nature à les faire regarder comme des oeuvres audiovisuelles ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier et qu'il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté qu'au cours du premier exercice d'activité de la société "La Cinq", les oeuvres audiovisuelles d'origine communautaire et les oeuvres audiovisuelles d'expression originale française ont représenté respectivement 26,7 % et 24,5 % du total des oeuvres audiovisuelles diffusées ; qu'ainsi, le manquement de la société "La Cinq" aux obligations que lui impose l'article 5 du décret du 26 janvier 1987 en ce qui concerne la diffusion des oeuvres audiovisuelles doit être regardé comme établi ; que ni les difficultés qu'elle affirme avoir rencontrées pour acquérir les droits de diffusion d'oeuvres d'origine communautaire et d'expression originale française, ni le coût de ces acqusitions n'ont revêtu le caractère e de circonstances de force majeure mettant la société "La Cinq" dans l'impossibilité de remplir ses obligations ;
Sur les conclusions du président de la CNCL tendant à "supprimer les effets" des manquements constatés au cours du premier exercice :
Considérant que les pouvoirs conférés au président de la Section du contentieux du Conseil d'Etat par l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 ne comportent pas celui d'infliger des sanctions, ni de condamner le responsable d'un manquement à en réparer pécuniairement tout ou partie des conséquences pour des tiers. Dès lors, les conclusions du président de la CNCL tendant à ce que la société "La Cinq" soit condamnée, au titre des manquements constatés au cours du premier exercice, à verser au compte de soutien à l'industrie des programmes une somme destinée à être investie dans la production d'oeuvres audiovisuelles d'expression originale française ne peuvent être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la société "La Cinq" de mettre fin aux irrégularités constatées :
Considérant que le président de la CNCL demande, en premier lieu, qu'il soit ordonné à la société "La Cinq" de se conformer, pour l'exercice qui a commencé à courir le 1er mars 1988, aux dispositions de l'article 5 du décret du 26 janvier 1987 relatives à la diffusion des oeuvres audiovisuelles ; que la société "La Cinq" ne justifie d'aucune circonstance de droit ou de fait qui soit de nature à la dispenser de respecter, au cours de ce deuxième exercice, les obligations qui lui sont légalement imposées ; qu'il y a dès lors lieu de faire droit à ces conclusions ;
Considérant, en second lieu, que, compte tenu des constatations faites par la CNCL en ce qui concerne la part des oeuvres d'origine communautaire et des oeuvres d'expression originale française dans les oeuvres audiovisuelles diffusées par la société "La Cinq" au cours des mois de mars et avril 1988, qui est inférieure au pourcentage constaté au cours du premier exercice, il ne pourra être satisfait par la société, au terme de l'exercice, aux exigences de l'article 5 du décret du 26 janvier 1987 que si la part des oeuvres audiovisuelles d'origine communautaire et des oeuvres d'expression originale française diffusées s'accroît immédiatement de façon très sensible ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'enjoindre à la société de prendre, dès la notification de la présente ordonnance, les mesures de programmation nécessaires pour qu'au 1er décembre 1988, la part des oeuvres d'origine communautaire dans le total des oeuvres audiovisuelles diffusées depuis le 1er mars 1988 atteigne au moins 48 %, celle des oeuvres d'expression originale française au moins 40 %.
Sur les mesures destinées à assurer le respect des obligations imposées à la société "La Cinq" :
Considérant que le président de la CNCL demande au président de la Section du contentieux du Conseil d'Etat d'assortir les injonctions prononcées à l'égard de la société "La Cinq" d'une obligation, imposée sous astreinte, à cette société de verser au compte de soutien à l'industrie des programmes des sommes destinées au financement de la production d'oeuvres audiovisuelles nouvelles et calculées, soit en fonction des insuffisances constatées dans la diffusion d'oeuvres d'expression originale française au terme du premier exercice, soit de celles qui seraient constatées mois par mois à compter de la notification de la présente ordonnance, au terme de périodes successives de 12 mois ;
Considérant qu'en l'absence de toute disposition législative ou réglementaire organisant un système de compensation des manquements constatés en matière de diffusion par une contribution imposée à des dépenses de production, ces conclusions du président de la CNCL ne peuvent être accueillies.
Considérant en revanche qu'il y a lieu de faire droit à ses conclusions subsidiaires tendant à ce que les injonctions prononcées à l'encontre de la société "La Cinq" soient assorties d'une astreinte versée au Trésor public ;
Article 1er : Il est enjoint à la société "La Cinq" de se conformer au cours de l'exercice courant du 1er mars 1988 au 28 février 1989, en ce qui concerne la diffusion des oeuvres audiovisuelles, aux obligations fixées par l'article 5 du décret du 26 janvier 1987. Au 1er décembre 1988, la part des oeuvres d'origine communautaire et celle des oeuvres d'expression originale française dans le total des oeuvres audiovisuelles diffusées depuis le 1er mars 1988 devra avoir atteint respectivement au moins 48 et 40 %.
Article 2 : Les manquements constatés au 1er décembre 1988 aux dispositions de la présente ordonnance donneront lieu à une astreinte de 10.000 F par heure manquante si les pourcentages de diffusion observés pour les oeuvres d'origine communautaire et pour les oeuvres d'expression originale française sont inférieures aux minimas fixés ci-dessus.
Article 3 : Les manquements constatés le 28 février 1989 donneront lieu à une astreinte calculée de la façon suivante : - 10.000 F par heure manquante, si les pourcentages de diffusion constatés atteignent entre 54 et 60 % pour les oeuvres d'origine communautaire, entre 45 et 50 % pour les oeuvres d'expression originale française ; - 20.000 F par heure manquante si les pourcentage de diffusion constatés atteignent entre 42 et 54 % pour les oeuvres d'origine communautaire, entre 35 et 45 % pour les oeuvres d'expression originale française ; - 30.000 F par heure manquante si les pourcentage de diffusion sont inférieurs à 42 % pour les oeuvres d'origine communautaire, à 35 % pour les oeuvres d'expression originale française.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête du président de la CNCL est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au président de la CNCL, à la société "La Cinq", au Syndicat indépendant des artistes interprètes, à la Société des auteurs compositeurs dramatiques et au ministre de la culture et de la communication.